Le verdict est tombé jeudi 10 janvier : « Song », la cofondatrice de 45 ans du plus grand site pour adultes de Corée du Sud, passera les quatre prochaines années en prison. Cette condamnation, qui s’accompagne d’une amende d’environ un million d’euros (soit 1,4 milliard de wons, la devise sud-coréenne), intervient dans un contexte d’indignation des Sud-Coréennes contre la pornographie par caméra espion.

Filmer l’intimité des femmes à leur insu

Ces derniers mois, des dizaines de milliers de Sud-Coréennes ont participé à des manifestations afin de dénoncer les « molka », ces vidéos composées d’images tournées à leur insu dans les vestiaires et les toilettes d’école ou encore de train. Preuve de l’ampleur du phénomène, l’évolution du nombre de signalements à la police impliquant des caméras espions qui est passé de 1 100 à 6 500 au cours de l’année 2018. En moyenne, cela fait 17,8 signalements quotidiens.

Également à l’origine de la colère des Sud-Coréennes, le très faible taux de condamnation des individus reconnus de « molka », et ce bien que la production ou la distribution de pornographie soit officiellement illégale dans le pays.

L’impunité des voyeurs

Si de plus en plus de voyeurs sont signalés, très peu sont punis. La preuve en chiffres : en 2016, selon une élue sud-coréenne ,Park Kyung-mi, 4 499 suspects ont été identifiés par la police. Pourtant, seulement 1 720 ont été jugés, soit 38 %. Pire, encore : sur les procès ayant eu lieu entre janvier et juin 2018, seuls 10,5 % auraient débouché sur des peines de prison. Les individus reconnus coupables sont généralement punis d’une simple amende, une peine peu dissuasive.

La prise de conscience du gouvernement

Face à la colère des citoyennes, les autorités ont d’abord tenté de répondre au problème en mobilisant des employés supplémentaires afin d’inspecter quotidiennement les toilettes. Une mesure à l’efficacité finalement limitée, les voyeurs étant extrêmement rapides et pouvant parfois installer et récupérer leurs caméras en seulement 15 minutes.

Jeudi 10 janvier, la riposte du gouvernement a toutefois franchi un cap en procédant à la condamnation de la cofondatrice et propriétaire de Soranet, un site porno fondé en 1999. Ce dernier proposait des milliers de vidéos pornographiques, dont des films de « vengeance pornographique » et de molka.

Arrêtée en juin dernier, Song avait vécu en Nouvelle-Zélande pendant des années. Dans un communiqué, le tribunal l’a reconnue coupable d’avoir « gravement porté atteinte à la dignité universelle d’autrui » tout en tirant « un énorme profit ».

Le phénomène « MeToo »

Cette annonce du tribunal intervient dans un contexte particulier puisque des thématiques féministes ont dominé toute l’année 2018 en Corée du Sud où les normes patriarcales sont pourtant profondément enracinées.

Depuis l’arrivée, certes tardive, du mouvement « Me Too » dans le pays au début de l’année 2018, des voix de femmes s’élèvent afin de dénoncer les inégalités et des progrès sont à relever. En avril, les hôtesses d’une compagnie aérienne ont obtenu l’autorisation de porter des lunettes. De la même manière, leurs consœurs de la compagnie concurrente Asiana ont pour leur part négocié le droit d’avoir les cheveux courts.

« Sans corset »

Plus tard, en juin, les réseaux sociaux ont également été le théâtre de l’émancipation des femmes. Sur Twitter, des milliers de Coréennes ont mis en ligne des photos de leurs cosmétiques jetés à la poubelle et de leurs cheveux coupés, sous le mot-clé « sans corset ».

Dans la même logique, un projet de taxis entièrement féminin, nommé Waygo Lady, a été approuvé par Séoul en décembre dernier. Imaginé par la compagnie Tago Solution, Waygo Lady proposera une vingtaine de véhicules conduits et réservés uniquement aux femmes. But du service, réduire les agressions sexuelles dont les Sud-Coréennes sont victimes.