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ReportageLuttes

À Romainville, près de Paris, la forêt sauvage résiste au béton

La forêt remarquable de la Corniche des forts, à cheval sur quatre villes de Seine-Saint-Denis, est menacée par l’aménagement d’une base de loisirs. Les opposants s’organisent pour ralentir l’avancée des pelleteuses et ouvrir le dialogue avec la présidente de la région Île-de-France, porteuse du projet.

  • Romainville (Seine-Saint-Denis), reportage

En lisière de la forêt de la Corniche des forts, les forces de l’ordre patrouillent. Ils interdisent l’accès à ce site remarquable aux opposants au projet d’aménagement porté par la région Île-de-France. Le motif : ils veulent que les ouvriers puissent reprendre le déboisement et le terrassement commencés le 8 octobre. « Sept personnes sont convoquées au tribunal administratif de Montreuil le 7 novembre pour avoir été contrôlées dans l’enceinte de la forêt le 22 octobre. On ne sait pas pourquoi seulement ceux-là. L’un d’eux est un photoreporter, avec carte de presse », raconte Sylvain Piron, militant au sein du collectif les Amis de la Corniche des forts.

Les opposants ont construit des barricades dans la forêt.

Patrick Karam, vice-président du conseil régional chargé de la jeunesse, des sports, des loisirs, de la citoyenneté et de la vie associative supervise également le dossier d’aménagement de la forêt. Il affirme que la mobilisation des opposants a porté préjudice à l’avancée des travaux, qui se sont arrêtés durant 2 semaines. « Les ouvriers étaient terrorisés, on les a mis en sécurité parce qu’on ne peut pas travailler dans ces conditions », dit-il, justifiant la présence policière.

Sur place, les militants discutent pourtant avec les forces de l’ordre. « Notre mobilisation pour préserver la forêt est non violente et joyeuse, afin d’empêcher tout débordement qui mettrait les citoyens en danger. Nous discutons avec les ouvriers, avec les policiers », explique Sylvain Piron.

« Ça nous intéresse d’ouvrir la forêt aux citoyens, mais pas d’en faire une base de loisirs » 

L’intérêt de la région Île-de-France pour l’aménagement des 28 hectares escarpés de cette forêt remarquable a commencé en 1994, quand le site a été choisi pour accueillir la base de loisirs que les élus imaginaient pour cette partie de la Seine-Saint-Denis. L’aménagement souhaité a connu plusieurs avatars. Celui de 2016, baptisé Ilex 2, est le dernier en date. Il est porté par la Région présidée par Valérie Pécresse (LR). D’après un courrier à ses administrés, la maire de Romainville, Corinne Valls, présente ainsi Ilex 2 : « 4,5 hectares vont former une zone consacrée aux loisirs et à l’observation de la nature. 2,4 hectares de zones d’écopâturage, fermés au public, mais entourés d’un chemin d’observation pour permettre le développement de nouvelles espèces végétales et limiter l’expansion d’espèces invasives comme la renouée du Japon. Cette zone redeviendra à terme boisée de façon naturelle. 1,1 hectare pour une zone d’activités ludiques créée dans un second temps. Les 20 hectares restants seront complètement fermés au public et sanctuarisés, permettant ainsi au bois, aujourd’hui à un stade de développement jeune, de devenir mature. De plus après les travaux, un hectare sera reboisé. »

La forêt de la Corniche des forts a grandi et s’est développée sur d’anciennes carrières de gypse. Les sols y sont mouvants et présentent un risque d’effondrement, raison pour laquelle elle est interdite au public. « Il y a une forêt, mais personne ne peut en profiter, ce qui est dommage », regrette Patrick Karam.

« Ce n’est pas qu’on ne veut pas ouvrir cette forêt, au contraire, ça nous intéresse de l’ouvrir aux citoyens, mais pas pour en faire une base de loisirs. On peut élaborer des projets légers avec une ou deux balades, et simplement sécuriser les carrières », répond Sabine Rubin, députée de Seine-Saint-Denis (La France insoumise). Pour l’élu régional Patrick Karam, l’accusation de porter atteinte à la forêt n’est pas justifiée : « Aujourd’hui, nous avons sauvé la forêt en ne reprenant pas le projet de l’ancienne majorité. C’était pour nous insupportable de détruire cette forêt-là », dit-il, en faisant référence au projet Ilex 1, qui, en 2001, prévoyait la destruction totale de la forêt et le comblement des carrières.

Sabine Rubin, députée de la France insoumise.

Sylvain Piron n’a pas la même lecture : « La Région et Valérie Pécresse prétendent apporter un projet plus écologique que le précédent, mais c’est faux, parce qu’ils oublient le projet intermédiaire de 2012 [1]. » Le militant ajoute : « Au bord de cette forêt, il y a un parc départemental, une grande prairie en pente avec des jeux d’enfants, qui sont maintenant désaffectés. Et ensuite, on veut détruire une forêt pour y mettre des jeux ? »

Le projet alternatif des Verts dans sa version de 2014.

