Endométriose : des femmes témoignent

Cette maladie gynécologique a longtemps été taboue. Les patientes, telle la chanteuse Imany, ont mis du temps avant de parler de leurs souffrances intimes. Aujourd'hui, elles osent.
Sarah Bouleau
Endométriose : des femmes témoignent Barron Claiborne

Elles sont clouées au lit pendant leurs règles. Pour certaines, ça commence quelques jours avant. D'autres souffrent encore après. Souvent, la douleur est localisée au niveau des parties génitales. Dans d'autres cas, c'est tout l'appareil digestif qui brûle. Certaines patientes ont des grossesses « normales », d'autres deviennent infertiles. L'endométriose est une maladie complexe : on a coutume de dire qu'il y en a autant que de patientes. Si les symptômes divergent, le processus, lui, reste le même : les cellules qui composent le revêtement interne de l'utérus (l'endomètre) migrent pour aller se fixer sur différents organes (ovaires, vagin, côlon…). Le problème ? Ces cellules prolifèrent en dehors de l'utérus et gardent leur sensibilité aux hormones – elles saignent au moment des règles. Apparaissent alors des réactions inflammatoires pouvant induire des cicatrices fibreuses et des adhérences (accolement de deux organes), des nodules, des kystes… Jusque-là, l'endométriose était subie par les femmes, qui n'exprimaient pas leurs souffrances, et quelque peu ignorée du corps soignant. Les choses bougent enfin ! La Haute Autorité de santé s'est penchée sur le sujet fin 2017, et ses nouvelles recommandations de prise en charge permettent aux médecins d'y voir plus clair. Du côté des patientes, la parole se libère.

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Imany : « Tant que je peux, je serre les dents »

La chanteuse Imany* est la marraine de l'association Endomind**, qui se bat pour une meilleure prise en charge des personnes touchées par l'endométriose.

Cette banalisation de la douleur des femmes est intolérable !

Pourquoi avoir accepté d'être la marraine d'Endomind ?
Imany. Avant tout, parce que de deux à quatre millions de femmes souffrent à chaque cycle, à chaque rapport sexuel… Ça signifie avoir une vie de couple compliquée et une vie sociale diffcile. Certaines ne pourront pas avoir d'enfants. D'autres perdront leur travail à force d'avoir été absentes. Or, si l'endométriose a été découverte en 1860, on ne sait rien, ou presque, de cette maladie. Ni de ses causes ni de son traitement. Il n'y a quasiment pas de recherche médicale sur le sujet : cette banalisation de la douleur des femmes est intolérable !

Vous-même, vous souffrez d'endométriose. Comment vous en êtes-vous rendu compte ?
Imany. J'ai eu beaucoup de chance : j'étais en vacances en famille, à Tahiti, mes règles sont arrivées et j'ai ressenti des douleurs si vives que mes parents m'ont emmenée sans tarder consulter un gynécologue. Il a tout de suite reconnu les symptômes de l'endométriose. J'ai été opérée, puis j'ai reçu des injections pour être mise en situation de ménopause artificielle. A 23 ans, j'avais des bouffées de chaleur, j'étais fatiguée tout le temps, je faisais l'ascenseur émotionnel en permanence… je n'ai pas supporté. Alors, pendant une dizaine d'années, j'ai testé différents traitements hormonaux pour interrompre mes cycles. Les douleurs menstruelles ont disparu, mais j'avais des migraines terribles et je vivais mal de ne plus avoir mes règles. J'étais mannequin et j'ai manqué un certain nombre de castings à cause de ça.

Comment allez-vous aujourd'hui ?
Imany.
Je renoue avec la douleur, car mes règles sont revenues. Pendant ma grossesse et l'allaitement, forcément, ça allait. Là, ça redevient compliqué : j'ai un public, des musiciens… Impossible de leur dire : « Je ne peux pas chanter, j'ai mes règles. » Tant que je peux, je serre les dents. Je ne veux pas reprendre la pilule, j'en ai assez d'être gavée d'hormones ! J'arrive à assurer mes concerts… pour l'instant.

* En tournée avec son album, The Wrong Kind of War.
** endomind.org.

Alicia, 26 ans doctorante en sociologie : « On m'a dit que j'étais frigide »

Avec le temps, j'ai appris à vivre avec la souffrance au quotidien. Mais j'ai la chance d'être très bien entourée : mon petit ami a toujours été compréhensif et c'est grâce à ma mère, elle-même atteinte d'endométriose, que je me suis bagarrée. A 16 ans, j'étais allée voir une gynéco parce que je n'arrivais pas à mettre de tampons et que j'avais très mal pendant les rapports sexuels : elle m'a répondu que j'étais frigide. Heureusement, ma mère a eu le réflexe de m'emmener consulter un deuxième gynéco qui, lui, a repéré une excroissance sur l'hymen. J'ai été opérée et tout est rentré dans l'ordre.

Impossible d'avoir des rapports sans saigner ou ressentir de brûlures...

Mais, au bout de trois ans, c'était reparti : impossible d'avoir des rapports sans saigner ou ressentir de brûlures. Tous les antalgiques étant sans effet, je suis retournée voir une gynéco… qui m'a envoyée chez un sexologue… qui m'a renvoyée vers un autre gynécologue. Pendant deux ans, j'ai navigué à vue, de médecin en médecin. J'étais souvent très fatiguée et, quand j'avais mal, je n'avais pas envie de voir grand monde. J'ai fini par me tourner vers l'association Les Clés de Vénus*, qui recense tous les gynécologues adeptes d'une prise en charge plus bienveillante. J'ai contacté l'une d'entre eux. Elle a été la première à me dire : « Ça n'est pas normal d'avoir mal pendant ses règles. » Elle m'a prescrit une IRM et, enfin, l'endométriose a été diagnostiquée. Des nodules détectés dans le tissu utérin étaient donc responsables de ces douleurs. On a pu aussi établir le lien avec les troubles digestifs qui me faisaient souffrir depuis trois ans. Je viens de tenter un premier traitement, qui, malheureusement, ne fonctionne pas sur moi. Je vais sans doute devoir me faire opérer pour enlever les nodules. Ça ne m'effraie pas. Au contraire, je suis soulagée… et encore plus combative qu'avant.

* lesclesdevenus.org.

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Diane, 43 ans aide-soignante « J'ai été opérée sept fois en dix ans »

Passer l'aspirateur, m'occuper de mes chats, porter des courses… chaque geste du quotidien est une victoire. J'ai subi sept opérations en dix ans, mais, au moins, l'endométriose ne m'embête plus. Je n'ai plus d'activité hormonale depuis qu'on m'a tout enlevé : utérus, trompes, ovaires. C'était il y a cinq ans, et c'est l'aboutissement d'années de souffrances et d'errance médicale. Dès mes premières règles, à 12 ans, chaque cycle m'a fait atrocement mal. L'idée d'être enfermée une heure en classe me paniquait : mes saignements étaient hémorragiques. Mais, pour mon gynéco, c'était « parfaitement normal » d'avoir mal pendant ses règles. Il m'a néanmoins mise sous pilule… Et il fallait en changer sans arrêt, car la maladie continuait d'évoluer. Incapable d'aller régulièrement en cours, je n'ai pas pu terminer mes études d'infirmière.

Pour mon gynéco, c'était « parfaitement normal » d'avoir mal pendant ses règles.

Je suis devenue aide-soignante, mais je faisais des malaises à répétition. Pendant des années, j'ai entendu les médecins me déclarer : « C'est dans votre tête, vous êtes trop stressée. » Les échographies comme les prises de sang étaient rassurantes. Les douleurs, elles, ne passaient pas. Elles ont même redoublé quand, à 27 ans, désirant avoir un enfant, j'ai arrêté la pilule. J'ai alors rencontré un gynéco qui a su diagnostiquer mon endométriose. Mais ma priorité, à l'époque, c'était le bébé. J'ai commencé un parcours de FIV : personne ne savait, à ce moment-là, que la stimulation hormonale nécessaire pour tomber enceinte allait doper ma maladie… Les douleurs sont devenues telles que j'ai préféré tout interrompre. J'ai bien fait : à l'IRM, on s'est rendu compte que l'endométriose avait provoqué d'énormes dégâts sur mon intestin. Il m'a fallu trois interventions lourdes, sur un an, pour reprendre une digestion normale. Mise en ménopause artificielle, j'ai respiré… six mois : la douleur a repris si fort que je n'arrivais plus à marcher. Nouvelle IRM, nouveaux nodules, au niveau des racines sacrées* cette fois, et nouvelle opération. Malgré cela, impossible de rester assise sans ressentir une douleur aiguë dans le bas du dos et dans le vagin. L'endométriose avait encore gagné du terrain. Après tant d'années de souffrances, j'étais à bout : j'ai supplié mon médecin de m'opérer et de me retirer tout l'appareil génital. Je ne le regrette pas. Je commence, enfin, à souffler un peu.

* Nerfs responsables de la marche, situés au niveau du sacrum.

2 questions au Pr Nizar Aflak, gynécologue-obstétricien, professeur au collège de médecine des hôpitaux de Paris.

Comment expliquez-vous que le diagnostic soit souvent très tardif ?

Il faut effectivement en moyenne entre six et onze ans pour diagnostiquer une endométriose. C'est anormal. Cela tient d'abord à une méconnaissance profonde de la maladie en l'absence de réelle formation médicale sur le sujet. Face à une patiente souffrant à la fois de douleurs urinaires, rectales et menstruelles, les médecins sont souvent démunis. Quand bien même une échographie serait demandée, neuf fois sur dix, elle ne donne aucun résultat : en dehors de gros kystes, il faut avoir l'œil très aiguisé et une certaine expérience pour repérer des petits nodules ou un discret épaississement des tissus.

Y a-t-il du nouveau en matière de prise en charge ?

De nouveaux traitements hormonaux, en cours d'évaluation, vont permettre d'en finir avec les effets secondaires des contraceptifs oraux actuellement prescrits. Parallèlement, les techniques chirurgicales s'affinent, préservant de mieux en mieux les organes où se fixent les nodules. Côté diagnostic, la recherche tente d'identifier très tôt les patientes risquant de développer des formes sévères de la maladie.

le 24/07/2018