Les 10 tendances graphiques de 2019

Par Élodie C. et Xuoan D. le 31/01/2019

Temps de lecture : 13 min

Un design plus responsable, baroque, rebelle voire carrément brutal…

Pour la 4e année consécutive, nous avons sondé un pool d’experts issus du branding, du digital ou de la communication 360 pour identifier les principales tendances graphiques de l’année.

2019 marque probablement le virage le plus intéressant, avec un design plus responsable, plus rugueux, et potentiellement plus libéré face à l’uniformisation en cours imposée par les géants de la technologie. Voici ce que pourraient être les 10 tendances graphiques de l’année…

1. Des identités dynamiques et évolutives

Grande première tendance graphique 2019 de notre dossier avec Delphine Bommelaer, directrice de création de l’agence [tag]Babel[/tag]. Autrefois apanage des marques de luxe, qui voyait « les lettrages historiques cultes se frotter aux interprétations plus contemporaines de la marque », la conception dynamique des marques se démocratise. Elle permet de « construire des univers qui se réinventent par eux-mêmes », avance Delphine Bommelaer.

Un exemple ? Le redesign de la marque Aktuel par Brand Brothers :

Identité Aktuel par Brand Brothers

« Des marques qui se trouvaient étriquées dans des règles trop restrictives se dotent de signes multiples qui se combinent à l’infini au gré des supports. »

Xavier Perrillat, directeur de création chez [tag]Insign[/tag], y voit un « changement majeur ». Selon lui, l’avenir du designer est collectif : « Au-delà des phénomènes de mode, le maillage entre le graphisme, l’AI, la data, le développement, la conception et l’UX représente le changement majeur de notre époque. La combinaison de ces disciplines nous donne accès à des systèmes d’identité visuelle évolutifs et dynamiques ». Ainsi, « les identités doivent être le reflet des marques : uniques, vivantes, capable de s’adapter. La maîtrise de nouvelles technologies ouvre un champ d’exploration immense pour les designers. Leurs limites ne seront repoussées que si la curiosité des créatifs s’associe à la compétence des développeurs. »

Dans la même veine, pourquoi s’embêter avec un logo quand une charte graphique peut être beaucoup plus évocatrice ? « Ce qui fait une marque désormais, c’est un style, un système, des codes », estime Mihika Shilpi, créative chez [tag]Seenk[/tag]. Les marques mettent en avant leur signature visuelle : couleurs, typographie, design, iconographie, etc. Avec le risque que ce système graphique devienne une tendance – comme on a pu l’observer avec Spotify – et soit récupéré, copié et soit au final peu attribuable à son émetteur original. Le logo restant, ironiquement, un moyen sûr de préserver la marque.

2. Le baroque en réaction au minimalisme

Le low design a (trop ?) longtemps vécu, le baroque et son bagage exubérant viennent s’installer en réaction à l’épuré et « aux codes visuels imposés par les géants du web » qui tendent vers une vision unique, rappelle Xavier Perrillat (Insign). Un avis partagé par Gilles Déléris, co-fondateur et directeur de la création de W, pour qui les marques sont « victimes d’une terrible pandémie […], frappées du syndrome de Panurge » : « Low design, no design, sans sérif, les marques se suivent et se ressemblent […] elles s’aseptisent au motif d’un minimalisme efficace, mais sans affect… »

Mais les marques n’ont pas dit leur dernier mot : « Comme un contre poison, certaines d’entre elles fabriquent leurs anticorps. Elles réactivent des univers plus foisonnants, à l’opposé du dogme international et de son fonctionnalisme », estime Gilles Déléris. « Nous observons une tendance graphique plus craftée, plus baroque », explique Xavier Perrillat sur la même ligne. D’après lui, « en 2019, les territoires d’expression des marques seront plus riches – des compositions en mouvement, des mises en page plus complexes et versatiles, des 3D plus texturées, des palettes de couleurs plus expressives, des accidents maîtrisés, ouvriront de nouveaux champs d’expression à l’image. » Une opinion que rejoint Gilles Déléris qui voit dans ces tendances « l’enjeu clé que les marques ont à affronter, celui de l’émergence. »

Pour Alessandro Bolchi, directeur de la création chez [tag]FutureBrand[/tag], cette tendance se traduira par « un retour aux typographies serif [avec empattement] via un traitement plus moderne ». Une alliance rétro-moderne pour échapper à ces « typographies sans serif qui se ressemblent toutes, sont froides et génériques. Pour contrebalancer cette mode des logos très simples (Burberry, Saint Laurent, etc.), il faut proposer une typographie avec plus de personnalité, de caractère. »

