Celui qui se filmait encore à la webcam il n'y a pas si longtemps court de plateau en plateau depuis qu'il a remporté le télé-crochet Destination Eurovision, qui lui a permis de devenir le représentant de la France à l'Eurovision, dont la finale a lieu samedi 18 mai à Tel-Aviv, en Israël, pays vainqueur de la précédente édition. Révélé dans The Voice Kids en 2015 avec une reprise de Rise Like A Phoenix, de Conchita Wurst, gagnant de l'Eurovision en 2014, Bilal Hassani est aussi bon chanteur qu'entertainer.

C'est avec son titre Roi, écrit avec le duo Madame Monsieur, que le Parisien de 19 ans va porter nos couleurs. Un hymne à la tolérance et à la confiance en soi. "Ce qu’on est on ne l’a pas choisi/On choisit/Son travail, sa coiffure, ses amis/Sa routine, parfois l’amour aussi/Et ça passe ou ça casse mais ça/Regarde qui ?", y demande Bilal Hassani. Une chanson symbole de son combat : son droit à être qui il veut.

Vidéo du jour

Car en plus de ses chansons, Bilal Hassani est connu pour répondre avec virulence, et en général, de l'humour, à ses détracteurs. Ceux que l'on nomme des "haters", euphémisme pour désigner ces internautes anonymes qui se croient tout-puissants derrière leur écran, et prennent régulièrement le Youtubeur pour cible à cause de son homosexualité, de son look, ou de son "Bonsoir Pariiiiis !" devenu légendaire. Bref, de tout ce qui le rend différent. 

En chair et en os, le Youtubeur aux 730.000 abonnés (un nombre qui grimpe de plus en plus vite), aimé pour ses vocalises à n'en plus finir et son sens du show à toute épreuve, est calme, réfléchi. Le lundi après-midi suivant sa qualification pour la finale de Destination Eurovision, c'est sans perruque, mais avec un joli chapeau de feutre, que Bilal Hassani vient nous expliquer comment il tente de gérer de son mieux ce déferlement de haine permanent. 

"Tu devrais essayer le Bataclan comme salle"

En novembre 2018, Bilal Hassani offre à ses abonnés Twitter une vidéo où il se produit devant un petit parterre de fans. Rapidement, des messages "odieux", comme il le dit, déferlent, faisant des parallèles affreux avec le Bataclan. Cette fois, le chanteur s'en remet à la justice : "On veut porter plainte quand on se rend compte que la personne n’est pas vraiment en train de faire du troll. Avec un français très bien orthographié, une bonne ponctuation, et qu’elle n’est pas là pour faire ses bêtises d’Internet, nous explique-t-il. Là, je voyais vraiment des gens faire un truc orchestré, organisé. Ils balançaient tous leur tweet à la même heure, tous au même moment. Ils se rassemblaient tous les soirs à une certaine heure sur le profil de ma maman, et boum, ils s’attaquaient à elle."

Pourquoi ? Pourquoi vous vous énervez ? Elles sont jolies mes perruques !

2018 a été particulièrement violente pour le jeune Youtubeur. Notamment lorsqu'il a décidé de s'afficher dans ses vidéos avec ses perruques chéries, lui qui aime mettre "n'importe quoi" sur la tête depuis qu'il chantait Reflexion de Mulan, à l'âge de 4 ans. "Pourquoi ? Pourquoi vous vous énervez ? Elles sont jolies mes perruques !", réagit-il quand on aborde le sujet, s'adressant à cette horde d'anonymes enragés. Bilal Hassani a le sourire aux lèvres mais la voix un peu fatiguée. Difficile de ne pas avoir, à ce moment-là, un pincement au coeur devant ce garçon de 19 ans, "encore un peu adolescent", intelligent, radieux, gentil, poli, mature, qui veut juste pouvoir faire ce qu'il veut sans qu'on tente de le "remettre dans un certain droit chemin", sorti d'on ne sait où. 

Bilal Hassani raconte ensuite la peur, les vidéos tournées avec une perruque, puis re-tournées, sans perruque cette fois. Le doute. "Je réfléchissais et je me disais : 'Ils ne sont pas encore prêts.' Et au bout d’un moment, je me suis dit : 'Non, je pense que c’est toi qui n’es pas encore prêt à recevoir la critique.'" Il prendra ensuite son courage à deux mains, mais la réaction ne se fit pas attendre. "La haine a fait genre ça, dit-il, en mimant une courbe exponentielle. Une croissance de folle, très rapide. Et heureusement, j’étais armé pour ça, puisque pendant un an j’ai eu ça, à une petite échelle. J’ai juste adapté mes réflexes à la grande échelle."

"Toi, tu veux devenir une fille"

Bien sûr, l'homophobie n'a pas attendu Internet pour exister. Les réseaux sociaux lui ont donné une puissance de frappe inédite. Bilal Hassani retrace son premier souvenir d'un acte homophobe à l'âge de 9 ans, alors qu'il est en CM1. Un garçon de la classe supérieure se moque, lui dit : "Toi, plus tard, tu feras de la chirurgie esthétique pour avoir des seins." Le petit Bilal pleure, ne comprend pas. Il est un garçon, et ne veut pas devenir une fille. 

Lorsqu'il confie être amoureux d'un garçon à sa mère, il n'a pas conscience des notions d'homosexualité ou d'hétérosexualité. Pour le protéger, selon lui, sa mère lui conseille de ne rien dire. Quelques années plus tard, à 12 ans, l'adolescent en a assez d'être sans cesse questionné sur sa sexualité par des camarades insistants, lourds. Un jour, il craque, dit : "Oui, je suis gay !", et là, on lui fiche un peu plus la paix. "On ne me posait plus ces questions, donc j’ai pu rentrer dans les rails d’une adolescence normale, se souvient-il. Ça m’a beaucoup aidé à pouvoir vivre mes premiers flirts au même âge que les autres, sans avoir à entendre des trucs vraiment dégueulasses à longueur de journée.

Deux ans plus tard, encore, un conseil de discipline, convoqué officiellement pour bavardage en cours - officieusement parce qu'il a fréquenté un garçon de l'internat - le pousse à faire son coming out auprès de sa mère. "Avec du recul, j’aurais peut-être préféré avoir cette conversation sans qu’il y ait l’enjeu de mon renvoi derrière, regrette-t-il. Ça aurait peut-être été un peu plus tranquille."

Sur sa chaîne Youtube, et à travers sa musique, Bilal Hassani tente de reprendre le contrôle de son histoire, de décider du moment où dire les choses, et comment. En chanson, ou avec de l'humour. En tout cas, toujours avec un esprit acéré, et une maturité illustrant "l'armure", comme il l'appelle, qu'il a dû se bâtir petit à petit. 

Je suis arrivé à mon moi à 100%, là. Parce que je ne réfléchis plus du tout à la perception des autres, d’autrui

Il est vertigineux d'imaginer son quotidien, fait de menaces de morts, moqueries et attaques frontales, les crises d'angoisse devant les messages abjects. "On est arrivé à un stade où il y a autant de haine que d’amour, constate Bilal Hassani. Donc c’est plus cinq méchants commentaires et deux mille bons commentaires, c’est mille méchants commentaires, et mille bons commentaires" raconte-t-il, toujours ce sourire triste aux lèvres. Mais Bilal Hassani l'assure : "Je suis arrivé à mon moi à 100%, là. Parce que je ne réfléchis plus du tout à la perception des autres, d’autrui." Longue vie au Roi.