La renouée du Japon, une plante considérée comme invasive, permet aux partisans du projet d’afficher leurs préoccupations écologiques. Dans un communiqué, Corinne Valls, la maire de Romainville, et Stéphane Troussel, le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, jugent que cette plante est une menace pour la biodiversité de la forêt. Un avis partagé par Patrick Karam : « Du point de vue écologique, le projet permettra de limiter l’expansion d’espèces invasives comme la renouée du Japon », explique l’élu régional en s’appuyant sur l’analyse d’un écologue. Selon les opposants, au contraire, les travaux pourraient disperser la plante au gré des déplacements des engins de chantier. Selon Pierre Serne, conseiller régional (Alternative écologiste et sociale – Génération.s), ce point aurait été noté par les écologues missionnés par la région.

« Pas de réponse de Valérie Pécresse » 

Autour de la forêt, la mobilisation des opposants ne faiblit pas. Ils se réunissent tous les jours à 7h30 et sont déjà des centaines à s’engager, en privilégiant deux modes d’action distincts. Il y a ceux qui souhaitent bloquer le chantier immédiatement en s’attachant aux arbres ou en montant des barricades. Et ceux qui tentent d’ouvrir un dialogue par des démarches juridiques. Ces deux pratiques restent complémentaires, selon Pierre Serne : « J’ai tendance à dire que, si on veut donner du temps aux avocats pour arracher un référé, il faut aussi ralentir le chantier au maximum par des actions de désobéissance civile, pour avoir encore des choses à sauver. »

En compagnie d’une quarantaine d’élus locaux et nationaux de différents partis, Pierre Serne a signé l’appel au dialogue lancé par la députée Sabine Rubin le 23 octobre. Les signataires demandent à Valérie Pécresse, la présidente du conseil régional d’Île-de-France, d’établir un moratoire pour réexaminer le dossier. « Je veux bien entendre le discours des uns et des autres, mais qu’on les entende ! » a expliqué Sabine Rubin, qui aimerait mettre tout le monde d’accord.

L’appel a été lancé en vain, selon Pierre Serne : « Pas de réponse de Valérie Pécresse. Seul écho, appris par la presse, elle demandait le recours à la force publique pour évacuer tout le monde du chantier. Elle avait dit vouloir reprendre des discussions, mais en réalité, elle veut que le chantier aille le plus vite possible. Il y a une volonté d’engranger le plus de choses irréversibles avant qu’un référé de justice tombe sur le chantier ou que des discussions mettent sur la table des variantes, des alternatives. »

Alors que le chantier doit reprendre cette semaine, les riverains de la forêt et les opposants au projet d’aménagement restent mobilisés. Un recours juridique est en préparation afin d’obtenir l’arrêt des travaux et l’ouverture d’une discussion. Mais le temps presse. « Le chantier avance et, à chaque fois, ce sont des arbres en moins. Le comble ce serait qu’à la fin, il y ait un jugement qui dise qu’on avait raison, mais que ce soit trop tard », craint Pierre Serne.


LES DATES CLÉS D’UN PROJET DE DEUXCENNIES

  • En 2001, le premier projet, nommé Ilex 1, imagine la destruction de la forêt de Romainville dans sa totalité afin d’y construire des galeries commerciales et de combler les carrières jugées dangereuses pour le public ;
  • En 2011, le projet de comblement intégral est refusé en l’état ;
  • En 2012, de nouvelles études sont réalisées. Les élus écologistes du département proposent un projet alternatif, une « écobase » visant à respecter l’aspect patrimonial lié aux carrières et suggérant des alternatives écologiques et légères sur l’aménagement de la forêt.
  • En 2013, Corinne Valls, maire de Romainville et vice-présidente du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, refuse le projet en raison du chemin emprunté par les camions ;
  • En 2014, les élus verts font une nouvelle proposition, dans le même esprit que celle de 2012 ;
  • En 2015, Valérie Pécresse est élue à la présidence de la région Île-de-France ;
  • En 2016, le projet Ilex 2 voit le jour. Plus mesuré qu’Ilex 1, il vise à combler 8 hectares des carrières sur 28. D’après le courrier rédigé par Corinne Valls à destination des habitants de Romainville, « 4,5 hectares vont former une zone consacrée aux loisirs et à l’observation de la nature. 2,4 hectares de zone d’écopâturages, fermés au public, mais entourés d’un chemin d’observation pour permettre le développement de nouvelles espèces végétales et limiter l’expansion d’espèces invasives comme la renouée du Japon (plante). Cette zone redeviendra à terme boisée de façon naturelle. 1,1 hectare pour une zone d’activités ludiques créée dans un second temps. Les 20 hectares restants seront complètement fermés au public et sanctuarisés, permettant ainsi au bois, aujourd’hui à un stade de développement jeune, de devenir mature. De plus après les travaux, un hectare sera reboisé ».
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