Au festival de Toronto, la cause des femmes en haut de l’affiche

Commencé le 6 septembre, le Tiff (Toronto International Film Festival) multiplie les gestes en faveur de la parité des hommes et des femmes dans l’industrie cinématographique et affiche une tolérance zéro envers le harcèlement sexuel. Toronto, c’est aussi l’occasion pour certaines d’affirmer que la lutte continue. Bye bye #MeToo, welcome #AfterMeToo.

Par Mathilde Blottière

Publié le 13 septembre 2018 à 21h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h16

«Future is female identifying » : « Le futur est féminin » (qu’on pourrait sans doute aussi traduire sans trop s’avancer par « la femme est l’avenir du cinéma »). C’est écrit noir sur blanc sur le site du festival du film de Toronto. Opportuniste, le directeur du festival, Piers Handling ? Ou simplement plus concerné que ses homologues européens par le sort des femmes ?

Pour cette 43e édition du Tiff  (Toronto International Film Festival), la première depuis l’affaire Weinstein, Piers Handling, son directeur, a en tout cas pleinement saisi la mesure et l’enjeu du mouvement féministe en partie provoqués par la chute du mogul : de #MeToo en #AfterMeToo (on y revient plus bas) en passant par Time’s Up, la question de la place des femmes dans la société, mais aussi de sa représentation à l’écran, semble chaque jour trouver plus d’écho. Sans que cela vienne troubler le moins du monde le marché où se vendent et s’achètent les films – on dit que le brûlot anti-Trump de Michael Moore s’arrache –, le festival fait donc le pari d’embrasser la cause de femmes, quitte à se vanter : sur 121 films sélectionnés cette année, les organisateurs se réjouissent que 35% soient le fait de réalisatrices, soit plus qu’en 2017. Et de citer au passage les derniers titres des Françaises Claire Denis et Mia Hansen-Love.

L’engagement du Tiff ne s’arrête pas à sa sélection. Avec « Share her journey », il lance un plan sur cinq ans qui vise à augmenter la contribution des femmes à l’industrie du film, devant et derrière la caméra. Axée autant sur la formation que sur la parité et l’aide aux réalisatrices émergentes, cette ambitieuse campagne nécessite 3 millions de dollars pour atteindre ses objectifs. Le festival dit en avoir déjà récolté 1,3.

« Ici, nous avons toujours défendu la place des femmes, à travers des programmes et une attention soutenue, a rappelé Piers Handling à nos confrères du journal canadien Le Devoir. Avec  #MeToo, un immense projecteur est désormais braqué dans l’industrie sur le travail des femmes cinéastes. La parité demandera du temps et des subsides d’Etat, mais ce mouvement a un effet accélérateur. De jeunes réalisatrices se révèlent. Le milieu leur fait davantage de place… »

Plus anecdotique mais tout aussi révélateur, le festival a cette année renforcé son code de bonne conduite en mettant en place une ligne téléphonique et un formulaire en ligne pour aider celles qui seraient victimes de harcèlement ou de stigmatisation sexuels dans les allées ou les fêtes du festival.

“Nous pouvons faire mieux et nous le ferons !”

Mais l’événement qui restera sans doute dans les annales du Tiff pour sa force symbolique et sa photogénie, c’est le rally qui a eu lieu samedi sur King Street, l’une des artères principales de Toronto. Cette marche baptisée d’après la campagne “Share her journey” a rassemblé quelques centaines de femmes et d’hommes autour de l’égalité des sexes dans l’industrie du film.

La marche “Share her journey” à Toronto, le 8 septembre 2018.

La marche “Share her journey” à Toronto, le 8 septembre 2018. Photo: Chris Pizzello/Invision/AP/SIPA

A la tribune, les actrices Geena Davis (Thelma et Louise) et Mia Kirshner (The L Word) ont pris la parole pour déplorer la lenteur des changements constatés un an après le séisme #MeToo. « Nous pouvons faire mieux et nous le ferons ! » a lancé l’actrice canadienne de Star Trek : discovery. Avec Geena Davis, elle a cofondé le mouvement #AfterMeToo, qui cherche à améliorer la prise en charge sociale, législative et judiciaire du harcèlement sexuel dans les lieux de travail.

Geena Davis, elle, a fustigé les occasions manquées de changer la donne. « Si vous participez  à la production d’un film ou d’une série, vous avez une chance de faire en sorte que les rôles entre femmes et hommes y soient équilibrés. [...] Ne laissez pas le casting ni le tournage se faire sans vous interposer pour demander : qui dans cette production pourrait devenir une femme ? Féminisez les prénoms des personnages. Et si le script décrit une foule qui se rassemble, ajoutez : “Virgule, qui est composée de femmes pour moitié. »

Le Tiff devrait continuer à donner l’exemple aux autres grands festivals de films, notamment en Europe. Il le fera sans doute d’autant mieux que son avenir à lui sera féminin, et cela n’a rien d’une prédiction. Sa prochaine édition sera dirigée par l’Américaine Joana Vicente, figure du cinéma indépendant new-yorkais.                         

« Il est très important qu’une femme dirige le Tiff, a déclaré Piers Handling, parce qu’elle apportera des perspectives différentes. Cette industrie est depuis si longtemps sous domination masculine, avec humiliation des femmes. Les nouveaux défis en cinéma impliquent aussi leur participation plus active aux postes de commande. » Voilà qui devrait au moins faire plaisir à Jacques Audiard.

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