Égalités / Société

#MeToo a déjà changé les perceptions et comportements des hommes

Plus d'un an après la vague de libération de la parole, bilan d'un mouvement sans précédent.

66% des hommes pensent que les hashtags «Balance ton porc» ou «Me too» ont été «une bonne chose»| Traveler via Unsplash CC <a href="https://unsplash.com/photos/PLK_eLmC3Ew">License by</a>
66% des hommes pensent que les hashtags «Balance ton porc» ou «Me too» ont été «une bonne chose»| Traveler via Unsplash CC License by

Temps de lecture: 14 minutes

On a parlé de «vague», de «mouvement», voire de «révolution». On a pronostiqué que rien de serait plus comme avant. Que les rapports de séduction allaient évoluer vers plus d’égalité. Que les femmes, débarrassées de la crainte d’être emmerdées ou agressées, allaient être plus fortes, plus belles, dans leur liberté assumée. Que les hommes, délestés du poids d’une virilité toxique, stéréotypée, obligée, pourraient enfin se livrer à leurs émotions, toutes leurs émotions, et leurs envies, sans crainte d’être jugés «efféminés» –entendre : faibles, inférieurs. Apprécier d’être séduits, à leur tour, dans un équilibre des personnalités plus que des genres. En sortant des faux dilemmes et des oppositions construites. Et sans mimer une violence qui enferme.

Et puis, il y a eu la contre-révolution. Le «backlash», comme le nomment les féministes. Ce retour de bâton que sonnait la tribune des 100 femmes, en faveur de la «liberté d’importuner». On entend déjà certains esprits chagrins, à l’instar de beaucoup de Français, affirmer que #MeToo était un coup d’épée dans l’eau. Un ronronnement qu’on a beaucoup lu et vu, à propos de mai 68 (Alain de Benoist : « Avec ou sans Mai 68, nous en serions au même point »). Une façon de le décrédibiliser. Un an après, il est difficile de mesurer précisément les fruits de #MeToo auprès de ceux dont on attend principalement une évolution, c’est-à-dire: les hommes. Mais en épluchant les sondages existants, et en interrogeant des experts, expertes, et des anonymes, on peut essayer de dresser un bilan. 

Une prise de conscience

D’abord, c’est un fait, #MeToo a été bien reçu par la très grande majorité des hommes. Et c’est sans doute ce qui fait sa force. Plusieurs sondages en attestent. En mars, dans une enquête Ipsos pour Questions Directes, 66% d’entre eux pensaient que les hashtags «Balance ton porc» ou «Me too» étaient «une bonne chose». En juin, un autre sondage (Le Parisien Week-End/Aujourd’hui en France-OpinionWay) montrait même un enthousiasme encore plus grand: 90% pensent que l’écho donné à l’affaire Weinstein est légitime, 87% «nécessaire», même si certains le jugent «excessif». 

Mieux: une partie des hommes (16%) disent, dans un troisième sondage, que #MeToo a changé la façon dont ils perçoivent la question du harcèlement sexuel (Harris Interactiv pour RTL Girls, septembre). Ce chiffre atteint même 25% chez les moins de 35 ans (11 points de plus que pour les femmes de moins de 35 ans). Un quart des jeunes hommes a donc évolué sur cette question, et #MeToo n’aurait rien changé? Quelle campagne de publicité, de communication, ou quel article ou émission peuvent se vanter d’un tel résultat? 

Et puis il y a d’autres indices, imperceptibles. J’ai lancé avec mes comptes Twitter et Facebook un appel à témoignages pour cet article: je crois n’avoir tout bonnement jamais reçu autant de messages. Mes excuses si je ne peux pas tous vous citer, je vous ai néanmoins tous lus. Vos témoignages m’ont parfois vraiment touchée. Et surtout, ils montrent que chez beaucoup d’entre vous, #MeToo a eu un écho profond, durable (même si bien sûr, ces témoignages n’ont pas été recueillis scientifiquement, avec un échantillon large et représentatif de la population). En voici un exemple, celui de Jérémy, 35 ans, journaliste: 

