Nouvelle année: meilleure occasion de repartir sur des bases saines. Rassurez-vous, je ne parle pas de bouillons ni de sport (je sais à peine lacer mes baskets!) mais de détoxifier certain.e.s attitudes et comportements inconscients pour changer le monde plus vite. NB: pour les esprits les plus encrassés par le patriarcat, laisser agir toute la nuit, et renouveler la lecture de ce post jusqu'à disparition complète des symptômes sexistes.
1. Laisser les petits garçons pleurer, avoir un doudou passé 3 ans et être coquets s'ils le souhaitent. Le rapport entre un sweat rose porté par un petit Gaspard ou un petit Malik et la société dans laquelle on vivra demain? Un effet papillon.
2. Laisser les petites filles se salir, se couper les cheveux avec des ciseaux à ongles et se déguiser en Superman si elles le souhaitent. Qu'elles apprennent le plus vite possible que leur liberté ne s'arrête pas là où commence celle des garçons.
3. Cesser d'apprendre aux petites filles que les petits garçons sont méchants avec elles parce qu'ils les aiment bien.
4. Cesser d'être polie avec quelqu'un qui nous met mal à l'aise par son attitude, ses paroles ou ses gestes. Combien de femmes s'abstiennent depuis combien de siècles de taper plus ou moins métaphoriquement sur combien de doigts parce qu'on leur a appris -et qu'on continue de leur apprendre- à être polies, souriantes et à respecter les adultes? Sauf que les gens qui nous manquent de respect ne sont pas des adultes, ce sont des enfoiré.e.s, et le seul respect que l'on doit à qui que ce soit dans ce cas-là c'est à nous-même. Evidemment on nous traitera d'hystérique, voire de féministe (cf. paragraphe suivant). A titre personnel, entre féministe et paillasson, j'ai choisi mon camp.
5. Assumer son féminisme, qui rappelons-le, n'est ni une maladie vénérienne ni une forme aigue du syndrome de la Tourette, mais simplement l'idée radicale (?) que tous les êtres humains sont égaux, quel que soit leur genre, la couleur de leur peau, leurs croyances et leur choix de vie. Etre féministe, c'est donc vouloir l'égalité des libertés. Après on est féministe comme on peut -lire ou pas des livres féministes, militer ou pas dans des assos, porter ou pas des t-shirts boobs, continuer ou pas à écouter du gros rap...-, mais par pitié, en 2019, on ne dit plus: "je suis UN PEU féministe", comme si le féminisme était une substance illicite et qu'on risquait de faire une overdose, ni "je suis féministe MAIS..." (au choix: "je ne suis pas extrêmiste / j'adore Vincent Cassel / je suce des bites"). En 2019, on est féministe comme on veut mais on est féministe tout court, sans locution adverbiale ni précaution, parce que le féminisme n'est pas une voie sans issue, c'est la seule route à suivre si l'on veut vivre tou.te.s ensemble à l'avenir sans trop se taper dessus.
6. Lire des femmes. Parce qu'elles continuent d'être sous-représentées dans les rayons des librairies, aux postes de direction des grandes maisons d'édition, parmi les prix littéraires les plus prestigieux et parmi les jurés qui attribuent ces prix... Evoquer les raisons qui expliquent cette éclipse quasi totale de l'histoire de la littérature me ferait prendre des chemins tortueux qu'en ces temps de foie et d'esprit fatigués je pourrais difficilement vous reprocher d'éviter pour emprunter l'autoroute nettement plus confortable de l'info à teneur réduite en matière grise, mais je vais quand même laisser parler quelques chiffres (c'est objectif, un chiffre, c'est facile à mâcher). Dans l'index de "L'Histoire française du XIXème siècle publiée en 1998 chez Nathan", on compte 21 femmes, dont deux anglaises disqualifiées d'office (sorry gals...) et une intruse, Mme Geoffrin, qui vécut au XVIIIe siècle. Il reste 18 femmes, sur 500 noms d'écrivains, journalistes et éditeurs. C'est peu, dans l'absolu et relativement à l'importance qu'elles eurent effectivement, si l'on en croit des ouvrages fort sérieux mais pas méga grand public comme "Une histoire sociale de la littérature" et une "Poétique historique des genres" cités par Christine Planté. Il a fallu attendre 2018 pour qu'une femme -Mme de Lafayette- entre au programme du bac. Entre 2003 et 2016, aucun texte écrit par une femme n'a été proposé aux bachelier.e.s des séries L, majoritairement fréquentées par... des filles. Je continue? ("pitié, non..." Déso, j'écris sous un tunnel ^^) Parmi les lauréat.e.s de quelques prix littéraires emblématiques (donc médiatisés donc rentables commercialement) en 2016, on comptait 10,6% de femmes au Goncourt, 15,5% au Renaudot, 19% au Médicis, 26% au prix de Flore.
