« Ma femme était à ta formation, elle veut ses droits, tu détruis ma famille »

Avec Wowoman, une jeune entrepreneuse azérie Zara Huseynova émancipe ses compatriotes femmes par l’esprit d’entreprise et l’apprentissage du code.

« Ma femme était à ta formation, elle veut ses droits, tu détruis ma famille »

« L’Azerbaïdjan, pays du caviar, mais pas des droits de l’homme », titrait en mars 2018 La Dépêche suite à une fusillade dont avait été victime un journaliste azéri en exil. Ce ne serait pas non plus vraiment le pays du droit des femmes. En dépit d’une grosse avance de la république azérie au début du XXe siècle (le droit des votes est accordé aux femmes dès 1918) et d’un pays profondément laïc – la religion majoritairement musulmane y relève de l’ordre privé – 100 ans plus tard, la place de la femme y est encore compliquée et se heurte aux valeurs d’une société restée conservatrice. Une jeune entrepreneuse, Zara Huseynova, à la tête d’une chaîne de boutiques à 25 ans, fait de la résistance avec son programme Wowoman qui a pour vocation d’émanciper les femmes azéries grâce à l’esprit d’entreprise, mais aussi le code. Usbek & Rica l’a rencontrée.

« Chez nous (NDLR : en Azerbaïdjan), lorsqu’un couple se marie, il est d’usage depuis des siècles de souhaiter aux mariés d’avoir 7 fils et… une fille », entame Zara Huseynova. « L’eau a coulé sous les ponts, et on a un peu avancé, mais ça reste compliqué d’être une femme en Azerbaïdjan ». Nous sommes aux Pays-Bas où Zara Huseynova, 25 ans, raconte son histoire devant un parterre de jeunes entrepreneurs, PDG de multinationales et collaborateurs de grands groupes au One Young World Summit. Aujourd’hui, la jeune femme est à la tête d’une chaîne de boutiques spécialisées dans les robes de soirée – « sûrement mon tropisme d’ancienne danseuse professionnelle ». Elle a squatté pendant dix ans les ballrooms européens et a été maintes fois championne nationale de danses de salon. Un parcours classique pour des lecteurs européens de l’Ouest, mais qui dénote dans les contrées azéries.

« J’ai grandi confrontée à des femmes coincées dans des relations abusives, violentes et malheureuses ». Dans son pays, s’indigne-t -elle, 40% de la population considérerait comme sensé que les femmes tolèrent la violence domestique pour préserver la paix du ménage et du foyer. « Pire, 22% estime que parfois, la femme mérite d’être battue ». 

 La clé de l’éducation aujourd’hui n’est pas tant dans la capacité de recherche d’une information, mais plutôt dans comment tu en tires parti 

« Très jeune, j’ai compris que pour échapper à ce cercle vicieux, il fallait que je gagne mon indépendance financière ». A 18 ans, l’entrepreneuse en devenir, parée de 200 euros lentement collectés, lance sa boîte, Alza, une première boutique de robes de soirées et de mariage. Le salut vient d’Internet pour l’entrepreneuse. «  J’ai regardé des heures et des heures les interventions de grands entrepreneurs et lu quantité de livres en ligne. Vous savez, je pense que la clé de l’éducation aujourd’hui n’est pas tant dans la capacité de recherche d’une information, mais plutôt dans la façon dont vous en tirez parti ». 7 ans plus tard, Zara Huseynova a enrichi sa marque d’autres boutiques et emploie une quinzaine d’employés. Elle a surtout atteint son Graal, une certaine indépendance financière.

Chaque mois, des femmes se réunissent et se sensibilisent à l’entrepreneuriat, au code et aux soft skills

« Mais j’ai réalisé que j’étais une exception ». Même si elle a aussi subi la misogynie à de maintes reprises. Et de raconter cette fois où un percepteur des impôts refuse de lui parler – « vous êtes une femme » – et exige de parler au « vrai patron ». A 22 ans, elle se décide à créer Wowoman, une « plateforme, mais surtout un espace et des outils destinés à émanciper les femmes azéries ».

 « On arrive à changer la vie de centaines de femmes »

Concrètement, Wowoman organise des conférences, mais surtout, propose gratuitement des formations de code, de design, mais aussi à l’entrepreneuriat et aux soft kills. « On néglige souvent les soft skills. Mais les soft skills, au-delà de la capacité à réseauter, communiquer, signer un contrat et négocier un salaire décent, c’est aussi pour ces femmes apprendre à négocier avec leur mari ». De temps en temps, Zara Huseynova reçoit des menaces de maris qui l’accusent de briser des ménages. « Ma femme était à ton évènement, elle veut ses droits, tu détruis ma famille ». Pour elle, c’est anecdotique. « On arrive à changer la vie de centaines de femmes ». Elle raconte alors l’histoire de Maryam qui faute de la permission de son mari, n’a jamais pu se rendre aux formations en présentiel. En revanche, elle s’est formée en ligne et a été accompagnée par les 25 000 femmes qui constituent le réseau Wowoman. « Aujourd’hui, Maryam travaille comme programmeuse, est indépendante et peut pourvoir aux besoins de ses enfants ». En 3 ans, ce sont 7000 femmes qui ont bénéficié du programme « physique » et 25 000 qui ont échangé et surtout, appris en ligne comme Maryam.

Quand on lui demande si elle aspire à faire de ces femmes des entrepreneuses comme elle, la jeune femme éconduit l’idée. Son message n’est pas tant centré sur l’entrepreneuriat que l’esprit d’entreprise, explique-t-elle. Et de donner envie à chacune de trouver sa voie (et aussi sa voix).

« On parle souvent de ces voix intérieures qui découragent les femmes d’entreprendre quoi que ce soit ». Les femmes, pensent-elles, ne seraient pas bonnes, pas compétentes et condamnées à échouer. Le fameux syndrome de l’imposteur. « Mais ces voix, elles viennent de l’extérieur ». Zara Huseynova essaie d’être « une voix positive » pour « que les générations futures, au lieu de souhaiter aux mariés 7 fils et une fille, espèrent avoir simplement des enfants gentils et lettrés ».

 

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Image à la Une : un groupe d’aspirantes entrepreneuses/programmeuses lors du programme Wowoman (Crédits : Wowoman)

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