Ex-chercheuse en oncologie (l'étude des tumeurs cancéreuses), Alexia Cassar a changé de métier à 38 ans, quand sa plus jeune fille, âgée de seulement dix mois, a été touchée par une leucémie aiguë. Elle est devenue tatoueuse de tétons en 3D pour les femmes en rémission d’un cancer du sein. « Quand ma relation avec le cancer est devenue plus personnelle, j’ai eu besoin de me recentrer sur les miens avec un métier plus stable, plus utile et plus ouvert aux autres. Cette reconversion a sonné comme une évidence : le tatouage m’avait aidé à dépasser mes propres souffrances face aux épreuves de la vie, et j’étais convaincue que l’art pouvait aider à se reconstruire », confie-t-elle.
Le tatouage 3D est une technique de tatouage non médicale, basée sur le trompe-l’œil. Le but est de donner l’illusion du relief, de la texture et de la couleur de l’aréole et du mamelon après son ablation. « On redonne une symétrie avec l’autre sein ou on recrée complètement les deux mamelons et aréoles quand la mastectomie a été faite sur les deux seins », nous explique la quadragénaire. Cette technique, encore peu répandue sur le vieux continent, a été initiée au début des années 2000 aux Etats-Unis par des tatoueurs traditionnels comme Vinnie Myers. C’est d’ailleurs de l’autre côté de l’Atlantique, à San Antonio, au Texas, qu’Alexia est partie se former : « J’ai d’abord commencé chez un maître tatoueur près de chez moi. Cette période d’apprentissage a été précieuse pour comprendre la culture du tatouage, appréhender les différents types de peau et développer ma créativité. Puis, je me suis également formée à la dermopigmentation médicale, une technique exploitée à l’hôpital qui utilise des pigments semi-permanents pour colorer les aréoles après un cancer du sein. Mais j’avais besoin d’aller encore plus loin pour obtenir le niveau de réalisme nécessaire. Alors je suis partie me perfectionner aux Etats-Unis auprès d’une tatoueuse canadienne qui enseignait la technique du tatouage 3D sur des sessions de formation courtes ».
Comme à la maison
C’est en septembre 2017 qu’Alexia ouvre « The Tétons Tattoos Shop », le premier salon de tatouage français 100% dédié « à la restauration de l’estime de soi et de l’image corporelle après un cancer du sein ». Un petit studio de 20 mètres carrés, cosy et confidentiel, qui a fleuri au fond de son jardin à Marly-la-Ville dans le Val d'Oise. « J’avais envie d’un lieu qui ne soit ni un cabinet médical, ni un salon de tatouage traditionnel et pas non plus un cabinet d’esthétique. Tout cela donne un endroit assez unique dans lequel les personnes que je reçois se sentent très vite à l’aise », raconte-t-elle. Salué par le milieu médical, dont le centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy, l’Institut Curie ou encore la mutuelle Malakoff Médéric qui vient d’annoncer la prise en charge partielle du tatouage 3D pour ses adhérentes*, le projet d’Alexia a aussi été soutenu par les internautes. Via une campagne lancée sur la plateforme de financement participatif Kiss Kiss Bank Bank entre mars et mai 2017, la tatoueuse est parvenue à récolter plus de 33 000 euros en six mois grâce à la générosité de 400 donateurs. Un élan de solidarité qui lui a déjà permis de tatouer un peu plus de deux cent femmes et trois hommes.
L’ultime étape de la reconstruction
Alexia a bien conscience de l’importance du tatouage dans le processus de guérison. « Il finalise un parcours souvent long et douloureux, celui d’une personne qui a besoin de retrouver un peu de confiance en elle pour fermer cette parenthèse difficile », confie-t-elle. Par son histoire personnelle, Alexia connait les conséquences psychologiques et émotionnelles que la maladie peut avoir sur une femme, ainsi que sur ses proches : « Il s’agit d’aider la personne touchée à se regarder avec bienveillance, à aimer son image dans le miroir, même différente, parce que ce corps va l’accompagner pour le restant de sa vie… et si elle l’aime à nouveau, elle pourra laisser les autres l’aimer aussi ». Alors quand elle travaille, Alexia se munit de deux armes précieuses : son aiguille, bien sûr, mais aussi son humour. Lorsqu’une femme vient accompagnée de son ou de sa conjoint(e), Alexia veille à l’intégrer dans le choix du dessin. Et pendant la séance de tatouage, elle le fait participer à travers la verrière de l’atelier en communiquant tout au long de la réapparition du ou des tétons. Quand il s’agit de faire preuve de fantaisie, certaines patientes ne sont d’ailleurs pas en reste : « J’ai une personne qui m’a demandé de lui tatouer un téton vert, parce que, pour elle, ce ne serait jamais son téton d’avant mais qu’elle avait envie de se le réapproprier ainsi, raconte Alexia. On peut aussi faire autre chose que des tétons réalistes : des cœurs, des étoiles de mer, des coquillages, des fleurs… En fait, tout est possible ! ».
* Le prix d’un tatouage et de sa retouche à trois mois pour un sein est de 400 € et 600€ pour les deux seins (entre cinq et six heures de travail).
Ces stars qui ont eu un cancer du sein et en parlent sans tabou