«Le mouvement #MeToo a été un révélateur. Quand le rideau tombe et dévoile l'ampleur du désastre, on est tout d'abord consterné. Pendant des jours et des semaines, j'ai parcouru des récits, vu et lu la souffrance, le non dit, les doutes, la honte, le poids de la société sur les épaules des victimes. Je suis également tombé sur les témoignages d'amies, d'estimées consœurs, de proches. J'ai découvert des cicatrices dont j'ignorais tout. J'ai pleuré parfois en parcourant certains passages. J'aurais voulu leur dire que j'étais avec elles, que je les soutenais, que je les aimais pour ce qu'elles étaient et pour ce qu'elles avaient eu le courage de faire. J'aurais voulu leur transmettre un peu de force. Mais c'eût été dérisoire. On ne soigne pas un cœur blessé avec une tape amicale sur l'épaule. Pour y arriver, il faut se taire, écouter sans juger. Il faut être attentif et sincèrement disponible. Avant le mouvement, j'aurais pu laisser passer une blague grivoise, une remarque sur une tenue. J'aurais sans doute pu continuer de tolérer ce supérieur hiérarchique à l'attitude trop souvent déplacée à l'encontre d'une collègue. J'aurais également pu poursuivre ma route sans connaître toutes ces histoires poignantes qui en disent tout aussi long sur les victimes que sur les hommes de ce siècle. J'aurais pu. Mais c'est fini.»

«Je me sentais responsable en tant qu'homme, de ce regard qu'on pourrait appeler le regard de la sexualité weinsteinienne. La sexualité weinsteinienne nous regarde tous depuis le néolithique»

Raphaël Liogier

Jérémy n’est pas le seul. Les messages dans ma boite regorgeaient de phrases similaires, résumant la prise de conscience. Un tel dit avoir «ouvert les yeux». Un autre «découvrir des choses dont [il] n'avait jamais entendu parler même sur le registre de la confidence». Un troisième affirme que #MeToo a «profondément remis en question [son] regard sur les relations hommes-femmes». Et ainsi de suite… 

Le philosophe Raphaël Liogier a été si profondément bouleversé, qu’il en a fait un livre, Descente au cœur du mâle: de quoi #METOO est-il le nom ?: «J'ai vu que mon regard était un regard tendanciellement comme ça, que je devais le contrôler, que je devais le gérer, mais qu’en fait, j’étais un homme. C’est-à-dire, que mon regard, fonctionnait comme ça [...] Je me sentais responsable en tant qu'homme, de ce regard qu'on pourrait appeler le regard de la sexualité weinsteinienne.  La sexualité weinsteinienne nous regarde tous depuis le néolithique», raconte-t-il dans (l’excellente) émission Les couilles sur la table, de Victoire Tuaillon. 

Cette révélation ne touche pas que les hommes hétérosexuels:  «C'est là où, pour moi, Me Too a changé en profondeur ma vision des enjeux d'égalité, c'est qu'il m'a permis de vraiment comprendre que les LGBTphobies étaient un symptôme, et que la cause profonde des violences et des inégalités tenait aux enjeux liés au genre», explique par exemple Franck Aubry, 26 ans, chargé de mission.

Le passé à la moulinette

Cette prise de conscience a eu, chez certains hommes, un premier effet concret: ils ont, pour beaucoup, revisité leur passé. «Suis-je bien sûr que lorsque j’ai dit telle ou telle chose, je n’ai pas blessé? Ne suis-je pas allé trop loin à cet instant? Etait-elle vraiment d’accord ?» sont les questions que nombre d’entre vous se sont posées au moment de #MeToo: «J'ai par deux fois demandé à des femmes si je n'avais pas été grossier - ce que je pense je n'aurai pas demandé avant le mouvement», confie Christian, 37 ans, photographe. 

«Avec ce contexte, j'étais mal à l'aise, donc je lui ai écrit pour vérifier», écrit Marc*, 32 ans, consultant, qui avait eu une relation avec une collègue de travail, et voulait s’assurer que la relation professionnelle n’avait pas exercé une forme de «pression» sur la partenaire en question.  

