Comment le sexisme imprègne le quotidien des enfants

Publié le Jeudi 08 Novembre 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Garçon qui joue au foot
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Un rapport de l'UNICEF paru ce jeudi 8 novembre met en lumière les inégalités de genre à l'école à travers une étude réalisée à grande échelle. Nous avons demandé à la géographe du genre Edith Maruéjouls son éclairage.
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L'UNICEF publiait ce jeudi 8 novembre un rapport sur l'égalité entre les filles et les garçons à l'école. Une enquête réalisée à grande échelle sur un échantillon de 26 458 enfants entre 6 et 18 ans, vivant en France métropolitaine et en Guyane.

Les mêmes questions ont été posées aux filles et aux garçons pour avoir leur ressenti et ainsi poser les réponses en "miroir". Il confirme que les espaces à l'école, notamment la cour de récré, sont dominés par les garçons. Ils sont au centre quand les filles occupent les contours. Elles sont aussi 45 % à déclarer avoir moins de droits que les garçons.

L'UNICEF expose dans son rapport la plus grande exposition des filles à la discrimination ethnique et religieuse et encore plus "quand il s'agit de discrimination liée à la tenue vestimentaire. Pour les filles, il ne semble pas y avoir de bonne réponse à l'oscillation permanente entre 'trop' et 'pas assez' féminine".

Les filles sont également jusqu'à deux fois plus harcelées sur internet, dans les transports ou dans l'espace public. Les filles sont aussi "davantage confinées dans l'espace domestique ou dans les lieux où elles se sentent en sécurité. L'expérience de la ville est donc difficile et les filles s'en extraient pour se protéger, laissant l'espace public aux garçons".

Pour réagir à cette étude, nous avons interrogé Edith Maruéjouls, géographe du genre, dont la thèse portait sur la "Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes. Pertinences d'un paradigme féministe". Elle est chercheuse associée à l'université Bordeaux-Montaigne, a fondé le bureau d'études l'ARObE, l'Atelier recherche observatoire égalité et intervient auprès de professionnel·les sur l'égalité à l'école.

Terrafemina : Est-ce que le rapport de l'UNICEF ne dévoile pas quelque chose que l'on savait déjà ?

E.M. : Ce rapport est intéressant parce que c'est une étude quantitative et que moi, j'ai fait du travail empirique, en faisant du face-à-face avec des filles et des garçons. J'ai travaillé avec beaucoup d'écoles mais cela reste un travail qualitatif.

Là, cette étude montre l'ampleur du phénomène puisqu'il y a 26 000 répondants et répondantes à ces questionnaires. Et en plus, sur les 10-18 ans, ce qui permet de voir les étapes, de l'école élémentaire au collège et au lycée.

Ce rapport montre comment cette question des stéréotypes et du sexisme est agissante dans la vie quotidienne de ces enfants, filles comme garçons. Et, les questions qui ont été posées en miroir permettent de voir l'impact social que cela a sur le groupe social des filles et celui des garçons.

Ce sont des choses que l'ont dit depuis des années, peut-être depuis des décennies, ce travail sur la construction sociale des filles et des garçons, c'est un discours féministe qui est porté depuis toujours.
Mais c'est important de l'entendre et de voir qu'il y a une permanence.

Notre société évolue, les relations entre les filles et les garçons et les femmes et les hommes évoluent. D'ailleurs, ce qu'il y a d'intéressant dans ce questionnaire, c'est la question de la sociabilité sur internet où l'on retrouve exactement les mêmes phénomènes.

Est-ce que ces discriminations filles-garçons se transposent sur internet ?

E.M. : Elles ne se transposent pas, elles sont perméables. Comme les espaces de vie de tout à chacun et de tout à chacune. C'est l'espace public ou semi-public du travail, l'espace semi privé ou privé. C'est ce qu'ont montré les féministes. Tout est lié. Les choses rebondissent d'un espace à l'autre et sont perméables. Se rejoue dans tous les espaces, de manière symbolique et plus ou moins consciente, que le groupe social des filles est à inégale valeur.