3. Le design responsable

Voici une inclination qui répond aux enjeux environnementaux actuels : respect des ressources, consommation raisonnée, etc. « Le minimalisme n’est plus seulement une tendance, mais une nécessité ! », estime Anna Andersson, directrice de création et associée de l’agence [tag]Pulp[/tag]. Et cet « état d’esprit se ressent aussi dans le design. Il est, lui aussi, minimaliste, mais il n’en est pas pour autant ennuyeux ! », fait-elle un devoir de rappeler. « Less is future aussi en design packaging ! Le food-shot est remplacé par l’illustration et les patterns. L’objectif créatif n’est plus de magnifier le produit (à l’aide d’un visuel shot), mais d’exprimer l’état d’esprit de la marque et de faire appel à l’imagination du consommateur. »

C’est le même constat pour Alessandro Bolchi (FutureBrand) qui remarque ce type de préoccupation chez ses clients : « La société est très au fait des questions environnementales, comment réduire les déchets, faire des packagings plus éco responsables, même chez des marques considérées comme polluantes (type Nespresso). »

Dans le même ordre d’idées et toujours en écho aux soubresauts sociétaux, « on accepte aujourd’hui de moins en moins des représentations stéréotypées du genre, notamment sur des produits à destination spécifique d’un public féminin, souligne Aaron Levin, directeur de la création chez Curius. Johnnie Walker s’y est cassé les dents avec son whisky ‘pour femme’ Jane Walker, très mal accueillie par les femmes amatrices des mêmes whiskies que les hommes. » Il note ainsi qu’« on voit apparaître des marques ‘gender neutral’, surtout dans le domaine de la beauté, comme Horace ou NGS ».

Les marques ne peuvent plus être dans le contemplatif et la réaction, mais dans l’action estime Jérémie Barry, directeur de création pour l’agence Landor : « De la même manière que les nouvelles générations sont dans l’action et plus dans l’incantation et le beau message, les marques doivent s’engager, et cette encore plus. Elles doivent trouver une cause, elles ne peuvent plus seulement promettre, elles doivent trouver un engagement, une position sociétale, sans parler de leur produit ou de ce qu’elles ont à vendre, mais en élargissant leur raison d’être. Je parie que toutes les marques et à toutes leurs échelles vont s’y mettre. »

4. Le brutal design

Notre monde de brutes a son design. Une tendance « brutaliste » qui s’est surtout illustrée sur des sites de mode, de musique au départ, a remarqué Florent Guerlain, directeur de création et co-fondateur de Datagif. Ainsi, « lors de la conception d’un site par exemple, on ne choisira pas nécessairement une jolie typographie, mais des couleurs agressives, criardes autour de formats surprenants. Les pages sont également conçues de manière un peu spontanée. » Comme lorsqu’une marque de mode détourne un tableur Excel pour en faire le catalogue de sa collection. « Je prends le pari de voir apparaître cette tendance sur des sites plus corpo et généralistes, comme une banque ou des chaînes télé », conclut Florent Guerlain.

D’autres exemples de site au design « brutal » : twomuch.studio, blockchainkids.xyz, secret-friend.xyz et escolalateral.com.

5.Le retour du naturel et de l’humain

Chassez le naturel, il revient au galop cette année. À l’instar des photos de banques d’images faisant la part belle au naturel sans filtre, à l’instant T, David So, directeur de création chez [tag]Lonsdale[/tag] voit le retour de ce qu’il appelle les natural tones : « des teintes vraies, issues d’ambiance naturelle avec une palette de tonalités douces, légèrement désaturées, pour plus de sensorialité. Une gamme plus émotionnelle, comme le reflet de ce que l’on pourrait voir en vrai. »

Ainsi, par opposition au flat, les marques sont à la recherche de cosy avance Mihika Shilpi (Seenk) : « Les photos portent des filtres chaleureux, on met de plus en plus en avant le côté humain — un produit ne suffit pas, nous sommes à la recherche d’histoires qui nous touchent. » Par opposition au flat, « on utilise de la 3D, on apporte de la texture, du grain, pour reproduire la réalité sur l’écran. »

Ce retour au naturel s’observe aussi du côté des illustrations. Alessandro Bolchi (FutureBrand) prévoit ainsi un « retour au fait main », même généré par ordinateur, mais dont « le trait sera plus irrégulier ». Chez Curius en revanche, Aaron Levin relève un renouveau du sign-painting : “Ce qui est nouveau, c’est qu’on ne se borne pas à reproduire des styles nostalgiques (Jacky Georges, longtemps considéré comme “le dernier peintre en lettres de Paris”) ou “hipster”, mais la lettre peinte est utilisée aussi pour apporter un supplément d’âme à une marque contemporaine, avec un rendu plus chaleureux qu’avec une découpe laser. »

Cette tendance à l’imparfait se retrouvera aussi du côté d’illustrations plus marginales, explique Florent Guerlain. « Comme celles que l’on peut voir dans le NYT ou Bloomberg Businessweek. Le style un peu plat, pop et coloré observé partout s’essouffle au profit d’un grand retour de la 3D, du grain, de la matière avec un rendu un peu ‘sale’, mais avec un style est plus osé », prédit-il. Une tendance que l’on observe encore plutôt du côté de la presse magazine où on ose le mélange photo et illustration, « avec un côté très arty, surprenant et original. »

Quelles que soient leurs inclinaisons, les marques auraient tort de se priver puisque « selon de récentes statistiques les illustrations peuvent convertir 7 fois mieux que n’importe quelle photographie de stock » comme le dévoile Behance dans son rapport annuel sur les tendances.

Pour Kheireddine Sidhoum, Global Chief Creative Officer de [tag]Dragon Rouge[/tag], au-delà de l’humain, c’est sur le « mascoticon » qu’il faudra compter. Ainsi, « Avec la prolifération d’emoticons, d’emojis et de stickers en tous genres qui permettent une grande interaction avec les utilisateurs, on voit la résurgence des mascottes, qui ont fait l’âge d’or de la consommation dans les années 50 ». Un personnage qui permet de « connecter aussi bien les enfants que les adultes ».

6. La déstructuration de la grille

Libéré, délivré le contenu ne se laissera plus jamais enfermé. « De la typo, à la photo en passant par l’illustration, on coupe, on tourne, on superpose, on invente, on imagine tout, sauf le respect de la grille et de la fin de page », explique Mihika Shilpi de Seenk. Un avis partagé sur Behance, « les éléments qui se chevauchent dans la conception Web existent depuis deux ans. Combinés à des grilles éclatées, les concepteurs peuvent créer une présentation créative unique ». Mais en gardant toujours à l’esprit l’expérience mobile.

Deux exemples : durimel.io et dottodot.es.

Alessandro Bolchi (FutureBrand) voit cette tendance s’illustrer avec des « compositions graphiques dont la mise en page est plus libre et ouverte, mais également plus asymétrique avec une typographie qui chevauche les illustrations. Mais qui permet toujours une bonne lecture et qui reste créative dans la composition ». L’asymétrie est également une tendance relevée par Behance, « mais l’asymétrie ce n’est pas le déséquilibre, c’est beaucoup plus ». Ainsi, « les designers peuvent l’utiliser pour créer une harmonie et équilibrer l’ensemble de la composition en évitant intentionnellement les équilibres traditionnels. Vous pouvez expérimenter et jouer avec les éléments que vous utilisez, tels que la typographie, les formes géométriques ou les rendus 3D, pour créer un résultat unique. Rappelez-vous que l’œil de l’utilisateur verra d’abord le plus gros élément. »

7. Le color splash

C’est une explosion de couleurs à laquelle il faut s’attendre cette année prédit Behance, notamment dans la conception de packaging. Pour Laurence Bendjenad – directrice de création du pôle Consumer de [tag]Lonsdale[/tag], la tendance est en effet au « Color splash ». Certes déjà beaucoup vu en print, en publicité ou en packaging donc, mais cette fois-ci ce sera « une tendance encore plus présente et avec un spectre encore plus large, des vivid colors encore plus bold et contrastées. Tout cela confère une valeur positive à la marque ou au produit. » Pour jouer sur cet aspect positif, Alessandro Bolchi voit les marques communiquer avec « des illustrations rétro-modernes, des proportions exagérées, mais toujours très positives, notamment du côté des couleurs. On parle beaucoup de flat design mais je parie sur les dégradés avec des ombres, etc. »

Pour Behance, même si la tendance s’est vue en 2018, elle sera toujours « fraiche » en 2019 : « en travaillant avec des canaux de couleurs, on peut créer des résultats exceptionnels. »

