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Témoignage : "J'ai passé (et obtenu !) mon bac à 47 ans"

Témoignage : "J'ai passé (et obtenu !) mon bac à 47 ans"
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Décrocher le fameux sésame est un défi que relèvent de plus en plus d’adultes, pour changer de vie ou restaurer leur image de soi. Maria, bachelière à 47 ans, raconte.

Déscolarisée très jeune

" J’ai été déscolarisée à l’âge de 12 ans et envoyée en Espagne dont ma famille est originaire. Dans ma famille, les femmes ne font pas d’études. S’instruire, réfléchir, elles n’en ont pas besoin. Ce "décret " masculin s’est transmis de mère en fille sans aucune remise en cause. J’ai été la première à le faire voler en éclats : mes filles sont d’excellentes élèves et se projettent dans des études longues et fructueuses. J’ai toujours soutenu leur désir, souhaitant de toutes mes forces qu’elles bénéficient de ce qui m’a tellement manqué.

Quitter l’école fut une grande souffrance, d’autant plus vide de sens qu’aucune explication rationnelle ne la justifiait. De retour en France, j’ai quitté ma famille pour des stages d’initiation à la vie professionnelle suivis de petits boulots déprimants. J’avais 17 ans. Dans le foyer de jeunes travailleurs où je vivais, une colocataire m’a parlé d’une annonce proposant une formation en droit pour les non-bacheliers : cours le matin et travail chez un employeur l’après-midi. C’était une ouverture, je me suis présentée et j’ai été reçue au concours.

Le droit m’intéressait. J’ai travaillé comme secrétaire dans plusieurs un cabinets d’avocats pendant une vingtaine d’années. Lorsque mon dernier employeur est parti à la retraite, j’ai profité de mes indemnités pour m’inscrire à IVT, International Visuel Théâtre d’Emmanuelle Laborit et apprendre la langue des signes qui me fascinait. Puis j’ai travaillé deux ans dans une association avec trois collègues sourdes où nous assurions une permanence juridique et sociale en langue des signes française auprès de femmes sourdes victimes de violences. Faute de subventions, les contrats ont été rompus deux ans plus tard.

Retour au lycée à 45 ans

Je me suis interrogée sur ce que je voulais faire de ma vie. J’étais bilingue (langue des signes), avec de bonnes bases d’espagnol. Mais sans diplôme, on ne travaille pas, sauf à des postes sous-payés. L’avenir était incertain. Jusqu’au jour où ma fille m’a annoncé qu’elle avait un cadeau pour la fête des Mères. Elle connaissait ma frustration de ne pas avoir fait d’études, faute d’être bachelière, et de ne pas pouvoir choisir ma voie. Elle m’a donc emmenée au lycée municipal d’adultes (LMA), rue d’Alésia à Paris. Seul établissement en France où les adultes peuvent reprendre leurs études de la seconde à la terminale et passer leur bac, comme tous les lycéens, puisque le programme est le même.Les cours avaient lieu le soir de 18 à 22 heures, du lundi au vendredi et, à partir de la première, le samedi matin. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, rien ne m’aurait empêché d’assister aux cours. Même malade, je n’en perdais pas une miette. Quitte à souvent rentrer chez moi après minuit, car j’habite en grande banlieue. C’était ma chance, je la saisissais à bras-le-corps. Cet état d’esprit est partagé par tous les élèves. Certains font un travail de nuit, mais on les retrouve quand même en cours.

Le soutien formidable de mon entourage et celui des profs

Si on ne doit notre motivation qu’à nous-mêmes, l’entourage est essentiel pour tenir. On ne réussit pas seul. Mes filles étaient adolescentes ou presque (elles ont aujourd’hui 19 et 13 ans), je pouvais m’absenter. Avec leur père, elles m’ont encouragée, conseillée, écoutée. Quant aux professeurs, ils sont un soutien incontournable. Ils savent que l’on a une vie de famille, un boulot, des problèmes d’adultes et nous épaulent sans relâche. C’est d’ailleurs pourquoi je n’ai jamais imaginé passer mon bac en candidat libre, sans leur présence.

Je suis bachelière !

Juin 2018 : les épreuves du bac. Je m’y suis présentée sereinement. J’avais fait ce qu’il fallait, pour le reste, il fallait attendre. Si je loupais l’examen, j’étais prête à le repasser l’année suivante. Mais je l’ai eu ! J’ai eu mon bac ! avec mention « Bien », de surcroît ! fierté immense, soulagement, sentiment jusqu’alors inconnu de complétude... Sur les 22 élèves de ma classe du LMA, qui se sont présentés, 18 ont été reçus dont 11 avec mention. On a fêté ça tout l’été…

Aujourd’hui, je suis étudiante en première année de licence de langue, littérature et civilisations étrangères et régionales (LLCER). Tous les cours me passionnent. Je suis dans mon élément. J’espère au minimum un master et, sans doute, devenir traductrice en espagnol et langue des signes. Le monde des sourds a cruellement besoin d’interprètes dans tous les domaines de la vie sociale, à commencer par le lycée et la fac… En attendant, je savoure chaque seconde de ma nouvelle vie qui ne fait que commencer. "

L'avis du psy : Jean-Pierre Winter, psychanalyste*

" Une étape initiatique "

"Au-delà des raisons pratiques (accès à une formation universitaire ou à des postes plus qualifiés, etc.), le bac est un passage symbolique d’un âge (celui de l’enfant pour qui l’on décide) à un autre (celui de l’adulte qui peut faire des choix). Comme tout passage initiatique, il est validé par une communauté choisie qui autorise le sujet à l’intégrer. Lorsque, pour x raisons, cette étape a été contournée, choisir d’y remédier signe la fin d’une exclusion dont on a mesuré les effets. L’adulte qui relève ce défi décide de sortir de l’illusion que l’on « se fait tout seul » en faisant l’apprentissage de la pensée et du savoir de l’autre (la culture). A partir de là, il va pouvoir construire sa pensée propre et s’autoriser à vivre ce dont il est capable. En transformant sa vision du monde, il va également changer de place et quitter celle où l’assignait la société mais également son entourage proche qui pourra le lui reprocher. Mais, revalorisé sur le plan narcissique, il pourra s’engager librement dans sa propre existence.

*Auteur de "L'avenir du père" (éditions Albin Michel)

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