PRIS POUR CIBLE«On m'a traitée de "salope", de "pute", et on m'a menacée de me violer»

VIDEO. Cyber-harcelé(e)s: «On m'a traitée de "salope", de "pute", et on m'a menacée de me violer»

PRIS POUR CIBLEMarie Laguerre a été agressée dans la rue à Paris par un homme à qui elle a tenu tête. Après cette agression, elle a reçu des centaines de messages de haine et des menaces de mort sur Facebook, Instagram et Twitter…
Hakima Bounemoura

Propos recueillis par Hakima Bounemoura

L'essentiel

  • Marie Laguerre a été agressée en juillet dernier à Paris par un homme à qui elle a tenu tête. Son agresseur a été condamné à 6 mois de prison ferme.
  • Après son agression et la médiatisation de son affaire, la jeune femme de 22 ans a reçu des messages de haine et des menaces de mort sur les réseaux sociaux.
  • Elle a porté plainte le 5 décembre au tribunal de grande instance de Paris.
Logo de la série prispourcible
Logo de la série prispourcible - 20 Minutes

Voici l’histoire de Marie Laguerre. Son témoignage rejoint notre série « Pris pour cible » sur les persécutions en ligne. A travers ces expériences individuelles, 20 Minutes souhaite explorer toutes les formes de harcèlement en ligne qui, parfois, détruisent des vies.

Chaque semaine, nous illustrerons, à l’aide d’un témoignage, une expression de cette cyberviolence. Si vous avez été victime de cyberharcèlement, écrivez-nous à lbeaudonnet@20minutes.fr, hsergent@20minutes.fr ou hbounemoura@20minutes.fr.

« Le harcèlement et les menaces ont commencé tout de suite après la diffusion de la vidéo de mon agression en juillet dernier, et la médiatisation de l’affaire. Pendant près de trois mois, jusqu’à mon procès, j’ai subi un véritable déferlement de haine sur les réseaux sociaux. La première fois, ça a été hyper violent. Je l’ai pris en pleine face, je n’étais pas préparée. Tout se passait essentiellement sur Facebook, en messages publics et privés, et directement sur mon mur, mais aussi sur Instagram et Twitter. C’était des insultes quotidiennes, répétées. On me traitait de «manipulatrice», de «sale menteuse», d’«escroc», de «propagandiste», de «salope», de «pute», de «fucking bitch» et j’en passe…

J’ai aussi eu droit à tout un tas de remarques désobligeantes, des attaques sur mon physique, certains disaient que j’étais «trop dégueulasse» pour qu’on s’intéresse à moi, d’autres que je ressemblais à «un travesti». Evidemment quand on est une femme, les attaques sur le physique, c’est un classique ! Et puis y a eu la phase complotiste, certains m’ont dit que la vidéo de mon agression était un montage, que je ressemblais beaucoup à Marlène Schiappa, que j’étais une actrice embauchée par le gouvernement pour faire passer leurs lois contre le harcèlement…

« « Je te prends, je te déshabille de force et je te viole salope, grosse salope » »

Puis j’ai commencé à recevoir des menaces. Des menaces de viol, des menaces de violences physiques, et des menaces de mort de gens qui me disaient : «Va mourir», «Faudrait te tuer», «Si un jour je croise Marie Laguerre dans la rue, je lui démolis la mâchoire et elle mangera à la paille jusqu’à la fin de sa vie», «Je te prends, je te déshabille de force et je te viole salope, grosse salope»… Il y en a même un qui me répétait en boucle «Crève, crève, crève». Après chaque message reçu, je bloquais immédiatement l’auteur pour me protéger. Mais certains comptes très actifs, et surtout très virulents, ont réussi à m’inonder de messages avant que je puisse les bloquer.

Capture d'écran des insultes et menaces reçues par Marie.
Capture d'écran des insultes et menaces reçues par Marie. - Capture d'écran Facebook

Ces gens-là me reprochaient d’avoir répondu face à mon agresseur, me disant que ce qui m’est arrivé était de «ma faute», que je l’avais cherché à cause de ma tenue qui était «provocante», que j’avais «mal parlé» à l’homme qui m’avait agressé. On m’a aussi reproché d’avoir été médiatisée, trop médiatisée, et certains m’ont même dit que tout ça était faux car j’étais «trop moche pour être draguée». Ce qui m’a beaucoup surpris, c’est de voir aussi des femmes m’insulter et me harceler.

Mais la grande majorité était des hommes, qui parfois s’en sont pris à moi publiquement avec leur véritable identité, certains n’ont rien fait pour se cacher, assumant complètement ce qu’ils disaient. Ces gens avaient vraiment la haine, pas particulièrement contre moi, mais contre le fait que je m’exprime au nom des femmes. Ces attaques sexistes trahissent la haine profonde qu’encore beaucoup trop de personnes ont envers les femmes. A vouloir me faire taire, ils n’ont gagné que l’effet inverse.

Capture d'écran des insultes et menaces reçues par Marie.
Capture d'écran des insultes et menaces reçues par Marie. - Capture d'écran Facebook

Plusieurs personnes mal intentionnées, qui sont souvent celles qui me harcèlent, m’ont également signalée sur Facebook. L’algorithme du réseau social fait que, quand on est signalé en grand nombre, le compte est d’abord bloqué 24 heures, puis trois jours, sept jours, 30 jours et après, c’est la suppression. Du coup, ma page privée s’est retrouvée plusieurs fois bloquée, et ça, c’est aussi pour moi une forme de harcèlement. L’algorithme de Facebook ne vérifie pas les contenus, il ne se fie qu’au nombre de signalements. J’ai dû supprimer plusieurs publications qui n’avaient rien de répréhensible pour que mon compte ne soit pas totalement supprimé, et ça c’est inacceptable ! C’est une double punition ! J’ai fait plusieurs réclamations auprès de Facebook, je n’ai toujours pas eu de réponse. Je ne suis malheureusement pas la seule, c’est quelque chose de récurrent chez les militantes féministes.

