Iran : condamnée pour avoir défendu des femmes dévoilées

Un tribunal révolutionnaire a prononcé une lourde peine de prison contre Nasrin Sotoudeh, illustre avocate de militantes iraniennes contre le port du voile.

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D'après Amnesty International, Nasrin Sotoudeh, ici en 2013, encourt 34 ans de prison et 148 coups de fouet. 

D'après Amnesty International, Nasrin Sotoudeh, ici en 2013, encourt 34 ans de prison et 148 coups de fouet. 

© BEHROUZ MEHRI / AFP

Temps de lecture : 6 min

Cela fait cinq ans que des Iraniennes défient en silence les autorités en République islamique. Protestant contre le port obligatoire du voile en Iran depuis 1979, elles osent se photographier sans hijab avant de diffuser les clichés sur les réseaux sociaux en signe de défiance. Lancé en 2014 par Massih Alinejad, une journaliste et militante iranienne vivant à Londres, le mouvement a pris une ampleur supplémentaire en Iran en décembre 2017.

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À l'époque, alors que l'Iran est secoué par d'importantes manifestations, le cliché tête nue de Vida Movahedi surgit sur les réseaux sociaux. Debout sur un coffret télécom situé à un croisement de la rue Enghelab de Téhéran, cette Iranienne âgée de 31 ans brandit son foulard blanc au bout d'un bâton de bois. Un geste inouï en République islamique, où les femmes (iraniennes comme étrangères) sont tenues de porter le voile en public, ainsi qu'un manteau ample, ce qui n'était pas le cas sous le shah.

Pilier de la République islamique

Pourtant, depuis une vingtaine d'années, le voile glisse chaque jour davantage, laissant dépasser de nombreuses mèches de cheveux, et les manteaux se raccourcissent inexorablement, ne laissant d'autre choix aux autorités que de faire preuve de plus de souplesse. Depuis l'élection à la présidence du « modéré » Hassan Rohani, la police des mœurs chargée de traquer les contrevenantes est de moins en moins visible dans les grandes villes, et le voile chute parfois totalement sur les épaules des Iraniennes, notamment au volant de leur voiture qu'elles considèrent comme un « espace privé ».

Toutefois, hormis des manifestations au début de la République islamique, jamais des Iraniennes n'avaient aussi ouvertement contesté le port obligatoire du voile, avec une si large audience. La photo de Vida Movahedi s'est répandue comme une traînée de poudre sur la Toile, faisant rapidement le tour du monde, ébranlant l'un des sacro-saints piliers du régime iranien.

« Encourager la corruption morale »

En réponse, la jeune femme a été arrêtée dès le lendemain de la publication de sa photo, et n'a été libérée de prison qu'un mois plus tard. Mais son geste a servi de modèle à des dizaines d'autres Iraniennes qui ont emboîté le pas à la « fille de la rue Enghelab », brandissant à leur tour leur voile blanc au bout d'un bâton ou de leur bras. En février 2018, l'une d'entre elles apparaît cheveux au vent dans la même rue, debout sur une armoire de voirie. Deux agents de police viennent alors à sa rencontre et la font violemment tomber à terre, devant des badauds indignés. « Aucun homme n'a le droit de traiter une femme de la sorte », réagit alors sur Facebook l'illustre avocate iranienne, Nasrin Sotoudeh. Prix Sakharov 2012 du Parlement européen pour la liberté de penser, cette défenseure des droits de l'homme, elle-même emprisonnée de 2010 à 2013 pour « action contre la sécurité nationale » et « propagande contre le régime », se saisit alors du cas de plusieurs d'entre elles.

Au total, une trentaine de femmes ont été arrêtées, dont la majorité a été libérée. Mais la plupart des militantes sont poursuivies par la justice qui, pour les rares cas rendus publics, a visiblement décidé d'en faire des exemples. En mars 2018, l'une de ces contrevenantes a été condamnée à 24 mois de prison, dont 3 ferme, pour avoir « encouragé la corruption morale ». Puis, en juillet de la même année, la militante Shaparak Shajarizadeh a annoncé depuis l'étranger où elle est exilée avoir été condamnée à vingt ans de prison, dont deux années ferme.

« 38 ans et 148 coups de fouet »

S'exprimant le 8 mars 2018, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le guide suprême et véritable chef de l'État en Iran, le conservateur ayatollah Ali Khamenei, a écarté d'un revers de main toute évolution juridique sur la question du hijab, estimant qu'ôter son voile dans la rue est haram (pêché). Pourtant, loin de se cantonner aux seules « frondeuses », la justice iranienne est allée jusqu'à s'attaquer à leurs avocats.

