Sur l'ensemble des films français sortis en 2015, seuls 8% des rôles ont été attribués à des comédiennes de plus de 50 ans. En 2016, c'est encore pire avec un seuil qui tombe à 6%, et en 2017, les chiffres sont équivalents. Or, aujourd'hui en France, une femme majeure sur deux a plus de 50 ans, ce qui représente un quart de la population majeure totale. "Nous sommes une majorité visible traitée comme une minorité invisible", déclare aujourd'hui la comédienne Marina Tomé qui a initié en décembre 2015 la commission AAFA - Tunnel de la Comédienne de 50 ans.
Avec son manifeste signé à ce jour par près de 12.000 internautes depuis son lancement officiel en avril dernier, elle s'engage pour lutter contre l'invisibilité des femmes quinquagénaires au cinéma. "Conscient·e·s que les fictions cinématographiques et télévisuelles, au-delà d’être des objets artistiques, véhiculent des normes, transmettent des valeurs et mettent en jeu des représentations qui influencent notre perception du monde, nous nous engageons, aux côtés d’AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans, à combattre les stéréotypes sexistes liés à l’âge des femmes, reproduits dans les fictions", soutient ce manifeste qui sera remis prochainement au Ministre de la Culture Franck Riester, ainsi qu'à Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Un enjeu de société
"Notre premier objectif, c'était de briser l'omertà pour éveiller une prise de conscience de tous ces stéréotypes que l'on reproduit inconsciemment dans les récits", explique Marina Tomé. Pour décrire la situation actuelle de la fiction française où seules les femmes en âge de procréer de 20 à 35 ans sont visibles, la comédienne n'hésite pas à citer l'anthropologue Françoise Héritier pour qui "depuis toujours, la femme est une marmite". Dans le métier, une blague circule même pour évoquer cette invisibilité chronique des femmes dans la cinquantaine: "À partir de 50 ans, les femmes développent un super-pouvoir. Elles deviennent invisibles. Surtout à l'écran".
Afin de rompre l'isolement de cette forme de sexisme rencontrée par ces comédiennes, Marina Tomé a initié le mouvement avec la commission AAFA - Tunnel des 50 qui réunit aujourd'hui plus de 45 membres, rappelant qu'en se réunissant, l'objectif était de "dénoncer un sexisme sociétal". Car au-delà d'un simple combat corporatif, il s'agit bien d'un enjeu de société. Les stéréotypes développent un imaginaire collectif. "Qu'est-ce que ça veut dire, une société qui se raconte en évinçant de ses histoires les femmes de plus de 50 ans? Quel modèle renvoie-t-on?"
Une étude genrée par âge
Changer les représentations est une oeuvre de longue haleine. Il s'agit aujourd'hui de multiplier les actions pour donner de la visibilité aux femmes de plus de 50 ans. Depuis la création de cette commission en 2015, "l'évolution ne s'est pas encore faite ressentir au niveau quantitatif", reconnaît Marina Tomé. Les choses évoluent, mais lentement. "On a tout de même senti une évolution dans l'écoute de la profession sur le sujet". En 2019, la vitesse supérieure sera enclenchée avec des actions concrètes, dont la remise du manifeste aux ministres de tutelle. La commission a rencontré à deux reprises Agnès Saal - nommée récemment haut fonctionnaire à l'égalité et la diversité du ministère de la Culture - pour que le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) puisse lancer une étude genrée par âge. Et pourquoi pas mettre en place un système de bonus pour la production des films qui engagerait des comédiennes de plus de 50 ans.