« « Aujourd’hui, la moindre chose négative postée sur moi me fait peur » »

Toute cette histoire a changé ma manière de me comporter sur Internet. Aujourd’hui, j’ai une tolérance zéro sur les réseaux sociaux. Je bloque tout de suite mon interlocuteur au moindre commentaire désapprobateur. Ça me prend trop d’énergie de répondre sans cesse, de me battre contre eux. La moindre chose négative postée sur moi me fait peur. Quand on reçoit des messages comme ça à répétition pendant des semaines, des messages hyper violents dans lesquels on te dit qu’on veut te tuer, c’est dur à vivre. Je sais aujourd’hui que certaines personnes peuvent être très dangereuses. Je reste toutefois ouverte à la critique, tant qu’elle est constructive, mais j’ai développé un radar et je sens d’emblée quand mon interlocuteur est mal-intentionné.

L’idée de me retirer définitivement des réseaux sociaux pour me préserver, j’y ai pensé, mais un quart de seconde ! Je ne le ferai jamais, ça n’est pas à moi de fuir. C’est le même principe que le harcèlement de rue, c’est pas parce qu’on se fait insulter dans la rue qu’on va arrêter de sortir ! Pour moi, c’est le même combat, je refuse catégoriquement de céder. Internet et les réseaux sociaux ne sont pas une zone de non-droit, ça n’est pas à moi de changer mon comportement. Ça voudrait dire que ces personnes, qui me harcèlent, ont gagné ? Je préfère mener le combat de front. Peut-être qu’un jour je ferai une pause, mais pas pour cette raison-là, juste parce que les réseaux sont très chronophages. Et puis je reçois aussi énormément de messages de soutien, j’ai fait de très belles rencontres, je ne vais pas me fermer au monde entier juste à cause d’une petite minorité de «tarés».

« « J’espère profondément que les auteurs seront retrouvés et jugés, et que je les verrai au tribunal » »

Depuis que la médiatisation est moins forte, tout ça s’est calmé, mais je reçois encore de temps en temps des messages déplacés. Après un temps de réflexion, j’ai décidé avec mon avocate de déposer plainte au tribunal de grande instance de Paris. Je l’ai fait le 5 décembre dernier, la plainte faisait près de 15 pages.

J’espère que justice sera rendue, et très honnêtement, je compte sur la médiatisation de mon affaire pour que les choses avancent. Ce que je souhaite maintenant, c’est que les enquêteurs retrouvent le maximum de personnes et qu’elles soient jugées et condamnées. J’aimerais les voir en face de moi au procès, les regarder dans les yeux, qu’elles ne se dérobent pas. Ces personnes-là agissent en totale impunité, elles se cachent derrière un écran, c’est très lâche.

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« « Le harcèlement sur les réseaux sociaux, c’est mon nouveau combat » »

Je me dois d’aller jusqu’au bout pour toutes les autres personnes, victimes comme moi, qui ne peuvent pas s’exprimer et se battre. Le harcèlement sur les réseaux sociaux, c’est mon nouveau combat. C’est dans la continuité de ce que j’ai déjà fait, j’ai rien voulu laisser passer lors de mon agression dans la rue, aujourd’hui je ne veux rien laisser passer sur Internet. Toutes les victimes n’ont pas toujours du soutien autour d’elles, comme j’ai pu en avoir, ou peuvent être dans une plus grande fragilité, c’est donc fondamental de ne rien laisser passer concernant le harcèlement en ligne, d’envoyer un message fort.

"Je suis Sorcière fière ! [féministe] Ah j'ai beaucoup d'ennemis, c'est vrai... Mais les autres femmes en ont-elles...

Posted by Marie Laguerre on Monday, December 3, 2018

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Retrouvez tous les épisodes de la série, ici.

20 secondes de contexte

L’idée de cette série n’est pas arrivée par hasard. Le Web déborde d’histoires de cyber-harcèlement, les raids numériques se multiplient ces dernières années. Nous entendons parler de ce phénomène Internet dans la presse à travers les histoires de Nadia Daam, Nikita Bellucci ou, plus récemment, de Bilal Hassani, mais ils sont nombreux, moins célèbres, à en avoir été victimes. Nous avons voulu leur donner la parole pour faire connaître cette réalité qui a, parfois, brisé leur vie. Notre idée : donner corps aux différentes formes de violences en ligne et montrer qu’il n’existe pas des profils type de harceleur ni de vraiment de victime.

De semaines en semaines, nous avons réussi à sélectionner des témoignages à l’aide du bouche-à-oreille, d’appels sur Twitter et sur notre groupe Facebook 20 Minutes MoiJeune. Et ce n’est pas toujours facile de tenir le rythme d’une interview par semaine, même à trois journalistes. Nous devons évaluer chaque récit en fonction de sa pertinence et, parfois, de sa crédibilité. Mais, nous laissons toujours la liberté aux victimes de témoigner à visage découvert ou de garder l’anonymat pour ne pas donner une nouvelle occasion aux cyber-harceleurs de s’en prendre à elle.

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