Le 13 juin 2018, Nasrin Sotoudeh a été arrêtée et incarcérée dans la prison Evin de Téhéran. On lui a alors indiqué qu'elle avait été condamnée, à l'issue d'un procès auquel elle n'a pas assisté, à cinq ans de prison par un tribunal révolutionnaire de Téhéran sur des accusations d'espionnage. Or, l'avocate vient d'être de nouveau condamnée à l'issue d'un procès qui s'est tenu in absentiale 30 décembre dernier, l'accusée n'ayant pas pu choisir son avocat. D'après l'agence de presse semi-officielle Isna, la justice iranienne a prononcé contre elle une peine de sept ans de prison (cinq ans pour « conspiration contre le système » et deux ans pour « insulte au guide suprême »). L'agence de presse ajoute que l'affaire a été transmise à la cour d'appel.

Mais ce verdict pourrait en réalité cacher une peine beaucoup plus longue, car d'autres charges pèsent sur l'avocate, parmi lesquelles « assemblée et collusion contre la sécurité nationale », « propagande contre l'État », « incitation à la corruption et à la prostitution » ou encore « apparition devant l'autorité judiciaire sans le hijab islamique ». Sur sa page Facebook, son mari Reza Khandan, a écrit lundi que Nasrin Sotoudeh avait été condamnée au total à « 38 années de prison et 148 coups de fouet ». Soit « cinq ans pour la première affaire, et 33 ans et 148 coups de fouet pour la deuxième », sans apporter de plus amples précisions.

« Corruption et prostitution »

« J'ignore à combien d'années elle a été condamnée pour chacune des charges, car ma conversation avec Nasrin n'a duré que quelques minutes et que nous ne sommes pas entrés dans les détails », a expliqué Reza Khandan au Center for Human Rights in Iran (CHRI, Centre pour les droits de l'homme en Iran), révélant par la même que c'est sa femme qui l'a informé de sa condamnation depuis la prison d'Evin où elle est incarcérée. « Je sais simplement que la peine la plus importante était de douze ans pour [avoir encouragé des gens] à la corruption et à la prostitution », a-t-il ajouté. Le mari de Nasrin Sotoudeh a lui-même été condamné en janvier dernier à six ans de prison, notamment pour « complot contre la sécurité nationale [il est pour l'heure libéré sous caution, NDLR] ».

Pour Amnesty International, c'est « en partie à cause de son opposition » aux lois sur le port obligatoire du hijab que l'avocate iranienne des droits de l'homme a été condamnée. Et l'ONG de souligner : « Parmi ses activités citées à titre de « preuves » contre elle figure le fait qu'elle se soit opposée au port obligatoire du hijab, qu'elle ait retiré son foulard lors de visites en prison, défendu des femmes ayant manifesté pacifiquement contre le port obligatoire du hijab, accordé des interviews aux médias sur l'arrestation violente et la détention de femmes contestant cette obligation, et déposé des fleurs à l'endroit où une manifestante avait été violemment interpellée. »

Dans une interview accordée au Point en janvier 2018, Nasrin Sotoudeh estimait que la situation des droits de l'homme s'était aggravée en Iran, rappelant à l'occasion qu'« une grande partie du respect des droits de l'homme en Iran dépend du pouvoir judiciaire ». Une justice qui reste aux mains des conservateurs iraniens, et dont le nouveau chef, nommé la semaine dernier par le guide suprême, n'est autre qu'Ebrahim Raisi, religieux ultraconservateur, ancien procureur adjoint du tribunal révolutionnaire de Téhéran de 1985 à 1988, lorsqu'ont été exécutés des milliers d'opposants politiques iraniens.

Retrouvez l'interview que nous avait accordée Nasrin Sotoudeh en janvier 2018 Iran : « La loi permet pourtant de manifester sans autorisation »

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Commentaires (37)

  • y

    Des religions et de leurs diktats.
    Quand ce n'est pas l'une, on passe à une autre.
    Et jamais pour le bonheur des croyants
    Mais pour restreindre leur liberté.
    Et si on pensait à offrir à l'autre du bonheur
    Au lieu de le confiner dans des obligations parfois d'un autre âge
    Et ce, quelle que soit la religion.

  • y

    Chez nous, cela fait des décennies que des musulmanes nous défient avec leur voile.
    Lesquelles sont les meilleures musulmanes ?
    Celles sans voile, ou avec voile ?
    C'est la seule question pertinente.

  • Eranis

    Nous allons bien trouver quelques commentateurs parfaitement complaisant à l'égard de la culture islamique iranienne.
    Slts