« Condamné, condamné, condamné... », Karine n'a entendu que ce mot, puis s'est effondrée en larmes en saisissant les mains de son avocate. Voilà presque neuf ans qu'elle attendait ce moment : la condamnation ferme et définitive (sous réserve d'un pourvoi en cassation) de son agresseur, le responsable de la police municipale de Vincennes, dans le Val-de-Marne, jugé coupable d'agression sexuelle par personne abusant de l'autorité conférée par ses fonctions. Neuf ans depuis ce jour de décembre où son chef, alcoolisé après un repas de Noël de son service, a suivi la jeune policière jusqu'à son vestiaire, puis lui a agrippé à plusieurs reprises les fesses et les seins, avant de la plaquer contre lui et de lui dire à plusieurs reprises : « Juste un p'tit coup, personne ne le saura. » Il n'en était pas à son premier essai : entre 2006 et 2009, les remarques et gestes déplacés sont coutumiers chez cet homme qui a fait toute sa carrière à la mairie de Vincennes, sans jamais être réprimandé par son employeur. En état de choc, la jeune femme raconte la scène à son mari, lui-même officier de police judiciaire. « C'est lui qui a posé les mots alors que moi, je tentais de minimiser les choses, raconte Karine. Il m'a dit : 'Tu dois porter plainte car c'est une agression sexuelle.' » La jeune femme, alors âgée de 38 ans, commence un parcours de combattante que connaissent de nombreuses femmes victimes de violences sexuelles.

« J'ai continué à croiser mon agresseur presque chaque jour. »

« Quand j'ai porté plainte la première fois, j'ai été très bien reçue puisqu'il s'agissait d'une collègue de mon mari. Mais j'ai ensuite été entendue à la Sûreté départementale de Créteil où j'ai tellement été malmenée par le fonctionnaire qui m'interrogeait, que j'ai fait un malaise. » Sa plainte est classée sans suite trois semaines plus tard. La jeune femme écrit au procureur pour faire appel. Et là, surprise, l'appel est accepté. Une enquête est lancée qui aboutira, en 2014, à un renvoi devant le tribunal correctionnel de Créteil, dont l'audience s'est finalement tenue... le 24 janvier 2017. « Karine revient de loin, explique son avocate, Sivane Seniak. Elle a réussi à poursuivre la procédure malgré l'abrogation temporaire de la loi contre le harcèlement sexuel en 2012 et en dépit d'un premier classement sans suite. » En première instance, le policier municipal a écopé de dix-huit mois de prison avec sursis et 3 000 euros d'amende. Une peine réduite en appel à dix mois avec sursis, 4 000 euros de dommages et intérêts et une inscription au fichier des délinquants sexuels, « ce qui n'avait pas été précisé en première instance et qui est important symboliquement, précise l'avocate. Pour que, même si la formule est éculée, la honte change vraiment de camp. »

Accompagnée depuis le début de la procédure par l' AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, lire l'encadré ci-dessous), la jeune femme sait que son affaire pourra en encourager d'autres à s'engager dans la bataille. « Après quatre ans d'arrêt maladie, j'ai repris le travail dans un autre service de la mairie. Mais j'ai continué à croiser mon agresseur presque chaque jour. Lui n'a jamais été inquiété, jusqu'à sa retraite l'an dernier. Malgré tout cela, la justice m'a reconnue comme victime et c'est une victoire immense. »

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Karine dans les bras de son avocate, Sivane Seniak.© Jean-Luc Bertini

Où trouver de l'aide ?

Fermé durant quatre mois, l'accueil téléphonique de l'AVFT (01 45 84 24 24) est de nouveau ouvert. L'association qui vient en aide aux femmes victimes de violences sexuelles au travail avait vu son standard exploser suite à la déferlante #MeToo. Aujourd'hui, la demande est encore très importante au regard des capacités de l'équipe de cinq personnes. L'association s'inquiète aussi des répercussions de l'appel à projet du secrétariat d'État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes, qui prévoit de saupoudrer un million d'euros à des associations n'ayant pas sur ces sujets l'expertise de l'AFVT.

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 29 juin 2018.  Abonnez-vous ici.