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La contraception, l'autre charge mentale des femmes

La pilule est la méthode contraceptive la plus répandue en France.
Même au sein de couples stables, la contraception est souvent à la seule charge des femmes. Getty Images

Olivier Véran a annoncé, ce 9 septembre, la gratuité de la contraception pour toutes les femmes jusqu'à 25 ans à partir du 1er janvier prochain. Comme son prix, les douleurs, la charge mentale ou les effets secondaires indésirables de la contraception incombent aux femmes, jusqu'au sein des couples.

La gratuité de la contraception, pour toutes les femmes jusqu'à 25 ans, dès le 1er janvier prochain : c'est ce qu'a annoncé le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran ce matin sur le plateau de France 2, dont il était l'invité. "Il y aura une prise en charge de la contraception hormonale, du bilan biologique qui peut aller avec, de la consultation de prescription et de tous les soins qui sont liés à cette contraception", a-t-il précisé.

La gratuité ne concernait pour l'instant que les mineures. "Il y a un recul de la contraception, et le premier motif c'est pour des raisons financières", a ajouté Oliviver Véran pour justifier le report à 25 ans. Si la mesure devrait soulager les plus précaires, elle ne concerne que les moyens de contraception féminin. Même en couple, les femmes portent le plus souvent seules tous les inconvénients de la contraception, de la charge mentale aux effets indésirables.

Une charge solitaire

"J'ai pris plus de 10 kilos sous pilule". "J'ai changé trois fois de pilule chez trois gynécologues différents qui ne m'ont jamais écoutée". "Mon gynéco m'a dit que j'exagérais, que je ne "pouvais pas tout avoir"". Sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient sous le hashtag "#PayeTaContraception". Des femmes racontent les effets indésirables de leur pilule ou de leur stérilet, le sentiment de devoir subir en silence ou le manque d'écoute du personnel médical. Depuis la légalisation des moyens contraceptifs en 1967, le contrôle de la fertilité repose majoritairement sur les femmes. Qu'elles soient en couple ou qu'elles aient des partenaires occasionnels, nombre d'entre elles dénoncent une charge exclusivement féminine.

"Aucun garçon ne m'a jamais demandé ce qu'il fallait faire après un rapport non protégé", affirme Louise (1). Cette étudiante de 23 ans est catégorique : ses partenaires sexuels occasionnels ne se soucient pas de contraception. Ayant l'habitude d'utiliser des préservatifs, quand ce n'est pas le cas – ces soirs où l'on ne prend pas toujours le temps de discuter –, c'est elle qui gère seule l'angoisse d'une grossesse non désirée. "Je me souviens d'un garçon, avec qui j'ai fait l'amour sans préservatif, raconte l'étudiante parisienne. J'étais trop angoissée pour m'endormir, tandis que lui dormait paisiblement, même quand je me suis levée tôt pour aller acheter la pilule du lendemain." À son retour de la pharmacie, il est réveillé et lui demande où elle était. "Je lui ai répondu, et ça ne l'a pas préoccupé le moins du monde. Il a fait une vanne, et c'est tout." Une solitude difficile à admettre lorsqu'on se sent "coupable de ne s'être pas protégée et que la pilule du lendemain amplifie ce sentiment, en nous rendant irritable et fragile".

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"Toute une organisation"

Comme Louise, la majorité des femmes s'occupent seules de leur contraception. Alors que 71,9% des Françaises en utilisent une, 71,8% d'entre elles ont recours à une méthode médicalisée (pilule, stérilet, implant, patch, anneau, injection, stérilisation tubaire ou encore vasectomie du conjoint) d'après le baromètre 2016 de Santé publique France. Soit près de sept sur dix. C'est donc le plus souvent à elles que revient la tâche d'éviter une grossesse non désirée. Et leurs partenaires ont une fâcheuse tendance à ne pas s'en soucier dès qu'il ne s'agit plus de préservatif. "Certains posaient quelques questions, mais c'est tout. Quand je leur rappelais qu'ils avaient étudié le système reproductif comme tout le monde, ils me disaient que ça ne les regardait pas", déplore Fanny, une journaliste de 25 ans. Avant l'implant qu'elle s'est fait poser il y a quatre ans, elle a essayé la pilule et le patch. Elle oublie souvent la première, et le second lui provoque des irritations cutanées et des règles douloureuses. Pour couronner le tout, ils ne sont pas entièrement remboursés. "Et aucun homme ne m'a jamais proposé d'en payer la moitié", assure-t-elle.

Ça représente plusieurs charges qui se catapultent les unes les autres

Claire Alquier, sexologue et thérapeute de couple

Et pour cause : dans la plupart des couples hétérosexuels, la santé reproductive est une responsabilité féminine. Notamment parce que la France "reste sur un modèle figé autour de la pilule comme élément central", explique la sociologue Nathalie Bajos, directrice de recherche à l'Inserm. En 2016, 33,2% des Françaises de 15 à 49 ans l'utilisaient. Le sujet est "rarement abordé par les patients, qui n'imaginent pas que c'est quelque chose d'important, explique la sexologue et thérapeute de couple Claire Alquier. L'idée que les femmes qui ont des rapports hétérosexuels doivent se débrouiller seules est très prégnante, très intégrée".

