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Présidentielle à Madagascar : les femmes sonnent le réveil citoyen

Madagascar, un nouveau départ ? (5/5) Corruption, élections, dépense publique… Des militantes se battent pour que le pays revienne aux normes de bonne gouvernance.

Par  (Antananarivo, envoyée spéciale)

Publié le 07 novembre 2018 à 11h39, modifié le 08 novembre 2018 à 10h06

Temps de Lecture 4 min.

De gauche à droite : Hony Radert, secrétaire générale du Collectif des citoyens et des organisations citoyennes, Ketakandriana Rafitoson, directrice de Transparency Madagascar, Faraniaina Ramarosaona, coordinatrice du mouvement Rohy pour les élections, et Mbolatiana Raveloarimisa, fondatrice de Wake up Madagascar.

Il est difficile d’imaginer ce qui pourrait faire reculer Ketakandriana Rafitoson. Alors que Madagascar s’apprête à élire son président lors d’une élection dont le premier tour a lieu mercredi 7 novembre, la jeune directrice de Transparency Madagascar interpelle, invective, dénonce toutes les pratiques de corruption qui privent la Grande Ile d’un avenir meilleur. Personne n’est épargné. A commencer par les trois principaux candidats et ex-présidents, Hery Rajaonarimampianina, Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, qu’elle met dans le même sac lorsqu’il s’agit de remonter la chaîne des responsabilités du vaste trafic de bois de rose à destination de la Chine.

Madagascar se situe au 155e rang sur 180 dans le dernier classement sur la perception de la corruption publié en janvier par Transparency International. Elle a reculé de 20 places en quatre ans. Policiers véreux qui rackettent les chauffeurs de taxi-brousse, juges qui relaxent des coupables en échange de petites fortunes, diplômes et postes de fonctionnaires qui s’achètent, tarification parallèle des consultations médicales… L’argent est partout, pour échapper aux règles ou faire valoir ses droits.

Présentation de notre série Madagascar, un nouveau départ ?

Juriste promise à une brillante carrière, Ketakandriana Rafitoson a jeté l’éponge à la fin de son stage à la direction du contentieux de la primature. « Ça m’a dégoûtée, je suis partie, se justifie-t-elle. Etre juge ouvre la porte à tous les privilèges. C’est un nid à corruption. » En rejoignant l’organe de régulation de l’électricité, elle croyait trouver un endroit où satisfaire son ambition de servir l’intérêt général. Déception là encore, quand elle constata – et écrivit – que derrière les discours sur la transition énergétique, la part des énergies fossiles continuait d’augmenter dans le mix énergétique. Sa hiérarchie apprécia peu sa liberté de ton et elle partit. A Transparency, qu’elle a intégré en août, son travail « rejoint pour la première fois [ses] convictions ». Sous des dehors sages et une voix posée, Ke, comme on l’appelle, défend sa méthode : « La lutte anti-corruption doit être agressive, le fléau est tellement grand. »

« Nous avons du mal à mobiliser »

A l’image de Ke, ce sont souvent des femmes qui sont en première ligne du discours citoyen qui émerge pour dénoncer la défaillance des élites politiques et économiques malgaches.

Mbolatiana Raveloarimisa revendique elle aussi une forme de radicalité. Elle a fondé en 2013, avec une poignée d’indignés, Wake up Madagascar (« Madagascar, réveille-toi »). « En dehors d’échanges sur Facebook, on ne se connaissait pas vraiment. Et puis une nuit, nous avons décidé de créer ce mouvement et de mobiliser sur la Toile contre la gabegie de l’Etat et pour davantage de transparence », explique l’enseignante en géographie à l’université d’Antananarivo. Mais les clics sur Facebook ne font pas des manifestations dans la rue. « Nous avons du mal à mobiliser, reconnaît-elle. Les citoyens ont peur. La majorité d’entre eux a démissionné. »

En 2016, à l’occasion du sommet de la Francophonie à Antananarivo et de la visite du secrétaire général des Nations unies d’alors, Ban Ki-moon, Wake up Madagascar avait appelé les habitants de la capitale à sortir dans la rue avec une pancarte « Ils mentent » pour dénoncer le nettoyage de façade de la ville, censé donner une bonne image du pays aux hôtes étrangers. Finalement, « nous étions cinq face à plusieurs centaines de militaires ». L’an dernier, les militants ont pris pour cible le banquet organisé chaque année au palais présidentiel d’Iavoloha, en déposant des assiettes vides et un squelette recouvert d’un drapeau malgache.

« L’expression citoyenne est plus forte que lors du scrutin de 2013, constate Eva Palmans, la représentante du Centre européen d’appui électoral (ECES) à Madagascar. Mais comparé à d’autres pays africains, cela reste embryonnaire. Les mouvements qui occupent le devant de la scène ne regroupent souvent que quelques personnes et, dans un tel contexte d’impunité, leur impact reste limité. » Tous ceux qui au quotidien se débattent pour survivre ont aussi souvent du mal à comprendre la démarche de ces militants qu’ils considèrent comme des nantis.

« Nous devons savoir où va l’argent de l’Etat »

Il n’empêche, en se regroupant à partir de 2015 au sein de la plateforme Rohy, des ONG intervenant dans des domaines différents (environnement, droits humains, santé…), mais avec pour ambition commune la lutte anti-corruption, ont réussi à donner à leur cause une plus grande visibilité. L’aide financière octroyée par l’Union européenne leur a aussi donné de nouveaux moyens.

« ll y a une vague citoyenne qui veut que Madagascar revienne aux normes » de bonne gouvernance, assure Faraniaina Ramarosaona. « Militante à plein temps », comme elle se définit, Fana, qui a créé l’organisation Citoyen responsable, coordonne le suivi des candidats pendant la campagne. Chaque vendredi, une conférence de presse a été organisée pour pointer les dérapages et les entorses à une charte de bonne conduite que seulement un tiers des 36 prétendants ont accepté de signer. Elle a aussi porté les revendications de la plateforme en faveur d’un plafonnement des dépenses de campagne. En vain.

De son côté, Hony Radert, cheffe d’entreprise et secrétaire générale du Collectif des citoyens et des organisations citoyennes, traque l’utilisation de la dépense publique et la transparence des appels d’offres de l’Etat. « Eplucher des budgets, c’est un peu ingrat. Mais nous devons savoir où va l’argent de l’Etat », explique cette femme qui appartient à la « classe aisée » mais juge insoutenable d’avoir une croissance qui ne profite qu’à quelques privilégiés quand il y a tant de pauvreté.

« La période de la Transition [2009-2013] a été un moment de vol collectif, une poignée de gens se sont enrichis très vite aux yeux de tous », rappelle Mbolatiana Raveloarimisa. Le bilan détaillé de Hery Rajaonarimampianina, le président sortant, reste à écrire en la matière. Mais des scandales tels que « l’affaire Claudine », du nom d’une opératrice économique proche du président et impliquée dans des détournements de subventions publiques, en donnent d’ores et déjà la tonalité. Finalement emprisonnée, Claudine Razaimamonjy est l’un des rares cas de personnalité haut placée qui n’ait pas échappé à la justice. La mobilisation des voix citoyennes dans cette retentissante affaire a-t-elle joué ? Ke, Fana et Mbolatiana ne diront pas le contraire. Ce sont des victoires qui donnent la force de continuer.

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