Et encore, la littérature reste le secteur culturel dans lequel les femmes sont aujourd'hui les mieux représentées, et les moins mal payées par rapport à leurs collègues masculins (-19% d'écart salarial quand même: rangez le Champomy). Dans le spectacle vivant, les arts visuels, l'architecture et la BD, c'est encore pire. Allez, un dernier exemple et après, promis, j'arrête: la danse. 93% des élèves des cours de danse dans les établissements publics d'enseignement spécialisés sont des femmes. Il n'y a pourtant que 37% de chorégraphes femmes, qui n'ont été que 13% à avoir été programmées au festival Montpellier Danse en 2017. Oh! Et seules 4% de femmes ont reçu un prix pour l'ensemble de leur carrière entre 2000 et 2010.
Le rapport de l'Observatoire 2018 de l'égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication est ici: 58 pages, enjoy. A faire passer (ou pas) avec celui du Haut Conseil à l'Egalité entre les Femmes et les Hommes sur les Inégalités dans les arts et la culture: 130 pages. Y a de quoi faire et surtout, défaire. Moins nombreuses, moins payées, moins aidées financièrement par l'Etat ou par des organismes privés, moins programmées, moins récompensées, moins dirigeantes, les artistes femmes continuent d'exister a minima en France -pas d'exception sur ce coup-là. C'est évidemment aux pouvoirs publics de faire en sorte que les consommatrices de produits culturels soient mieux représentées. Mais c'est aussi et peut-être surtout à nous d'encourager la production d'oeuvres de femmes.
Il est entendu que le talent n'a pas de genre. Et il n'est évidemment pas question de choisir ses lectures, films, expos ou concerts uniquement en fonction du genre de son auteur.e, ni de se priver de chefs d'oeuvre écrits, réalisés, peints ou composés par des hommes, mais simplement de s'interroger sur cette notion de "culture générale" qu'on nous enseigne à l'école puis que l'on acquiert par soi-même, et qui permet de "diriger l'esprit de manière à ce qu'il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui", pour citer Descartes. Or je ne sais pas vous, mais moi, ça me dérange que la culture, qu'elle soit pop, classique ou alternative, et donc, ma vision du monde dépende depuis toujours de regards quasi exclusivement masculins. J'ai très envie de regarder le monde avec des yeux et une perspective de femmes, pour changer, et puisque c'est encore en librairie que c'est le plus facile de changer de lunettes, je propose de commencer par là, d'autant que les femmes lisent plus que les hommes.
Perso, j'ai passé les vacances de Noël la main dans un paquet de bonbons (plusieurs, pour être honnête...) et le nez dans ces romans écrits par des femmes que je vous recommande vivement: "Les furies" de Lauren Groff, "Swing Time" de Zadie Smith, "L'horloge sans aiguilles" de Carson McCullers et "Le petit copain" de Donna Tartt.
Je vous confirme que je n'ai pas foutu grand chose à part me nourrir la tête et le ventre ces quinze derniers jours, mais je vous assure que mon esprit est désormais plus capitonné qu'un Chesterfield (sans parler de mon cul).
(A ce propos...)
7. Tourner 7 fois ses neurones dans son cerveau avant de faire une blague sur une femme ou sur une catégorie de femmes -vieille, grosse, voilée, poilue, non caucasienne, ultra maquillée, pas maquillée du tout, coiffée comme ci, habillée comme ça, tatouée, adepte de la chirurgie esthétique... Je ne suis pas un modèle en la matière puisque j'ai moi-même fait récemment une blague grossophobe dans une story sur Instagram. Il s'agissait d'un mème représentant deux Barbie, l'une "normale" le 24 décembre et l'autre grosse le 31 décembre, à laquelle je me suis identifiée non pas pour me moquer des grosses, évidemment, mais du Dyson à bouffe que je suis devenu pendant les vacances. Les problèmes de cette blague: 1/ elle peut heurter (elle a heurté) des gens qui souffrent quotidiennement de la stigmatisation et en même temps de l'invisibilisation des gros.ses dans une société de surconsommation notamment alimentaire où les injonctions sanitaires sont de plus en plus audibles, visibles et pressantes, 2/ elle concerne l'apparence des femmes. Je ne dis pas que les hommes ne souffrent pas eux aussi de grossophobie. N'empêche que le slut-shaming, le fat-shaming, l'age-shaming, le glam'-shaming, le hair-shaming, le Botox-shaming et tous les trucs-shaming que ces cinq dernières années ont inventés mais qui existent en réalité depuis des milliers d'années et consistent en un ensemble d'attitudes individuelles ou collectives publiques et agressives envers une écrasante majorité de femmes dont le look et/ou le comportement sont jugés "dérangeantes" car "hors normes" édictées par... des hommes, à l'époque où le parangon de la féminité, c'était Miss Univers (jeune, mince, grande, pudique, souriante, douce, silencieuse à longs cheveux souples et brillants). Haters gonna say "politiquement correct" et "on peut plus rien dire." Je dis "droit à l'indifférence" et "même avec une imagination de cloporte, on devrait pouvoir trouver des trucs à dire et même des sujets de golri qui n'impliquent pas de se foutre de la gueule d'autres femmes".
