Adoption homoparentale : le tribunal de Versailles est-il partial ?

Le tribunal des Yvelines serait-il de parti pris en matière d’adoption homoparentale ? C’est ce que laissent à penser les refus systématiques enregistrés sur le sujet. Ce lundi un couple de femmes demandait à la cour d’appel de trancher.

 Versailles (Yvelines), ce lundi. Pour Me Antoine Fabre, qui défend les intérêts de Nathalie et Marie-Thérèse, la TGI de Versailles a rendu « un jugement partial »
Versailles (Yvelines), ce lundi. Pour Me Antoine Fabre, qui défend les intérêts de Nathalie et Marie-Thérèse, la TGI de Versailles a rendu « un jugement partial » . LP/JULIEN CONSTANT.

    Nathalie, 39 ans, et son épouse Marie-Thérèse, 61 ans, attendent avec angoisse de passer devant les juges, ce lundi matin. Les deux femmes ont demandé à la cour d'appel de Versailles d'examiner la demande d'adoption plénière de leur fille Jeanne, âgée de 2 ans. Une formalité qui leur avait été refusée par le tribunal de grande instance de Versailles (Yvelines), une juridiction suspectée de faire passer ses opinions avant la loi.

    Cela fait plus de deux ans que les deux femmes domiciliées à Mantes-la-Jolie se sont mariées. « On s'est rencontrées en 2006 et ça a tout de suite été un coup de foudre », raconte Marie-Thérèse, en souriant. Un an plus tard, elles vivent ensemble et progressivement, ressentent le besoin de fonder une famille. Mais la loi sur le mariage pour tous ne permet pas au couple de même sexe d'avoir recours à la procréation médicale assistée (PMA).

    L'épouse de la mère biologique demande d'officialiser sa maternité

    Nathalie décide alors d'aller dans une clinique de Barcelone (Espagne) pour faire un bébé. Après sept tentatives infructueuses et plus de 10 000 € dépensés, elle tombe enceinte en 2015. « C'est un projet qui nous tenait vraiment à cœur », poursuit cette fonctionnaire du ministère de la Justice. Après l'accouchement, faute de place en crèche, c'est Marie-Thérèse qui s'occupe de la petite fille pendant onze mois. « Je me suis vraiment investie dans mon rôle de mère. C'est vraiment extraordinaire. Sans parler de ma mère de 85 ans et qui me voit enfin mère », glisse-t-elle dans un sourire.

    Déboutée car l'enfant a été « conçu à l'étranger en contournant la loi française »

    En avril 2017, Marie-Thérèse demande au tribunal de grande instance de Versailles d'officialiser sa maternité. « C'est très important. S'il arrive quelque chose à la petite, je dois pouvoir la conduire à l'hôpital et assumer mon rôle de parent », insiste-t-elle. « Et s'il m'arrivait malheur, cela éviterait des démarches supplémentaires et aussi pour des questions d'héritage », ajoute son épouse.

    Elle sera déboutée. Les juges versaillais ont estimé que l'enfant a été conçu à l'étranger en contournant la loi française. Autre motif du refus : le fait que la loi espagnole laisse au donneur de sperme la possibilité de se faire connaître. « Nous avons été très déçues parce que pour nous, il ne s'agissait que d'une formalité », confie Nathalie.

    Des avocats dénoncent «un tribunal pro-Manif pour tous »

    Pour Me Antoine Fabre, leur avocat, c'est « un jugement partial ». La Cour de cassation a d'ailleurs tranché en faveur de couples de même sexe dans des affaires identiques, rapporte-t-il, énumérant des décisions favorables prononcées par les cours d'appel d'Aix-en-Provence, Toulouse, Chambéry, Limoges et même Versailles.

    Ce lundi, deux autres couples homosexuels sont présents à la cour d'appel de Versailles, pour la même requête que Nathalie et Marie-Thérèse. Leurs avocats dénoncent, eux aussi, des décisions « d'un tribunal pro-Manif pour tous, qui humilie leurs clients ». « Ce n'est pas normal que la loi s'applique différemment, selon qu'on habite à Aix ou Mantes-la-Jolie », peste Me Fabre.

    «Des jugements motivés par des arguments de droit»

    Contactée, la chancellerie indique être incapable de se prononcer sur l'existence d'un tel parti pris, car « tous les jugements rendus sont correctement motivés par des arguments de droit ». Pour une source proche du parquet général de Versailles, c'est un problème qui se heurte « au principe de l'indépendance des juridictions ». « La Cour de cassation a tranché en la matière, estimant que le bien-être de l'enfant, qui doit être élevé par un couple stable et attentionné, devait primer » ajoute-t-elle.

    En dehors de Versailles, le message semble avoir été entendu. C'est le cas notamment en Seine-Saint-Denis. «Il n'y a pas de problèmes sur notre juridiction », explique Me Valérie Grimaud, ancien bâtonnier de Seine-Saint-Denis, spécialiste des affaires familiales. «Les décisions qu'on obtient en matière d'adoption ou de droits de visites et d'hébergement, dans le cas des couples homosexuels séparés, sont à l'image de celles qu'on obtient pour les couples hétérosexuels. ».

    Pour Marie-Thérèse et Nathalie, la cour d'appel de Versailles rendra sa décision le 7 mai.

    La Chancellerie a commandé une étude

    Les affaires d'adoption d'un enfant conçu par procréation médicalement assisté (PMA) ou par gestation par autrui (GPA) se multiplient au tribunal de grande instance de Versailles. Actuellement, ce ne sont pas moins, en moyenne, de dix affaires par mois qui sont ainsi jugées dans les Yvelines. « Ces couples sont déboutés, précise une source du palais de justice. Le parquet a ordre de laisser les justiciables faire appel. » Mais impossible de chiffrer précisément le phénomène. C'est pourquoi la chancellerie a justement commandé une étude afin de mieux apprécier cette particularité du tribunal versaillais qui commence à devenir un sujet sensible dans tout le pays.

    Le député LREM Jean-Louis Touraine a proposé le 15 janvier à l'Assemblée nationale de remanier largement les règles définissant la filiation en droit français. Pour les couples de femmes et les femmes seules qui ont recours à la PMA, il propose qu'avant l'accouchement, une reconnaissance de l'enfant soit effectuée devant notaire. Cette démarche donnerait lieu à un acte de naissance qui définirait des parents, et non deux mères, puisqu'un enfant ne peut pas avoir deux mères biologiques.