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Pourquoi l'égalité femme-homme passe forcément par l'allongement du congé paternité
En France, le congé paternité n'est fixé qu'à onze jours (week-ends et jours fériés inclus).
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Pourquoi l'égalité femme-homme passe forcément par l'allongement du congé paternité

Entretien

Propos recueillis par

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Dans une pétition signée par une quarantaine de personnalités masculines, le magazine "Causette" demande un "congé paternité digne de ce nom". Pauline Chabbert, directrice associée du groupe Egaé et spécialiste des questions liées à l'égalité femme-homme, milite même pour une égalité de congé entre hommes et femmes. Explications.

En France, le congé maternité – en vigueur depuis 108 ans – peut aller de dix à vingt-deux semaines après l'accouchement. Très récent puisqu'il a été créé en 2002, le congé paternité, lui, ne comprend que onze jours, week-ends et jours fériés inclus.

Une quarantaine de personnalités masculines se sont manifestées pour le réformer, en signant la pétition de Causette ce 31 octobre. Si le magazine demande avant tout que ces onze jours deviennent obligatoires, voire qu'ils soient allongés à six semaines, Pauline Chabbert estime qu'une égalité parfaite avec le congé maternité serait idéale. Entretien avec la directrice associée d'Egaé, une agence de conseil et de formation sur l'égalité femme-homme.

Marianne : L'augmentation du congé paternité fait-elle partie du combat féministe ?

Pauline Chabbert : Oui, c'est une revendication féministe de longue date. La pétition lancée par Causette n'est pas la première : en mai 2017, il y en avait déjà eu une pour faire passer le congé paternité de onze jours à quatre semaines (elle avait reçu près de 58.000 signatures). Et, en juillet, la dessinatrice Emma – déjà connue pour sa BD sur la charge mentale, ndlr – avait sorti une planche sur la répartition travail/famille dans un couple. Ça avait fait beaucoup de bruit.

Vous parlez de la répartition travail/famille dans un couple ; quel est le rapport avec le congé paternité ?

Ils sont étroitement liés. L'inégale répartition travail/famille dans un couple est l'une des conséquences de la faible durée du congé paternité : dès la naissance de leur enfant, les femmes consacrent plus de temps à s'occuper de lui que les hommes, puisqu'ils n'ont que onze jours de congé. Ça crée un décalage qui contribue à creuser le partage inégal des tâches : puisque la mère reste à la maison pour s'occuper de l'enfant, le père considère que ce n'est pas à lui de faire le ménage quand il rentre d'une longue journée de travail.

Etant donné que les enfants cristallisent – si ce n'est accentuent – une répartition déséquilibrée des tâches, l'allongement du congé paternité permettrait de rétablir une certaine égalité. C'est un des piliers de l'égalité femme-homme.

"L'allongement du congé paternité est un des piliers de l'égalité femme-homme"

Quel est le problème de fond ?

C'est l'illusion de l'égalité femme-homme dans laquelle on vit en France : la plupart des gens pensent qu'il n'y a plus d'inégalités car on a énormément avancé les 100 dernières années. Mais en réalité, en 2010, les femmes passaient 95 minutes par jour à s'occuper de leur(s) enfant(s) contre 41 minutes pour les hommes. Sans compter que 64% du travail domestique est géré par les femmes ! (chiffres Insee, ndlr)

Vous dites qu'il s'agit de "travail"domestique ; pourtant il n'est ni rémunéré, ni compté dans le PIB...

Non, mais c'est un combat politique de parler de "travail" domestique car on a tendance à minimiser les efforts que demandent le ménage et les enfants. C'est un vrai boulot à part entière : même s'il est invisible, il représente plus de dix heures par semaine pour les femmes. Puis, cette inégale répartition les empêche de faire d'autres activités comme s'occuper d'elles, sortir, faire du sport, participer à la vie politique via les réunions citoyennes... Et j'en passe.

Quelles sont les conséquences de l'inégale répartition des tâches ?

Elle se répercute directement sur le marché de l'emploi. L'inégale répartition des tâches explique notamment le plafond de verre – l'absence des femmes du sommet de la hiérarchie d'une entreprise, ndlr – et les salaires inégaux, puisque la maternité marque un ralentissement dans la carrière des femmes.

Par quoi ce ralentissement se traduit-il ?

L'arrivée d'un enfant impacte directement la carrière des femmes : on leur propose moins de postes à responsabilité, ou alors elles en acceptent moins car elles se disent qu'elles n'ont pas suffisamment de temps, sachant que leur travail domestique les attend. Conséquences : il y a une inégalité salariale de 18%, et près de 80% des travailleurs à temps partiel sont des femmes.

"Il faut normaliser la prise de congé et valoriser le fait de s'occuper de sa famille"

Les hommes ont-ils conscience de l'impact de leur congé paternité ?

Je pense que oui, car la plupart des cadres hommes ne le prennent pas puisqu'ils ont peur qu'il soit une entrave à leur carrière. Pourtant, on parle seulement de onze jours, mais ils voient très bien que le congé maternité impacte négativement la carrière des femmes. Le problème vient des entreprises : il faut normaliser cette prise de congé et valoriser le fait de s'occuper de sa famille et d'avoir une vie personnelle.

Un véritable congé paternité permettrait de leur montrer que la société revendique une meilleure prise en compte de la vie à côté du travail. Ça ne profiterait pas qu'aux femmes, mais aux hommes aussi.

Au-delà de l'égalité des sexes, pourrait-on parler d'une avancée sociale avec l'allongement du congé paternité ?

Oui, puisqu'on créerait un cercle vertueux. La pétition de Causette est une très bonne initiative ; ce serait idéal d'arriver à une égalité entre le congé maternité et paternité. Ça enverrait aux entreprises le signal qu'avoir un enfant n'est pas un problème et n'a pas d'impact négatif sur une carrière.

Par exemple, la question "Avez-vous prévu d'avoir des enfants ?" est souvent posée aux femmes pendant les entretiens d'embauche. Si on les mettait sur le même plan que les hommes, on ne leur demanderait plus ; on tendrait déjà plus vers une société égalitaire.

Et le congé parental ?

Mise à jour de l'article

A ne pas confondre avec le congé paternité ou maternité, le congé parental peut être pris par l'un des deux parents dans les trois ans suivant la naissance de leur enfant. Initialement, il dure au maximum un an, mais peut être prolongé deux fois. Pour en bénéficier, il faut que le parent ait au minimum un an d'ancienneté dans l'entreprise au moment de la naissance de son enfant. Si le congé parental n'est pas rémunéré, il peut faire l'objet de la prestation partagée d'éducation de l'enfant ou du complément de libre choix d'activité. Le parent peut également utiliser les droits acquis sur soncompte épargne-temps. Enfin, le congé parental peut être pris à temps plein ou partiel.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne