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Seuls 13% des océans sont encore sauvages

Les activités humaines auraient une incidence sur l’immense majorité des océans, qui ne sont plus aujourd’hui des espaces sauvages. Pour en préserver les richesses, les scientifiques appellent à une forte ambition en matière de protection

«La pêche est de loin la première agression contre la biodiversité marine» - Kendall Jones,Université du Queensland (Australie). — © Eduardo Leal/Bloomberg/Getty Images ©
«La pêche est de loin la première agression contre la biodiversité marine» - Kendall Jones,Université du Queensland (Australie). — © Eduardo Leal/Bloomberg/Getty Images ©

On associe les océans à de vastes territoires sauvages et vierges de toute emprise humaine. Cette vision romantique ne cadre pas avec la réalité, annonce un groupe australien dans Current Biology ce vendredi: des travaux qui estiment que seulement 13% des océans de la planète peuvent être considérés comme sauvages, et souvent dans des zones inaccessibles, comme l’Arctique et le sud de l’océan Austral. Les 87% restants portent de multiples cicatrices – souvent invisibles – de décennies d’envolée démographique et de développement économique au mépris des écosystèmes.

Pêche industrielle, déversements de pollutions agricoles et industrielles, trafic maritime, exploitation pétrolière et de sable… la liste des impacts humains sur les océans est longue. En février dernier, une étude publiée dans Science avait montré qu’au moins 200 millions de kilomètres carrés d’océans étaient exploités par les flottes de pêche – 55% de leur surface totale. «C’est quatre fois la superficie cultivée sur Terre, s’inquiète Philippe Cury, directeur de recherches à l’Institut français de recherche pour le développement (IRD), et spécialiste des océans. L’exploitation halieutique a pris des proportions phénoménales ces dernières décennies.»

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Une pêche prédatrice

Pour Kendall Jones, de l’Université du Queensland (Australie), coauteur de l’étude parue dans Current Biology, «la pêche est de loin la première agression contre la biodiversité marine». «Pour la première fois depuis cinquante ans, les captures de pêche ont diminué alors que l’effort de pêche continue de s’accroître», ajoute Philippe Cury. Publiée ce 9 juillet, la dernière édition du rapport sur la pêche de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) démontre en effet que les tonnages ont baissé de 2% entre 2016 et 2017, malgré l’augmentation du nombre de navires et la sophistication grandissante des engins de pêche – à l’image des chaluts électriques utilisés par les pêcheurs néerlandais. Un signe que rien ne va plus dans les océans de la planète.

L’inventaire réalisé par Kendall Jones et ses collègues s’appuie sur une masse de données: observations par satellite, relevés d’activité des flottes de pêche, modèles de diffusion des polluants transportés par les rivières, suivi de la diffusion d’espèces invasives transportées par les navires de commerce, etc. Autant de pressions qui frappent des écosystèmes de plus en plus malmenés par le réchauffement et l’acidification de l’eau liés au changement climatique, à l’image des récifs coralliens et des prairies sous-marines.

La seule solution est de développer de vastes réserves de biodiversité marine, couvrant 30% des océans

Philippe Cury, spécialiste des océans

L’essentiel des 54 millions de kilomètres carrés d’espaces qui peuvent être considérés comme vierges se situe en haute mer, dans les eaux internationales. Le reste se trouve dans des zones d’exclusivité économiques (ZEE) – les régions qui bordent les côtes des pays dans un rayon de 200 milles marins (360 kilomètres). L’océan le moins préservé est sans conteste l’Atlantique Nord (4,8 millions de kilomètres carrés), qui baigne notamment les côtes européennes: il a perdu toute trace de virginité, puisque seule 0,3% de sa superficie est considérée comme sauvage.

Les réserves comme seule solution

Comment éviter que l’ensemble des océans du globe ne finissent par ressembler à cette vaste zone industrielle qu’est devenu l’Atlantique européen et nord-américain? «Dans les ZEE, les Etats peuvent renforcer les règles de lutte contre la pollution d’origine agricole et freiner l’effort de pêche, propose Kendall Jones. Dans les eaux internationales, on peut supprimer les subventions aux pêcheries pour qu’elles perdent leur rentabilité.» Pour Philippe Cury, «la seule solution est de développer de vastes réserves de biodiversité marine, couvrant 30% des océans. Et il faut que ces réserves soient définies sur des critères écosystémiques et non politiques, comme c’est trop souvent le cas.»

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L’étude de Current Biology vient à point nommé rappeler l’ampleur des stigmates humains dans les mers. Des dégâts qui risquent de s’aggraver à l’avenir, entre autres dans les grandes profondeurs, dont l’extraordinaire biodiversité est parmi les plus fragiles. Outre l’exploitation grandissante de sable pour la construction, de nombreux pays, Japon en tête, espèrent en effet récolter des nodules polymétalliques, des agglomérats de métaux déposés à grande profondeur, notamment dans les régions encore préservées de l’océan Pacifique. «Leur exploitation aurait un impact rapide, spectaculaire et irréversible sur la biodiversité», prévient Philippe Cury. L’ONU travaille depuis 2015 à modifier la Convention internationale sur le droit de la mer pour encadrer l’usage partagé des eaux internationales en tenant compte, enfin, de la biodiversité. Mais la route sera longue avant que l’on parvienne à un accord intergouvernemental modérant notre appétit d’océans.