Manifeste pour un "Food Féminisme"

  ©Getty - United Artists/Archive Photos
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Connaissez-vous les « cheffes » Amélie Darvas, Adeline Grattard ou Armelle Krause ? Non ? Alors il faut que je vous parle du food-féminisme, un mouvement récent, mais indispensable, car les milieux professionnels de la cuisine et de la gastronomie sont parmi les plus sexistes qui soient.

3% de femmes sur 621 tables étoilées

-En France, 52% des élèves des écoles de cuisine sont des filles, mais 94% des chefs sont des hommes, lesquels, soit dit en passant, se réfèrent toujours à la blanquette de leur grand-mère, jamais de leur grand-père !

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-Dans les brigades -un terme militaire bien viril - l’écart entre les salaires des hommes et des femmes à poste égal est en moyenne de 28% (contre 8,5% chez les cadres). 

-Enfin, sur 66 étoiles décernées en France par le guide Michelin en 2018, seules deux femmes chefs étaient concernées. Je dis bien « concernées » puisque seuls leurs compagnons figuraient sur la liste officielle… au prétexte qu’ils tiennent leurs établissements en couple ! En même temps, faut-il s’en étonner de la part d’un guide qui ne récompense que 3% de femmes sur 621 tables étoilées ?

Je vous rappelle qu’aujourd’hui, une seule femme –Anne-Sophie Pic- a trois étoiles dans notre pays. Et que le classement des 50 meilleurs restaurants du monde décerne un prix spécial à la « best female chef of the world », une sous-catégorie créée pour ces dames, sans doute indignes de concourir en tant que chefs tout courts…

Révoltant, n’est-ce pas ? Pourtant, il fut un temps pas si lointain où cela passait aussi inaperçu qu’un filet de vinaigre dans la mayonnaise. Et puis, le 18 novembre 2013, la couverture du magazine américain TIME a mis le feu aux poudres. Elle montrait trois grands chefs, l’Américain David Chang, le Danois René Redzepi, et le Brésilien Alex Atala. Le titre, c’était : « Gods of food », les dieux de la nourriture, rien que ça. Et l’article les présentait comme les gourous qui allaient montrer à la planète le chemin du bien-manger au XXIème siècle. 

Et alors, me direz-vous, ce n’est pas une affaire Weinstein des fourneaux, après tout ! Non, mais c’est un scandale quand même.
Parce que les femmes nourrissent l’humanité depuis la nuit des temps.
Parce que Sophie Pic (Auberge du Pin, St Péray, Ardèche, 1889) ou la Mère Brazier à Lyon (1930’s) ont initié la grande cuisine.
Parce que le mot « cuisinière » évoque toujours les plats de « bonne femme », comme disait Bocuse, tandis que celui de « cuisinier » renvoie à la figure du grand chef. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Pierre Bourdieu, dans « La Domination masculine ».

Maintenant que je vous ai bien énervé(e)s, que faire pour que ça change ? Je vous propose d’agir, de militer, et surtout de vous régaler. Comme la journaliste gastronomique Maria Canabal, qui a créé le Parabere Forum, à la fois un réseau, une rencontre annuelle et une appli toute neuve qui recense les supers femmes chefs dans le monde. Lisez «  Faiminisme, quand le sexisme passe à table », de Nora Bouazzouni, un essai mordant sur la question. Regardez « À la recherche des femmes chefs », l’excellent film de Vérane Frediani, dont le titre anglais est « The goddesses of food » (tiens, tiens, juste retour des choses…) . Cette réalisatrice a aussi mis en ligne une carte de France des centaines de femmes chefs et publie ces jours-ci « Elles cuisinent », un livre sur Amélie, Adeline, Armelle et les autres, chez qui il faut surtout aller manger.
Parce qu’elles sont évidemment aussi brillantes que les chefs mâles, même si elles ont –pour l’instant- moins d’étoiles. 

Amélie Darvas : Aponem à Vailhan (Hérault)
Adeline Grattard : Yam’tcha à Paris
Armelle Krause : Le Clos aux Roses à Chédigny (Indre et Loire)

En partenariat avec Version Femina.

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