«Je suis plus sensible au fait par exemple de ne pas participer aux "blagues douteuses" qu'on entend parfois dans le milieu de l'entreprise par exemple»

Bruno, 35 ans, journaliste

«La honte d'avoir été quelqu'un d'irrespectueux est un sentiment important pour l'être au moins un peu moins dans l'avenir», philosophe Aurélien*, 27 ans, enseignant. 

Victoire Tuaillon a elle aussi reçu beaucoup de messages similaires d’auditeurs, et a également constaté une prise de conscience de certains proches: «Dans les hommes les plus proches de moi, j’en connais trois qui ont envoyé des messages d’excuses à des femmes». J’ai moi-même reçu plusieurs messages inquiets d’anciens amants, qui m’ont émue (rassurez-vous, ils se sont très bien comportés). 

Une vigilance accrue

 

Une fois le regard porté sur soi, et la prise de conscience amorcée, certains se sont montrés beaucoup plus attentifs à ce qui se passait autour d’eux:  «Quand j'entends des propos déplacés, je corrige mes collègues», confie François, 27 ans, ingénieur en nano-électronique en Belgique. 

«Quand tout le monde est bien alcoolisé dont moi, eh bien je reste maintenant vigilant aux situations bizarres qui peuvent arriver», raconte Fabien, 44 ans, également ingénieur. 

«Je suis plus sensible au fait par exemple de ne pas participer aux "blagues douteuses" qu'on entend parfois dans le milieu de l'entreprise par exemple», explique Bruno, 35 ans, journaliste. 

Rodolphe*, un étudiant de 24 ans qui «déteste les conflits», «ose» quant à lui à présent faire des remarques à ses potes «quand ils font des conneries». Beaucoup d’autres nous ont confié des récits similaires. 

Agir sur soi 

À défaut (ou en plus) d’agir sur les autres, on peut essayer de se pencher sur soi-même. Cela paraît le plus évident, et pourtant, c’est le chemin le plus difficile. «Nul n'est plus que soi-même étranger à soi-même», dit Nietzsche. Difficile de s’observer soi-même de l’extérieur en toute objectivité. Et encore plus difficile de se faire prendre à soi de nouvelles habitudes, quand celles-ci sont installées depuis des années, voire des décennies (des millénaires, à l’échelle d’une civilisation…). 

C’est ce que dit Rodolphe: «Cela fait très longtemps que je suis "sensible" à la cause féministe, et je fais des gros efforts pour faire évoluer mon comportement en société: ne pas couper la parole aux femmes, ne pas les rabaisser ou les ramener à des attributs "féminins". Mais je me suis rendu compte, peut-être encore plus depuis #MeToo, que c'était vraiment très dur. Je pense que certaines choses sont vraiment ancrées en moi, et même avec beaucoup de bonne volonté, beaucoup d'introspection, je continue à faire des choses déplacées envers les femmes (comme typiquement leur couper la parole, ou parler plus fort). Mais j'essaie d'y faire très attention, de plus en plus»

C’est pourquoi les chiffres qui proviennent de divers sondages (je crois que j’ai envoyé des mails à tous les instituts de sondage qui existent en France, ou presque), me paraissent hautement encourageants: 

  • 27% des hommes admettent que la libération de la parole des femmes a modifié leur façon de les aborder. (dans un sondage Ipsos mené en décembre 2017 pour le magazine GQ, et publié en février)
  • 39% affirment faire «plus attention à leurs propos et à leur attitude envers les femmes». (Dans un autre sondage du même institut, mené pour pour Questions Directes, en mars) 
  • Et même 48% des moins de 35 ans. Presque la moitié des hommes de cette catégorie d’âge, celle qui construira la société de demain !  

Dans les témoignages que j’ai reçus, ces efforts sont également exprimés: «Je me retrouve souvent à me reprendre en début de phrase parce que j'étais sur le point de couper la parole d'une femme», confie par exemple Aurélien*. «Je fais  plus attention à laisser la parole aux femmes», dit aussi Christian*.Ces transformations se déclinent dans divers lieux, avec des chiffres un peu différents.