8. Laisser les femmes s'habiller comme elles veulent. Ceci est un post-scriptum au paragraphe qui précède et qui concerne les bottes Balenciaga "à 3400 euros" que Michelle Obama portait récemment lors de la tournée promotionnelle de son autobiographie "Believe" et qui a donné lieu à un spend-shaming doublé d'un sucess-shaming que je trouve d'autant plus embarrassant qu'à ma connaissance, personne n'a jamais épinglé Benzéma pour avoir conduit autre chose qu'une Clio d'occasion, ni Barack Obama pour le prix de ses costumes. Certaines femmes ont du succès et gagnent beaucoup d'argent. Certaines ont bossé 35h par jour pour l'obtenir, d'autres se sont contentées d'avoir du talent: quoiqu'il en soit, elles sont nettement plus rares que les hommes, réjouissons-nous pour elles plutôt que de les renvoyer même inconsciemment à cette humilité qu'il est temps de ne plus confondre avec une vertu féminine.
9. Admirer des femmes, quelles que soient les raisons pour lesquelles on les admire -elles sont évidemment cumulables, et le nombre de femmes que l'on est en droit d'admirer est illimité. Et gratuit. Il serait intéressant (mais long mais intéressant mais long mais intéressant) de nous demander pourquoi cette année encore, aucune femme ne fait partie du Top 10 –la première est 14ème. Rappelons quand même que les qualités d'une autre femme n'éclipse pas les nôtres mais nous rappellent au contraire l'infini des possibles qu'un être humain équipé de chromosomes pairs peut être et réaliser par lui-même. A ce propos...
10. Se désabonner immédiatement du compte des femmes (et des hommes, d'ailleurs) qui nous font nous sentir comme le mégot au centre d'une tranche de pizza froide.
11. Faire la paix avec son célibat, et le célibat de toutes les femmes en général. Cette idée qu'une femme a besoin d'être deux avant d'être trois et de préférence quatre sinon bonjour l'enfant gâté et la graine de tyran et donc la culpabilité puisque la responsabilité quasi exclusive de la mère (merci Freud...), bref, cette idée qu'une femme n'est pas tout à fait un être humain "accompli" donc "complet" avant d'être épouse et mère commence sérieusement à bien faire. Que l'on soit inscrite sur 14 ou 0 appli(s) de rencontre, que l'on baise avec un.e (ou plusieurs) personnes différentes tous les jours ou que l'on ne baise pas, en 2019, j'aimerais que l'on dissocie "couple" et "valeur personnelle", comme si notre légitimité en tant qu'individu dépendait d'une tierce personne, si admirable soit-elle, comme si la fonction sociale de notre chatte prévalait sur la femme qu'il y a autour. Le célibat et/ou l'absence de sexualité n'est pas une maladie ni la preuve d'une quelconque défaillance individuelle. A ce titre, cessons d'organiser des dates avec nos connaissances de la petite ou de la grande couronne pour nos copines (et arrêtons de leur demander en haletant des nouvelles de leurs frères/collègues/amis/facteurs); cessons de nous étonner qu'unetelle soit célibataire ("Mais KKKKKKKKKKEUMENT ça se fait que tu sois SEEEEEEEEEEEUUUULE, tu es si belle/drôle/intelligente/riche?!"); ne leur demandons plus si elles "essaient vraiment, non mais, VRAIMENT?" ou si par hasard, elles ne feraient pas "peur aux mecs" (NB: les mecs ne sont pas des lapereaux, ils ne fuient pas les yeux exorbités quand on tend la main vers eux). Dealons avec le célibat féminin.
12. S'excuser moins, mais s'excuser mieux. Quand on a tort, par exemple. Mais pas parce que quelqu'un nous a marché sur le pied, qu'on n'a pas envie de bosser dimanche/de garder son neveu affectueusement surnommé Pol Pot/de rester "dormir", qu'on veut prendre la parole en public ou obtenir notre part de l'héritage familial #sorrynotsorry.
13. Arrêter de dire "petit". Très féminin, ça, vous avez remarqué, de parsemer leur conversation de "petits" adjectifs mignons et insignifiants... Un petit coucou, un petit baiser, un petit problème, une petite envie, un petit câlin, un petit moment, une petite question, une petite vidéo, une petite augmentation, une petite bite... En 2019, faisons pousser l'horizon au-delà du fond du couloir: voyons et disons les choses en grand.
Bonne année à tou.te.s! Je vous souhaite plein d'optimisme et d'heureuses surprises.
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