Google refuse de retirer une application saoudienne qui traque les femmes
Absher permet aux hommes d'exercer leur tutelle sur les femmes par voie électronique. Sous pression des parlementaires américains, Google (comme Apple) a ouvert une enquête début février, avant de juger que l'application n'enfreignait pas ses conditions d'utilisation.
Par Lucas Mediavilla
Après plusieurs semaines d'enquêtes, Google vient de prendre une décision qui ne devrait pas manquer de susciter la controverse. Le géant de Mountain View a en effet décidé de maintenir dans son « store » l'application saoudienne Absher, très critiquée depuis plusieurs semaines.
Absher, qui compte 11 millions d'utilisateurs dans le pays, est conçue pour permettre aux Saoudiens d'interagir avec les administrations publiques du Royaume, y compris payer des amendes, renouveler leur permis de conduire, déclarer la naissance d'un nouveau-né. Elle permet aussi aux hommes d'exercer par voie électronique leur tutelle légale sur les femmes. Et donc, de spécifier où, quand et pendant combien de temps elles sont autorisées à quitter le pays.
L'application a été mise en service dès 2012, suscitant à l'époque la critique des Saoudiennes sur le réseau social Twitter, un des rares espaces de libertés dans le pays. Elles dénonçaient notamment les SMS automatiques envoyés dès lors qu'une femme s'apprêtait à passer les frontières du pays.
Apple et Google sous le feu des critiques
Son retour au premier plan est consécutif à une enquête publiée début février par Business Insider . Malgré les promesses du gouvernement saoudien de suspendre la fonctionnalité de SMS automatique en 2015, le média américain note que celle-ci est toujours active, et permet de limiter l'exode des femmes du Royaume. Chaque année, 1.000 d'entre elles essaieraient de quitter le pays selon les experts interrogés.
Bien que non mentionnés dans le premier article de Business Insider, Google et Apple ont été vertement critiqués depuis, l'application étant disponible dans leurs magasins d'applications respectifs.
Dans un article distinct pour Insider, Rothna Begum de Human Rights Watch, déclare qu'« Apple et Google ont des règles contre les applications qui facilitent les menaces et le harcèlement. Des applications comme celle-ci peuvent faciliter les violations des droits de l'homme, y compris la discrimination à l'égard des femmes. »
Pression des parlementaires américains
Les parlementaires américains se sont emparés de l'affaire à la mi-février, interpellant les deux géants quant à leur responsabilité. Dans une lettre adressée aux deux géants mondiaux de la tech, le sénateur démocrate Ron Wyden jugeait le 12 février que « les sociétés américaines ne devraient pas faciliter le patriarcat du gouvernement saoudien en permettant aux hommes saoudiens de contrôler les membres de leur famille à partir de leurs smartphones ».
Au Congrès, 14 membres de la Chambre des représentants, notamment démocrates, demandaient de leur côté la suppression pure et simple de l'application, déclarant dans une lettre publiée le 21 février que Google et Apple se rendaient « complices de l'oppression des femmes ».
Pour éviter un nouveau scandale, les deux firmes se sont engagées à enquêter sur l'application et sa conformité avec leurs conditions d'utilisation. Mais si Apple n'a pas encore rendu sa décision, Google a de son côté jugé que Absher ne violait aucune de ses propres règles, laissant de facto l'application disponible sur le Play Store.
Lucas Mediavilla