Au travail, par exemple, 19% disent «faire attention à leur propos avec leurs collègues femmes» (sondage Le Parisien Week-End/Aujourd’hui en France-OpinionWay, juin). 

Dans l’espace public (la rue, notamment), 8% des hommes disent avoir changé la façon dont ils se comportent, et même 12% pour les moins de 35 ans (Harris Interactiv pour RTL Girls, septembre). «La nuit, je me décale bien sur les trottoirs pour laisser passer les femmes. J'essaye de les dépasser pour ne pas donner l'impression que je les suis. Dans les transports en commun je m'assieds de préférence à côté des hommes. Tout ça parce que je me suis rendu compte du nombre astronomique d'actes "anodins" pouvant être oppressant», raconte François, l’ingénieur belge.

Et les autres hommes, ils changent?

 

Pour nuancer le tableau, il faut ajouter que pour certains, #MeToo n’a été qu’un accélérateur: «Comme je suis féministe dans un milieu souvent acquis à la cause des femmes, parler du harcèlement n'est pas nouveau pour moi, mais il est certain que cette discussion autour de ce thème s'est accentué en soirée», raconte par exemple Christian.

Mais surtout, dès qu’on les interroge sur leur entourage, le constat devient beaucoup plus pessimiste: «Je n'ai absolument pas remarqué de changement, d'évolution, sur ces sujets, qui serait à la mesure de la petite révolution qui avait été annoncée», estime Thomas*, 35 ans, intermittent.  «Les bourrins machos restent des bourrins machos encore plus frustrés peut être», résume Christian.

 «Je sais pas si les hommes autour de moi ont changé. J'ai pas l'impression. La plupart ça leur est passé au dessus. #Metoo c'est pas mal un phénomène Twitter aussi. Ça crée un prisme déformant», analyse Marc*. 

Un pessimisme en partie partagé dans les sondages, où seule une minorité d’hommes déclare avoir observé un changement. À la question «Diriez-vous que dans votre environnement professionnel depuis l’affaire Weinstein il y a, plus, autant ou moins de blagues sur les collègues féminines?», environ 20% d’hommes répondent qu’il y en a «moins» (Le Parisien Week-End/Aujourd’hui en France-OpinionWay). Idem pour les «commentaires sur les tenues des femmes» (20% en voient moins). L’impression domine donc que dans la vaste majorité des entreprises, il n’y a pas eu de changement positif. Mais en même temps, tout le monde n’est pas aussi observateur, ni là au bon moment. Si seuls 30 à 40% des hommes affirment avoir changé leurs comportements, il n’est pas illogique que 20% seulement s’en rendent compte...

Le réveil de certaines peurs

Et ce constat pessimiste s’explique aussi parce qu’à côté des changements encourageants cités plus hauts, on note aussi un certain désarroi. Le sentiment d’être paumé, de ne plus savoir comment s’y prendre. Une crainte de heurter qui peut se traduire par une forme de paralysie: «Je n'arrive plus à surpasser ma timidité», confie Théo, 28 ans, développeur web. En ajoutant: «J’ai l'impression qu'un geste déplacé (qui reste stupide) est presque au même niveau qu'un viol. Certainement à cause de quelques tweets qui ont eut autant voir plus de visibilité que pour des agressions bien plus graves».

D’après le sondage du Parisien, 6% des hommes «ont peur de mal faire» s’agissant de leur comportement avec les femmes dans leur environnement professionnel. #MeToo «a paradoxalement rendu plus dure la conversation sur ces sujets en privé ou professionnel», constate Rajiv, 33 ans, chef d'entreprise. 

