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"Salope", "gazelle", "je peux vous ramener ?"… La banalité du harcèlement de rue pendant le footing

Harcèlement de rue pendant le footing : des femmes témoignent
Regards pesants, propositions tendancieuses, insultes... quatre femmes racontent le harcèlement de rue qu'elles ont subi pendant leur footing. iStock

Ce samedi à Paris se déroulera la première édition de la «Sine qua non run», une course pour lutter contre les violences faites aux femmes, et contre le harcèlement de rue que certaines coureuses peuvent subir pendant leur jogging. Quatre femmes nous racontent leur expérience.

Virginie ne se sent "pas libre", quand elle fait son footing. Disons que son esprit est préoccupé. Avant de se détendre à coups d'endorphines - les hormones produites pendant un effort physique - ses neurones moulinent pour choisir son parcours, sa tenue. "J'évite de courir en short ou avec des vêtements trop moulants parce que je sens des regards. J'évite aussi les bois, pourtant plus agréables pour courir quand on habite à Paris, mais à partir d'une certaine heure, la population n'est plus la même", précise cette éducatrice spécialisée de 37 ans. Le but de la manœuvre est de ne pas (trop) attirer l'attention, de ne pas "se mettre en danger". De courir tranquillement.

Regards pesants, réflexions, insultes... sont le lot de nombreuses coureuses qui affirment subir un harcèlement de rue pendant leur jogging. 43% d'entre elles, selon une enquête réalisée en 2016 par le magazine américain Runner's World (1). Pour lutter contre cela, Virginie participera ce samedi à la première édition de la course Sine qua non run (2), au parc de la Villette (Paris, XIXe), organisée par l'association Tu vis ! Tu dis !. Deux parcours de 6 et 10 km, ouverts aux femmes et aux hommes, pour plus d'égalité au sein de la société et de l'espace public, pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. 100 % des bénéfices seront reversés à des associations (3) qui accompagnent les femmes victimes de violences.

Un danger ancré dans l'inconscient collectif

Harcèlement de rue pendant leur footing : des femmes témoignent
Le danger qui plane au-dessus des femmes pendant qu'elles courent est ancré dans l'inconscient collectif. iStock

L'enjeu qu'est cette réappropriation de l'espace public existe bel et bien pour Caroline, 23 ans. La jeune femme n'incrimine pas l'intégralité des hommes, mais insiste sur un fait indéniable selon elle : "quand je cours, je suis moins tranquille qu'un homme. Je suis plus vulnérable, je ne connais pas de technique de défense, je n'ai pas beaucoup de force, je suis une proie facile". En comparaison à un coureur, elle dit ne pas être "insouciante".

Le danger qui plane au-dessus des coureuses est ancré dans l'inconscient collectif et alimenté par les faits divers. "N'importe quelle femme qui court seule sait qu'elle ne doit jamais faire le même parcours, au risque que l'on repère son tracé, commente Lilith*, 33 ans. De toutes façons, quand vous courez seule, tout votre entourage vous rappelle que vous vous mettez en danger".

Propositions tendancieuses et insultes

Ce n'est pas de la drague, c'est très lourd

Dans la pratique, ce harcèlement que certaines coureuses rapportent prend différentes formes. Virgine parle de regards "un peu pesants", de "sifflements". Elle ajoute : "Ce n'est pas de la drague, c'est très lourd, on sent le côté péjoratif. On m'a déjà insultée de "pute", de "salope", on m'a déjà appelée "la gazelle"". Des hommes de tous âges, selon elle, "des petits jeunes, des "vieux cochons", des hommes en costume-cravate...". "Quand je cours en campagne chez mes parents en Picardie, j'ai aussi parfois le droit au commentaire d'une voiture qui ralentit et me demande "alors ça court bien ?"", indique Julie, une coureuse de 30 ans. "Ce n'est pas le cas tout le temps, mais les coups de klaxon alors que l'on ne gêne personne et les conducteurs de voiture qui demandent s'ils peuvent nous ramener, ça arrive", confirme Lilith.