Derrière, elles seront à inégalité : elles seront moins payées, plus précaires. Et derrière, il y a aussi la question de la relégation par l'évaluation du corps. C'est extrêmement fort et c'est quelque chose que l'ont retrouve sur la question de la tenue vestimentaire chez les filles.

J'ai trouvé ça vraiment intéressant [dans le rapport de l'UNICEF] la charge mentale qui est lié à la tenue vestimentaire, c'est encore quelque chose de supplémentaire dans la vie des femmes, des jeunes femmes et des filles. C'est une pression qui est relevée dans ce questionnaire.

Voyez-vous une évolution depuis que vous avez commencé à travailler sur ce sujet ?

E.M. : Sur ces questions-là, il y a toujours eu des femmes et des hommes qui se sont positionné·es, professionnels comme parents, qui ont continué à lutter et qui ont été confronté·es à des résistances. Des résistances parce que cela crée des miroirs, comment je regarde l'autre et comment je me vois dans l'autre. On l'a vu avec #MeToo qui a créé des résistances très fortes.


Maintenant ce qui est important, c'est la prise de conscience collective, mais aussi la plus grande médiatisation de ce sujet. Il faut une exigence avec la parole à l'expertise, avec des gens qui ont bossé dessus, qui ont un prisme, un paradigme féministe mais qui savent le défendre et l'objectiver.

Je travaille beaucoup sur des micro-espaces, dans des écoles en milieu rural, avec des élu·es. Il y a une prise de conscience collective, avec plus ou moins d'ampleur. Peut-être que l'institution devrait plus se positionner. Mais la question de ce que j'appelle la capillarité- "Je lance le caillou et cela fait des ronds autour de moi"- que cela soit les professionnel·les enseignants ou enseignantes, les parents -souvent les mères-, et les enfants eux-mêmes.

Il y a une prise de conscience possible et quelque chose se joue dans la capacité à construire un esprit critique et de se dire que j'ai d'autres possibles dans la relation.

Mon but aussi, c'est de déconstruire le monde des garçons, leur poser à eux directement la question. A leur faire comprendre d'abord les souffrances qu'ils s'imposent dans ce système, et qu'est-ce qu'ils ont a gagner à continuer et ce qu'on a à y perdre en changeant les choses. Il y a une possibilité de déconstruction et de résistance.

Parce qu'il y a une possibilité de cooptation aujourd'hui. Dans un groupe de garçons, si tu n'es pas d'accord avec ton pote, il faut que tu puisses lui dire. Il faut qu'ils s'expriment. Nous aussi, on a à s'interroger en tant qu'adultes.

Est-ce que les pouvoirs publics, l'Éducation nationale, se penchent sur ces sujets-là ?

E.M. : C'est une question délicate et intéressante, c'est ce que j'appelle "la balle rebondissante". Dans un établissement scolaire, vous avez plusieurs intervenant·es. Il y a quelqu'un qui construit, qui structure l'équipement, un·e autre qui aménage la cour de récréation, le personnel municipal, l'Education nationale, les parents.

Et à l'intérieur de chaque corps de métiers, quand je prends par exemple l'aménagement de la cour d'une école élémentaire, vous allez rencontrer la mairie, les élus à l'éducation vont vous dire : "Oui, c'est bon madame, j'ai compris mais c'est pas moi, c'est les services techniques". Là, on me dit : "Madame, c'est pas moi, ce sont les architectes". Et les architectes me disent eux que ce sont les élu·es qui ne veulent pas. Donc je fais tout ce travail autour de cette balle rebondissante. Quand je préconise, j'ai tout le monde autour de la table, le service éducation, le service technique, l'architecte.

Je pense également qu'il y a un défaut institutionnel. Il y a une problématique sur la formation des enseignant·tes. Pour faire l'égalité, il faut une forme d'expertise, ce n'est pas naturel. On ne discrimine souvent pas de façon volontaire évidemment.