«Il y a un trouble masculin que je ne conteste pas, mais il n’est pas nouveau. C’est un très ancien discours qui n’a pas attendu les conquêtes féministes et encore moins #MeToo»

Olivia Gazalé, autrice du livre Le Mythe de la virilité

Ce sentiment d’être paumé est parfois exprimé sous l’expression de «crise de la masculinité» ou de «crise de la virilité». Un sentiment, rappelle Olivia Gazalé, autrice du livre Le Mythe de la virilité, qui est loin d’être le produit de notre époque: «Il y a un trouble masculin que je ne conteste pas, mais il n’est pas nouveau. C’est un très ancien discours qui n’a pas attendu les conquêtes féministes et encore moins #MeToo. Aristophane, dans Les Nuées,  faisait déjà état d’un déclin de la virilité dans les jeunes générations»

Elle cite le texte grec, dans lequel la figure du «Juste» accuse la nouvelle éducation de faire prendre aux jeunes gens des « mollesses » féminines. Et donne d’autres exemples: «Une des thématiques de la Révolution française, c’est de dire que les courtisans sont des efféminés qui ont perdu tout sens de la virilité. J’ai commencé mon livre quatre ans avant #MeToo et ce thème existait déjà.  Je ne conteste pas le fait que l’émancipation des femmes ait pu contribuer à déstabiliser le modèle viriliste, mais je pense que cette déstabilisation est surtout imputable à d’autres facteurs, comme l’effondrement du mythe guerrier, ou les transformations dans le monde du travail», notamment. 

Flippés d’être accusés 

À côté de ce sentiment de perte de repères, parfois diffus et confus, existe aussi une crainte beaucoup plus précise, et lancinante: celle d’être accusé injustement. Une peur qui relativise le sens des sondages précédents, de ces hommes qui disent faire «plus attention», sans qu’on sache s’il s’agit là de bienveillance nouvelle ou d’une façon d’éviter les ennuis. 

«Les hommes sont plus attentifs car ils ont l’impression d'être dans le collimateur», estime Raphaël Liogier, qui est professeur des universités à l’IEP d’Aix-en-Provence et au Collège international de philosophie de Paris. 

42% des moins de 35 ans craignent la diffusion sur internet d’infos compromettantes, selon le sondage Ipsos GQ cité plus haut. Et 7% limitent les interactions avec des collègues en tête à tête, selon le sondage du Parisien. 

Une peur qui n’est pas incompatible avec un accueil positif de #MeToo, comme en témoigne le récit de Thomas*: «J'ai repensé à cette fois où en fin de soirée j'ai tenté balourdement d'embrasser une fille qui ne s'y attendait sans doute pas, avec un gros malaise à la clé. Je m'étais évidemment excusé, nous nous étions recroisés sans souci plus tard et j'ai pu me rendre compte que le malaise était bien dissipé. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de faire ce lien avec ma situation, de façon peut-être un peu paranoïaque: serais-je susceptible de faire l'objet d'une accusation liée au mouvement #MeToo pour un truc de ce genre? Ou même pour un regard insistant, un acte banal dont je ne mesurerais peut-être pas la gêne qu'il peut provoquer? C'est la seule crainte que j'ai eue et j'avoue qu'elle me semble peser très peu par rapport à l'énormité des choses qui restent à accomplir dans tous les domaines pour en finir avec les violences faites aux femmes ou les différences de traitement entre les femmes et les hommes sur le lieu de travail, dans l'éducation, etc.» 

Ou celui de Julien*: «Dans l’ensemble #MeToo est une chose plutôt positive, mais à côté je me suis dit que les mecs allaient passer un sale quart d’heure. Et que dans le tas, il y avait forcément des gens qui allaient se retrouver dans des situations traumatisantes», explique ce prof d’EPS de 35 ans, qui déclare avoir pâti avant #MeToo deux dénonciations calomnieuses de ses élèves.  

L’immense majorité des témoignages était anonymisée, et mettait l’accent sur le récit de scènes vécues plutôt que sur l’envie de pointer untel.

D’autres témoins interrogés détestent franchement #MeToo pour cette raison. Comme Francis, 51 ans, enseignant, qui dit avoir vécu «des accusations mensongères dans le contexte d'une séparation» (des plaintes pour «violences psychologiques» classées sans suite, dit-il) et juge que le mouvement est «instrumentalisé à titre individuel par des femmes pour nuire à certains hommes dont elles veulent se venger»«C'est le retour de la logique de la chasse aux sorcières: le lynchage public, sans preuves, sans processus judiciaire raisonnable, sur fond de pleurnicheries incessantes. C'est le moyen âge 2.0», estime-t-il.