Pourtant, la contraception peut constituer une charge importante, entre les rendez-vous gynécologiques, l'obligation de régularité, les effets physiques éventuels... "Ça représente toute une organisation, un ensemble de choses auxquelles penser et plusieurs charges qui se catapultent les unes les autres : physique, émotionnelle, matérielle, financière", résume Claire Alquier. Les méthodes naturelles, qui se développent depuis la crise de la pilule de 2012-2013, ne sont pas moins lourdes. Connaître son cycle et sa période d'ovulation implique d'être "très disciplinée et de surveiller ses symptômes tous les jours, explique Léa, 24 ans, adepte de la méthode. Idéalement, il faut prendre sa température, observer sa glaire cervicale (sécrétion à l'entrée du col de l'utérus dont l'aspect change en période d'ovulation, NDLR) et prendre note de tous les changements quotidiens, comme les maux de tête".

Mon corps, mon problème

En France, la contraception sur prescription médicale est légale depuis la loi Neuwirth de 1967, et ses derniers décrets d'application, en 1973. "Il y a donc une médicalisation du contrôle de la fertilité, qui passe désormais par des méthodes efficaces et scientifiques qui concernent essentiellement les femmes. Mais cela se combine à la revendication politique" de leur droit à disposer de leur corps, explique Bibia Pavard, historienne et maître de conférences à l'Institut français de presse (IFP), à Paris.

Tout cela est d'abord vu comme "une grande libération", et "aboutit à une idée qui se fige à partir des années 1980, qui veut qu'elles doivent être responsables de la contraception. On le voit très bien dans la première campagne publique sur le sujet lancée par Yvette Roudy, alors ministre des Droits des femmes, qui s'adresse uniquement à elles". La campagne en question, intitulée "pouvoir choisir" et lancée en 1981, consistait en des spots télévisés réalisés par Agnès Varda qui rappelaient que "la contraception est un droit, chacun doit pouvoir s'informer et choisir en connaissance de cause".

En vidéo, la légalisation de la pilule en France

Cécile Thomé parle elle aussi d'une "naturalisation" de la contrainte : il devient naturel, dans l'esprit collectif, que les femmes se chargent de contrôler leur fertilité. Parce qu'elles portent l'enfant "elles ne démissionneront de toute façon pas, explique la doctorante en sociologie à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), membre du laboratoire Contraception et genre. Les hommes ont donc tout intérêt à ne pas s'impliquer". La pilule étant en plus le fruit d'une alliance entre féministes et médecins, "on remet très peu en cause la médicalisation de la santé reproductive et le contrôle médical du corps des femmes" qu'il implique, note la sociologue. Le fait que le contrôle de la fécondité appartienne à la gynécologie médicale est pourtant "très français", assure Cécile Thomé, qui cite qui le Royaume-Uni et le Canada, où les hommes aussi sont impliqués.

"Ingérence" masculine

Chez certains couples capables d'en parler ouvertement, le sujet devient une préoccupation commune. "Il ne s'imaginait pas entamer une vie de couple sans s'occuper de tout ce qui allait avec", dit Marie de son époux. Avant d'avoir recours à une stérilisation tubaire par hystéroscopie - la méthode Essure, interdite en France depuis 2017 -, cette auxiliaire de puériculture de 48 ans a utilisé une pilule contraceptive pendant près de vingt ans. "Mon mari notait mes rendez-vous gynécologiques et venait avec moi. Tout ce que je savais, il le savait", explique la mère de famille.

Je ne me sentirais pas à ma place dans sa relation à sa gynécologue

Un partage aussi équilibré n'a pourtant rien d'évident. Un homme se mêlant de contraception "peut être vu comme une ingérence", par lui comme par sa compagne, explique Cécile Thomé. C'est le cas d'Antoine (1), en couple depuis dix ans. Chez cet ingénieur de 30 ans, le sujet est devenu tout naturel lorsque sa compagne a souhaité arrêter la pilule. Pourtant, il ne l'a jamais accompagnée à un seul rendez-vous gynécologique. "Elle m'a souvent dit qu'elle n'aimait pas vraiment ces rendez-vous, mais ça ne m'est jamais venu à l'esprit", admet-il, invoquant des raisons d'emploi du temps "avant tout" et de simples "visites de routine où ma présence ne paraissait pas nécessaire". Mais "j'imagine aussi que je ne me sentirais pas à ma place dans sa relation à sa gynécologue", explique Antoine.

