Au Mondial 2018, football et sexisme font toujours aussi bon ménage

Depuis le 14 juin 2018, la Coupe du monde rassemble les fanatiques du football en Russie, tous genres confondus. Pourtant, depuis le coup d’envoi, énormément de supportrices sont victimes d’une misogynie latente. Mauvaises « blagues », harcèlement et agressions sexuelles : il ne fait pas bon être une femme et aimer le foot, même en 2018.
Coupe du monde 2018  Football et sexisme font toujours bon mnage
Matthias Hangst / Getty Images

Après le bouleversement qu’a vécu le monde de la culture et du divertissement depuis le mois d’octobre – avec les révélations sur l’affaire Harvey Weinstein, l'apparition des mouvements #MeToo, #BalanceTonPorc et Time’s Up – le milieu du sport aurait pu prendre quelques notes. La Coupe du monde 2018, qui a débuté le 14 juin dernier, prouve que ça n’a pas été le cas. Qu’il s’agisse du traitement médiatique international ou du quotidien des supportrices et journalistes présentes en Russie, le sexisme dans le monde du sport a encore de beaux jours devant lui.

« 10 trucs à ne (surtout) pas faire quand ton chéri et ses potes matent un match » : voilà comment Public a décidéde s’adresser aux femmes dans son hors-série spécial Coupe du monde de juin 2018. Au programme : « ne pas supporter l’équipe adverse » – comprenez : ne pas penser par soi-même – « ne pas inviter tes copines et parler de trucs de filles » ou encore : « ne pas confondre deux joueurs ». Et surtout, surtout : « ne pas prendre la télécommande et zapper sur le dernier Grey’s Anatomy ». Car le problème est bien là : la « jeune fille » ne peut pas apprécier un match de la Coupe du monde 2018, domaine réservé à son « chéri » (et tant pis si elle a une chérie).

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Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du traitement médiatique médiocre lié au genre depuis le début de cette Coupe du monde 2018. Le sexisme n’étant pas l’apanage de la France, ces pratiques s’exportent à l’international : le 19 juin, The Independent titrait, au sujet des journalistes analysant la compétition : « Les expertes de la Coupe du monde représentent une avancée pour la diversité, mais pas pour la qualité du reportage ».

La banque d’images et agence de photographie Getty Images, utilisée par une grande majorité des médias internationaux, a elle aussi décidé d’apporter sa pierre à l’édifice. Le 25 juin dernier, elle décidait de proposer aux médias une galerie intitulée « Coupe du monde 2018 : les fans les plus sexy ». N’espérez pas y voir des torses poilus ou des abdominaux huilés : évidemment, cette galerie était réservée aux supportrices.

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« Nous regrettons cette erreur et avons supprimé cette galerie », peut-on désormais lire sur le site de Getty. « Il y a de nombreuses histoires intéressantes à raconter à propos de la Coupe du monde, et nous reconnaissons que celle-ci n’en faisait pas partie ».

Reporters de l'extrême

Sur place aussi, les femmes – qu’elles soient supportrices ou journalistes – doivent faire face à de nombreuses situations de harcèlement, voire d’agressions sexuelles. C’est notamment le cas de Julia Guimarães, journaliste brésilienne, agressée lors d’un direct. « Ne fais pas ça ! Ne refais plus jamais ça », rétorque-t-elle au passant qui tente de l’embrasser, contre sa volonté. « Ce n’est pas poli, ce n’est pas correct. Ne fais jamais ça ! Ne refais plus jamais ça à une femme, d’accord ? Respecte ! ».

Sur Twitter, la journaliste a expliqué n’avoir jamais eu à subir une telle situation au Brésil. « [En Russie], c’est arrivé deux fois ! Quelle honte ! », a-t-elle ajouté. La journaliste colombienne Julieth Gonzalez Theran, présente à Saransk en Russie pour couvrir l’événement sportif, a subi une agression similaire. En pleine conversation avec la chaîne pour laquelle elle travaille, la journaliste a été interrompue par un homme, hurlant et l’attrapant par la poitrine avant de l’embrasser sur la joue. Impassible sur le moment, Julieth Gonzalez Theran a ensuite posté la séquence sur son compte Instagram. « Respect ! », écrit-elle. « Nous ne méritons pas ce traitement. Nous sommes (…) des professionnelles. Je partage la joie du football, mais nous devons identifier les limites entre l’affection et le harcèlement ».

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Abus de pouvoir

Si les journalistes doivent faire face à des attaques misogynes, les supportrices ne sont pas en reste. Une vidéo en particulier a fait le tour du monde depuis sa publication, le 16 juin 2018. On y voit plusieurs supporters brésiliens demander à une femme russe de scander des termes dégradants dans leur langue. « Répète : “Buceta Rosa” », lui demande un homme. « Buceta Rosa », en portugais, signifie « chatte rose ».

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La vidéo, devenue virale, a engendré de vives réactions au Brésil. « Ce n’est pas drôle, c’est du machisme, de la misogynie et c’est honteux », a déclaré le manequin Fernanda Lima sur son compte Instagram. Plusieurs hommes présents sur cette vidéo ont déjà été identifiés. L’un d’entre eux, lieutenant de la Police militaire de Santa Catarina, fait depuis l’objet d’une procédure disciplinaire à cause de son « attitude incompatible avec la profession ». Le ministre brésilien des Sports, Leandro Cruz Fróes da Silva, a déploré le comportement de ces supporters, qu’il a qualifié de « honte pour tout le pays ».

Depuis, plusieurs incidents de la sorte ont fait surface. Sur une autre vidéo, un Brésilien filme des femmes à qui il fait répéter la phrase : « Eu quero dar a buceta para vocês » – soit : « Je veux vous donner ma chatte ».

Et comme une discrimination en cache souvent une autre, une troisième vidéo a fini de choquer l’opinion publique brésilienne. Un autre individu s’approche de deux hommes et leur fait répéter des phrases comme « Je suis un homo » et « Je suis un fils de pute ». Un comportement qui a incité l’activiste russe Alena Popova à agir. La juriste a créé une pétition en ligne, où elle demande aux supporters brésiliens de « s’excuser publiquement pour leur sexisme » et exige des sanctions. Deux semaines avant la fin de la Coupe du monde 2018, cette pétition a déjà reçu plus de 85 000 signatures.

Si les mentalités commencent à évoluer dans plusieurs milieux, le monde du sport semble encore majoritairement réfractaire à l'insertion des femmes dans les stades comme sur les plateaux télévisés. Comme le rapporte France Info, la Confédération olympique et sportive allemande ne voit qu'une solution : « mettre plus de commentatrices dans des disciplines prétendument masculines et surtout des voix féminines dans le football lors des Coupes du monde et d'Europe ou en Ligue des champions ». Pour ce qui est des comportements dans les tribunes et à leurs alentours, le Comité d'organisation de la Coupe du monde a été forcé de s'exprimer, appelant le 29 juin dernier les « supporters à se comporter dans un respect total » des femmes. Pourtant, ces attitudes misogynes ne représenterait pas, selon le directeur général du Comité Alexeï Sorokine « un problème de grande ampleur ». Il reste donc encore un long chemin à parcourir avant d'atteindre un semblant d'équité dans les stades.