Les dénonciations calomnieuses ont peut-être existé pendant #MeToo. Mais, rappelle Raphaël Liogier, très peu de noms ont été donnés. L’immense majorité des témoignages était anonymisée, et mettait l’accent sur le récit de scènes vécues plutôt que sur l’envie de pointer untel. Le sociologue et philosophe a ainsi analysé pendant une semaine entre avril et mai le hashtag #MeToo sur Twitter et il a constaté «que les énonciations d’individus étaient infimes». «Sur une semaine, on ne trouvait pas de dénonciations», analyse-t-il, ce qui lui fait dire qu’elles doivent représenter «moins de 1%» de ce qui a été dit à ce moment-là. 

La peur de la fin de la séduction

Parfois à cause de cette peur des plaintes, certains hommes, y compris parmi les soutiens de #MeToo, craignent que les relations de séduction ne se tendent, et qu’elles soient moins fluides. «Cela clive les sexes plutôt que cela ne les rassemble», juge Julien*. «J'espère que la possibilité de l'animalité de la rencontre fortuite de la folie continuera à exister  Et que le spectre du puritanisme qui plane au-dessus de ce mouvement essentiel et historique ne gagnera pas trop la société», écrit Marc*. Il salue en même temps #MeToo, qui, espère-t-il «permettra même aux femmes d'être plus sereines car mieux respectées»

Cette ambiguïté est présente dans les sondages également, car si, comme on l’a vu plus haut, 90% pensent que que l’écho donné à l’affaire Weinstein est légitime et 66% pensent que les hashtags #Balancetonporc ou #Metoo sont une «bonne chose», ils sont également 45% à penser «que les hommes vont moins oser avec les femmes» (Ipsos GQ, décembre).

La peur est un carburant explosif pour une société, qui la cimente ou la divise. Elle est le moteur d’une réaction identitaire, qui peut être inclusive (le «Je suis Charlie» post-attentat, qui brandit la liberté d’expression, associé au «Je suis Ahmed», en référence au policier tué pour défendre les journalistes de l’hebdomadaire satirique) ou ciblée contre un groupe (la haine des musulmans). Comment vont réagir au global les hommes chez qui #MeToo suscite des craintes? Vont-ils plutôt réaffirmer l’égalité entre les femmes et les hommes, comme une valeur essentielle, dépassant les clivages? Ou vont-ils au contraire plutôt se refermer dans le rejet ? 

«Des centaines de milliers de femmes sont sorties de leur silence, c’est une vraie révolution. Mais pour les hommes les transformations vont être lentes et sont loins d’être intégrées.»

Mélanie Gourarier, anthropologue

La possibilité d'un backlash

Les peurs qu’ont réveillé #MeToo laissent entrevoir la possibilité d’un «backlash», d’un retour de bâton agressif, si jamais elles n’étaient pas canalisées. «Il y a une recrudescence de violence à chaque “crise de la virilité”», raconte Olivia Gazalé. Elle cite en exemple les violences sexuelles à la Libération commises par les GI: «Il fallait remettre à leur place les femmes qui avaient gagné en autonomie et en liberté pendant la guerre».

D’autant que #MeToo, qui peut donner à certains l’effet d’un renversement, d’une prise de pouvoir des femmes sur les hommes, s’inscrit en réalité dans une conjoncture mondiale bien peu favorable aux femmes. Nombre de pays ont vu arriver au pouvoir ces dernières années des personnalités à la misogynie patente, exaltant le culte de la virilité et de postures guerrières. 

Les réactions de peur observées plus haut et cette conjoncture mondiale font donc largement relativiser l’impact de #MeToo sur les hommes. «La fin de l’empire masculin, ce n’est pas le cas du tout», résume Mélanie Gourarier, anthropologue et autrice du livre Alpha Mâle, séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, sur la «communauté de la séduction». «Des centaines de milliers de femmes sont sorties de leur silence, c’est une vraie révolution. Mais pour les hommes les transformations vont être lentes et sont loins d’être intégrées.»

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