8. Toujours plus de 3D

Et ce n’est pas Adobe qui dira le contraire. Pour Lionel Lemoine, Head of Solution Consulting, South West Europe chez l’éditeur software : « La visualisation 3D est assurément l’une des grandes tendances qui influenceront le monde créatif en 2019, puisque la 3D touche aujourd’hui tous les métiers de la création. » En revanche, « La qualité des contenus 3D produits est étroitement liée à celle des textures utilisées ». Ajoutant « qu’aujourd’hui, l’exigence de réalisme et les besoins d’agilité pour adapter les rendus de matériaux (bois, textile, métal, etc.) ont poussé les créatifs à considérer les textures procédurales (textures calculées mathématiquement avec des propriétés physiques). En 2019, l’essor des besoins liés à la visualisation 3D va placer l’usage de textures procédurales au cœur des processus de création d’images. »

Une place prégnante de la 3D également constatée du côté de 5ème gauche (Hérézie Group) : « C’est évident que la 3D est de plus en plus présente dans le design graphique et a fortiori sur le digital avec la réalité augmentée : qu’il s’agisse de typographie, d’objets, d’expériences, d’interactivité, sur le social media, les sites, ou in store, la 3D ouvre un champ des possibles infini – car elle devient techniquement plus accessible aujourd’hui, avance Aurélie Gadiou, Associate Creative Director chez 5ème Gauche. Je serai donc prête à parier que les designers vont encore beaucoup s’amuser avec le design 3D. Une 3D sophistiquée, graphique, surréaliste, hyper léchée et totalement WTF. »

9. La typographie dans tous ses états

Et si le logo n’était pas vraiment mort, mais qu’il fallait le réinventer, voire plutôt le « pimper » ? Xavier Perrillat ([tag]Insign[/tag]) voit ainsi poindre l’émergence de logos certes plus simples, « mais en apparence seulement. Leur simplicité cachera un soin spécifique apporté à la typographie. Des offres comme prototypo permettent en outre de faire du sur-mesure et de l’adaptatif à moindre coût. » Car dans ce monde Logoramanesque, « un logo fraîchement dessiné par un designer graphique honnête n’a pas déjà été dessiné », concède Xavier Perrillat.

Un souci d’adaptabilité déjà évoqué dans les tendances graphiques 2018 et qui revient cette année. En effet, « Les fontes variables, de plus en plus utilisées, vont dans ce sens de l’adaptabilité à l’affichage sur des supports web, avance Romain Grimm, créatif chez [tag]Seenk[/tag]. L’expérience utilisateur est davantage placée au cœur de l’image de la marque. Par exemple les logos animés et dynamiques que l’on voit de plus en plus. »

Florent Guerlain (Datagif) se dit quant à lui « de plus en plus surpris par ces sites qui proposent des animations, mais pas seulement sur le logo. Lors du survol d’un lien par exemple, avec les lettres qui bougent. » Un exemple : middlechildphilly.com.

Des logos animés ou… malléables. La tendance typographie responsive a donné naissance à ce que Kheireddine Sidhoum de Dragon Rouge nomme la typo « Space Invader » : « les typographies des logos s’étirent, s’allongent, se « boldifie ». Soit elles occupent l’espace et sont à la fois un logo et un système d’identité visuelle, soit ses mouvements servent à exprimer l’essence même de la marque qu’elles représentent. La typo devient alors son système identitaire ».

On sait que la mode est un éternel recommencement, les tendances typographiques aussi. Ainsi, Aaron Levin de l’agence Curius table sur le retour de la typographie chromatique : « Il y a quelques années a été redécouvert un catalogue de caractères en bois dits “chromatiques” datant de 1840, de la maison William H. Page. » Ces caractères permettent ainsi « d’imprimer des titres multicolores avec des effets de relief, d’ombrage, de gravure à l’aide d’éléments composites qui devaient être employés successivement pour chaque couleur […] Rendu consultable en ligne, cela a inspiré un renouveau en version “2.0” pour des caractères typographiques digitaux. »

10. La démocratisation de la création

Et si l’engagement passait par l’implication plutôt que l’interaction avec le consommateur ? Jérémie Barry (Landor) voit ainsi les marques faire appel à leurs clients pour « les rendre contributeur de leurs propres contenus. Elles ne vont plus imposer un contenu, mais créer un cadre dans lequel les consommateurs vont réaliser eux-mêmes le contenu. Cela va entraîner une transformation esthétique du contenu, car les marques vont assumer l’amateurisme, l’éclectisme. On ne va plus avoir un style photographique, mais absorber les photographies de nos consommateurs. » Une approche que l’éditeur Adobe voit également émerger, avec une forte demande pour des outils de créations plus simples comme Adobe Rush ou Adobe Dimension, facilitant le montage et la modélisation 3D pour les non-experts.

Vous l’aurez compris avec ce dossier des tendances graphiques 2019, cette année lâchez prise !

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