Publicité

Lors d’un infarctus, les femmes attendent plus longtemps avant d’appeler les secours

Une étude suisse confirme ce biais de genre: les femmes qui font un infarctus retardent l’appel aux services de soins, notamment parce que leurs symptômes sont plus atypiques. Un délai qui menace leurs chances de survie à long terme

Lors d’un infarctus, il est impératif d’appeler les secours le plus rapidement possible, car chaque minute compte. — © Martial Trezzini/KEYSTONE
Lors d’un infarctus, il est impératif d’appeler les secours le plus rapidement possible, car chaque minute compte. — © Martial Trezzini/KEYSTONE

Les préjugés de genre ont la vie dure. Et leurs principales victimes restent les femmes. Aptitudes en maths souvent jugées moins bonnes, salaires toujours inférieurs à ceux des hommes, fardeaux persistants des tâches domestiques et du plafond de verre… A cette liste déjà longue s’ajoute une inégalité de santé. Lors d’un infarctus du myocarde, le délai d’appel aux urgences (144) reste en effet plus long pour les femmes. Et cela compromet leurs chances de survie. Dans un hôpital suisse, ce retard a même été chiffré: il est de 37 minutes, montre une étude publiée le 11 décembre dans la revue European Heart Journal: Acute Cardiovascular Care.

Lire aussi: Les stéréotypes liés aux hommes et aux femmes s’immiscent jusque chez le médecin

Une équipe de l’Hôpital Triemli, à Zurich, a analysé rétrospectivement le parcours de 4360 patients – 967 femmes et 3393 hommes – traités pour un infarctus du myocarde dans ce centre entre 2000 et 2016. L’infarctus, on le sait, survient quand une des artères qui irriguent le cœur se bouche, stoppant son alimentation en oxygène. D’où un risque de mort subite.

Après un tel accident, chaque minute compte. Car plus le traitement est commencé rapidement, plus le tissu cardiaque détruit sera limité, et plus les séquelles seront réduites. «Meilleure sera aussi la survie à long terme», ajoute le professeur Olivier Muller, chef du service de cardiologie au CHUV, qui n’a pas participé à l’étude.

Trente-sept minutes de plus

Le traitement d’urgence consiste à rétablir au plus vite la circulation du sang dans l’artère obstruée, qu’on localise grâce à l’injection d’un produit radio-opaque. Pour déboucher l’artère en cause, on introduit dans le réseau artériel (au niveau de l’aine, souvent) une sonde, munie à son extrémité d’un ballonnet gonflable. Puis on remonte jusqu’au site bouché. Là, le ballonnet est gonflé: il écrase le caillot ou la plaque coupables. Le plus souvent, cette opération est complétée par la pose d’un «stent», petit ressort métallique qui se déploie pour maintenir le vaisseau ouvert.

Mais il faut faire vite. Dans leur étude, les auteurs ont distingué deux délais. D’une part, le temps mis par le patient (ou son entourage) pour appeler un service médical, une fois apparus les premiers symptômes d’infarctus. D’autre part, le délai mis pour déboucher l’artère, une fois le patient arrivé à l’hôpital. Résultats: entre 2000 et 2016, ce dernier délai – à l’hôpital – a diminué de façon comparable chez les femmes (18 minutes de moins) et les hommes (25 minutes de moins). En revanche, le délai total d’intervention (temps d’appel par le patient et prise en charge hospitalière) restait plus long de 41 minutes chez les femmes.

Un écart largement dû au fait que les femmes mettent 37 minutes de plus que les hommes à appeler un service médical. Même sur la période la plus récente (2012-2016), ce délai reste plus long de 32 minutes. Les femmes attendent ainsi 3 heures et 46 minutes avant d’avoir recours à un service médical, contre 3 heures et 14 minutes pour les hommes.

Lire aussi l’opinion: Médecine, sexe et genre: déjouer les stéréotypes

Banalisation des symptômes

«Les femmes victimes d’un infarctus semblent moins enclines que les hommes à attribuer leurs symptômes à un problème nécessitant un traitement en urgence», commente Matthias Meyer, cardiologue, premier auteur de l’étude. A cela, une première explication: les symptômes d’un infarctus sont souvent diffus et atypiques chez les femmes. Une notion déjà connue du monde médical – mais pas assez du public.

Ainsi, le symptôme emblématique de l’infarctus – une douleur persistante dans la poitrine, irradiant le bras gauche et la mâchoire – n’est pas toujours présent chez les femmes. Celles-ci souffrent plus souvent de douleurs dans le dos ou à l’estomac, qui s’accompagnent de nausées, sueurs froides, essoufflement à l’effort, malaise ou épuisement, et d’angoisse parfois. «Vous devez prêter attention à l’un de ces symptômes, qu'il soit modéré à sévère, s’il dure plus de 15 minutes», alerte le docteur Meyer. Autre obstacle probable: «Plus endurantes à la douleur, les femmes tendent à banaliser leurs symptômes», avance Olivier Muller.

Circonstance aggravante, les femmes qui font un infarctus sont souvent plus âgées que les hommes – de 8 ans, en moyenne. «Or plus un patient est âgé, plus les symptômes de l’infarctus sont atypiques», note Olivier Muller. Les médecins aussi s’y laissent prendre. Ainsi, en cas de fortes douleurs d’un patient dans la poitrine, les généralistes dirigent 2,5 fois plus souvent les hommes que les femmes vers un cardiologue, a montré une étude suisse fin octobre…

Sur ce sujet:

Maladies cardiaques: des biais de genre chez les généralistes