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Cette idée d'une ingérence masculine dans l'intimité des femmes "est une croyance assez facile à démonter", assure la sexologue et thérapeute Claire Alquier. Lorsqu'elle s'occupe de contraception en thérapie de couple, il lui suffit "d'amener l'homme à demander à sa compagne si elle trouverait ça intrusif, et lui permettre de verbaliser que non, qu'au contraire ça lui ferait du bien". Ces échanges sont souvent le seul moyen d'inclure les hommes dans le parcours de santé reproductive, où ils n'ont habituellement "pas leur place", explique Cécile Thomé, sociologue à l'EHESS.

Les hommes de mai 68

Il y a les hommes qui s'impliquent auprès de leur compagne, et ceux qui veulent aller plus loin. Dès les années 1970, alors que les idéaux de mai 68 sont encore vivaces, les questions de fertilité ont offert un nouveau terrain de réflexion à des hommes soucieux des inégalités de genre. De ses propres mots, Jean-Luc est "vraiment issu de cette mouvance des années 1968-1970". À 57 ans, il se souvient des débuts de la contraception, lorsqu'il "y avait beaucoup de discussions autour du partage des responsabilités". Les cercles homosexuels et féministes qu'il fréquente alors, fers de lance de la libération sexuelle, le sensibilisent dès l'adolescence à l'idée de méthodes masculines.

"Là où j'en ai le mieux entendu parler, c'était dans les journaux de l'Ardecom", raconte Jean-Luc. L'Ardecom, ou Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, qui en plus de publier une revue, organisait à l'époque des groupes de parole entre hommes, pour questionner leur rôle dans la sexualité et la maîtrise de la fécondité. Ses membres ont été parmi les premiers à utiliser des méthodes hormonales ou thermiques - un slip chauffant qui empêche la création de spermatozoïdes - développées par deux médecins, Jean-Claude Soufir et Roger Mieusset. L'association existe toujours et tient désormais une permanence mensuelle au Planning familial de Paris.

Microchirurgie

L'intervention, pourtant légère, fait peur

Légalisée tardivement (en 2001), la vasectomie est l'une des contraceptions masculines les plus connues, mais elle traîne beaucoup d'idées reçues. "Beaucoup de femmes à qui j'en parle sont surprises, mais c'est parce qu'elles sont mal informées, assure Jean-Luc, qui s'est fait opérer il y a près de vingt ans. Elles croient que j'ai des problèmes d'érection ou d'éjaculation." L'intervention, pourtant légère - "quinze minutes, sous anesthésie locale et la cicatrisation se fait vite" - fait peur. En 2013, seuls 0,8% des hommes y avaient eu recours d'après les Nations unies, quand 3,8% des femmes choisissaient la ligature des trompes.

Le caractère irréversible de la vasectomie représente un frein pour de nombreux hommes. Pourtant, il est possible de congeler son sperme avant l'opération ou de le récupérer chirurgicalement dans les testicules. Les canaux déférents, par lesquels les spermatozoïdes sont envoyés dans le sperme et qui sont sectionnés lors de la vasectomie, peuvent même être reconnectés par une autre opération. Mais cette microchirurgie de précision ne fonctionne pas à tous les coups, ce qui explique que la vasectomie est considérée par défaut comme irréversible. Tout comme la ligature des trompes.

Injections

Si Mateo envisage lui aussi une vasectomie, il a pour l'instant opté pour une solution réversible. À 25 ans, ce régisseur son et sa compagne se sont lancés il y a quelques mois, en quête d'une alternative à la pilule. Les injections d'hormones hebdomadaires étant peu compatibles avec son rythme de vie, le jeune homme a commencé à porter le slip chauffant mis au point par le Dr Mieusset, du CHU de Toulouse. La méthode, purement mécanique, est exigeante : le slip doit être porté quinze heures par jour minimum. Rien d'insurmontable, pour Mateo : "Je le porte de 9 heures à 23 heures, ce qui correspond à mes horaires de travail". Là où la plupart des hommes crient à l'inconfort et à la pénibilité, comme si les femmes ne les subissaient pas déjà, Mateo se dit "fier d'avoir mis ça en place". Et a conscience de faire figure d'exception. "On est peu nombreux à le faire, et encore moins nombreux à s'en rendre compte."

(1) Le prénom a été modifié.
Cet article, initialement publié le 28 février 2019, a fait l'objet d'une mise à jour.

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141 commentaires
  • gulli2

    le

    « L’autre »? En réalité C’est la seule charge mentale qui est propres aux femmes…

  • Bucéphale

    le

    Il suffit de se retenir un peu et plus de problème pour tout le monde, et en plus on évite une grande partie des 200 000 avortements. La volagilité dans les mœurs entraine un nombre de problèmes pas possible.

  • anonyme

    le

    La charge mentale des femmes existe à cause des femmes d'aujourd'hui. Personnellement, je pense que si les hommes ne veulent pas mettre un préservatif, alors pas de rapport sexuel. Et tout le monde est plus tranquille

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