Je forme beaucoup au travers des syndicats enseignants, mais l'institution en tant que telles, c'est compliqué. Dans les textes, il y a une vraie exigence sur l'égalité filles-garçons. Mais c'est dans les moyens et la manière de l'organiser.

Que peut-on faire en tant qu'enseignant·es ?

E.M. : On ne peut pas balancer d'outils comme cela. Il faut qu'il y est une démarche professionnelle que j'appelle "égalité intégrée". Dans l'institution, il faut savoir si cela fait consensus pour tout le monde.

De manière globale, cela doit être une réflexion sur les fonds documentaires : "Qu'est-ce que je donne à lire ? Que je donne à écrire, comme les phrases de la dictée par exemple comme : 'Maman est dans la cuisine, papa est dans le jardin'. Quel est le message qu'il y a derrière pour les enfants ? Comment je mets du débat sur ces questions-là, comment je valorise des figures féminines. On est sur de l'outil pédagogiques dont l'objectif est d'arriver à l'égalité."


Cela peut être une démarche individuelle, mais cela peut être un projet au sein de l'école. On va faire manger les filles et les garçons ensembles, les faire jouer.

Est-ce que cela n'est pas quelque chose qui commence encore plus tôt que l'école élémentaire ?

Comment je mets des cadres à l'émancipation pour que les mineurs puissent faire des choix conscients et avoir tous les possibles ? En maternelle, vous êtes un petit enfant qui déjà va essayer de vivre en collectivité, sa récréation, sa sieste.

Pour moi, c'est toujours une question d'adulte. Plus on grandit et plus on est en capacité de construire un discours. Ils et elles peuvent s'interroger sur leur quotidien. Quand j'interviens dans les classes, je ne dis pas aux filles : "C'est ça votre problème". Non, je leur demande d'abord ce qu'est leur quotidien, "A quoi tu joues à la récréation, par où tu passes dans la cours ?. C'est avec leur mots qu'ils comprennent.

Quand on est au lycée, c'est là qu'il faut parler du consentement et de la relation intime à l'autre. Quelle est l'intention aussi dans le harcèlement. Ça n'est pas que ce que l'autre reçoit, mais aussi sur ce que je mets moi là-dedans.

A 77 ans, vous pouvez changer d'avis, donc cela doit être constamment travaillé. C'est ce que l'on doit dire aux jeunes : "La maintenant, tu dois te demander ce que tu construis pour toi et pour les autres."

Est-ce que selon les territoires, les questions d'égalité changent ?

J'ai travaillé dans des collèges privés ou publics, en zones d'éducation prioritaires, en zones rurales. Mais pour moi, les phénomènes sont toujours les mêmes. Ce que je vois dans ce rapport, c'est que la différence, c'est la manière de l'exprimer. Dans les quartiers populaires, il y a une forme de franchise, il n'y a pas le voile du politiquement correct et du culturel ou du "quel mot je dois utiliser".

Les garçons ont peur d'être traité d'homosexuels, et les filles ont peur qu'on les juge, de leur réputation. Et ça c'est depuis la nuit des temps. Pas plus que dans les collèges bourgeois, vous verrez des garçons qui se mettent à danser au milieu de la cour ou qui font des activités dites de filles.

La différence, c'est que pour les enfants des quartiers populaires, cela est dû essentiellement à la pauvreté de leurs parents aussi, c'est le monde des possibles qui est compliqué, les échappatoires sont difficiles. Donc il reste "je suis une fille, je suis un garçon". Il faut pouvoir se créer identitairement dans une société.

Même en CM1-CM2, la chose sur laquelle les petits garçons ne veulent pas céder. Avoir le droit d'être faible, ça ne leur est pas possible, ils ne peuvent pas l'entendre. C'est pareil sur la question de l'homophobie. Ça n'est pas exacerbé, c'est juste qu'ils ont l'honnêteté de le dire que d'être identifié comme homosexuel, c'est un vrai risque.