Parfois, la réflexion et l'interpellation virent à l'agression. En sept ans de course à pied, Julie se souvient d'un entraînement autour du lac Daumesnil, dans le bois de Vincennes (Paris XII). Un homme l'accoste et lui demande s'il peut courir avec elle. Elle répond par la négative, il insiste. "Il m'a ensuite demandé si j'avais un copain, si je courais souvent seule ici. J'ai commencé à hausser le ton, il l'a mal pris et m'a dit que je faisais "ma sainte-nitouche alors que je courais à moitié nue"". Ce jour, Julie porte un short et un débardeur. L'événement prend fin quand la joggeuse décide de partir en courant dans le sens opposé, après que l'homme l'a insultée et tenté de l'attraper par le bras.

Si ce harcèlement n'est pas systématique selon les femmes interrogées, toutes en ont déjà fait les frais au moins une fois. C'était il y a trois ans pour Caroline, la coureuse vingtenaire. Lorsqu'elle marche en rentrant de sa course, une camionnette s'arrête à côté d'elle, un homme en sort et lui demande s'il peut lui toucher les fesses. "Ça m'a quand même un peu perturbée. J'en ai parlé à mes parents. Pendant les quelques jours suivants, je faisais attention aux gens que j'avais derrière moi dans la rue", décrit-elle.

Contraintes de s'adapter

Il n'est pas normal que les femmes ne se sentent pas en sécurité quand elles font du sport

En réaction à ce genre d'événements, certaines en arrivent à se remettre en question. Après son altercation autour du Lac Daumesnil, Julie se demande si tout le problème ne venait finalement pas de son short. "On finit par se dire qu'il était trop court, on se demande si on n'aguiche pas les hommes".

Résolues à ne pas s'empêcher de courir, elles s'adaptent, modifient leurs habitudes, abandonnent certaines plages horaires. Désormais, Lilith ne court plus qu'en groupe : "Je sais que ce n'est pas une solution et qu'en France, en 2018, on devrait pouvoir faire ce que l'on veut, mais c'est vraiment plus sécurisé. En plus ça m'a permis de progresser, je gagne sur tous les plans".

Depuis un an et demi, Virginie, coureuse de 37 ans, raréfie ses footings seule, porte des vêtements plus amples qu'avant, et opte aussi pour la course en groupe. Pour ne plus rien entendre, deux écouteurs sont toujours vissés dans ses oreilles. "Dans les transports, quand je rentre de ma course, je me couvre de nouveau, je remets un pantalon si je suis en short", ajoute-t-elle. Si Julie assure de son côté ne pas avoir vraiment changé sa façon de courir, reste qu'elle ne publie plus aucun de ses parcours sur les réseaux sociaux - pour éviter que quelqu'un ne repère ses horaires et itinéraires - et n'écoute plus de musique en courant. "Je stresse moins comme ça, je préfère savoir si quelque chose arrive derrière moi, surtout en campagne."

Ce samedi, Julie courra aussi la "Sine qua non run". Un bon moyen pour commencer à faire changer les choses, selon elle. La trentenaire insiste : "Il n'est pas normal que les femmes ne se sentent pas en sécurité quand elles font du sport, c'est le message à faire passer". L'autre participante, Virginie, estime que "cette course ne peut qu'aider" et qu'il serait judicieux d'en faire "quelque chose de plus national" par la suite.

* Le prénom a été modifié
(1) L'enquête de Runner's World (en anglais) est à retrouver ici.
(2) Informations et inscriptions sur sinequanonrun.com.
(3) Les bénéfices de la course seront reversés aux associations La maison des femmes, Fight for dignity, et Parler.

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234 commentaires
  • Alain D. 2

    le

    Je ne vois pas bien ce que le terme de gazelle peut avoir d'offensant ; au Maghreb, c'est un compliment.
    Quand à remettre un pantalon sur le short pour rentrer en transports, tous les hommes font cela depuis longtemps, je ne comprends pas bien quel problème il y a là.

  • Gaetana

    le

    A votre avis, qui utilise le mot "gazelle" ? il est temps de dire les choses telles qu'elles sont dans ce pays

  • Antonio Ippolito

    le

    Peut-être mon Français n'est pas suffisamment bon, mais pourquoi "gazelle" est-il un insulte?

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