Contrairement à l’idée répandue selon laquelle le féminisme n’existe pas en Afrique, l’histoire de l’émancipation et de la lutte des femmes africaines pour l’égalité a commencé dès l’époque précoloniale. Des sociétés matriarcales ou matrilinéaires [dans lesquelles la transmission par héritage de la propriété, des noms de famille, et des titres relève du lignage de la mère] ont laissé des traces sur le continent avant la traite négrière et le colonialisme. Dans certaines d’entre elles, les rôles attribués aux femmes et aux hommes étaient fluctuants. Mais cette flexibilité n’a pas survécu à la rigidité imposée par le colon – armé de sa Bible, d’un fusil et d’une idée très précise et restreinte des relations hommes-femmes.

Il suffit de survoler la littérature spécialisée pour comprendre que, sur les territoires qui correspondent aujourd’hui au Cameroun ou à la Sierra Leone, les femmes étaient chefs de leurs clans et villages. Elles ont dirigé les migrations zouloues [en Afrique du Sud] au XIXe siècle, et formé leurs propres escadrons dans la terrible armée de l’empereur Chaka. Elles composaient aussi la garde rapprochée du roi du Dahomey [actuel Bénin].

De célèbres reines guerrières

On peut aussi s’informer sur de célèbres reines guerrières africaines de l’époque, comme Yaa Asentewaa [de l’empire Ashanti, actuel Ghana], Ana Nzinga [des royaumes Ndongo et Matamba, actuel Angola], ou Sarraounia [reine de la communauté Azna, actuel Niger], idéalisées par les légendes qui se mêlent au folklore au fil du temps.

Nous ne pouvons négliger le pouvoir politique de reines égyptiennes comme Cléopâtre, Néfertiti ou Hatchepsout, de la Nigériane Amina de Zaria, de la Mauritanienne Dihya, ou de la princesse burkinabée Yennenga. Nous ne pouvons pas non plus nier que les femmes étaient autrefois, dans de nombreux villages africains, des autorités religieuses et des membres puissants et respectés de leurs communautés.

L’un des textes essentiels à la compréhension de ces réalités est signé par l’anthropologue nigériane Ifi Amadiume, auteure de Male Daughters, Female Husbands [“Filles mâles, époux femelles” (1987), inédit en français]. Dans son travail sur plusieurs sociétés traditionnelles africaines, elle souligne deux points clés : une organisation sociale reposant sur les deux sexes, et une langue ne distinguant pas le féminin du masculin. Cela a permis la normalisation de rôles “traditionnellement” féminins chez les hommes, et vice versa, sans que soient stigmatisées ou sanctionnées les personnes concernées.

Avec les colons, “la place de la femme était la cuisine et la chambre”

La chercheuse précise que, chez les Igbos [dans le sud-est du Nigeria], des structures parallèles de pouvoir coexistaient pour les hommes et les femmes. Elle donne l’exemple de femmes qui se mariaient à d’autres femmes et qui adoptaient le rôle du chef de famille. “Avant le colonialisme, les femmes assumaient des fonctions bien plus importantes, plus complexes, complète sa compatriote, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie. Il y avait une bien meilleure répartition des rôles entre les deux sexes. Les hommes étaient, en général, plus puissants, mais les femmes avaient du pouvoir”.

L’arrivée du colonialisme s’est accompagnée du christianisme victorien, qui contenait l’idée terrible, blanche, de la soumission de la femme. Et l’idée que la place de la femme était la cuisine et la chambre.”

Adichie précise que dans la région des Igbos (Igboland), les femmes étaient chargées du commerce, et elles pouvaient être sculptrices comme céramistes. Les Igbos n’étaient pas une exception sur le continent africain, pas plus que sur le territoire nigérian. Sans aller bien loin, chez les Yorubas [principalement au Nigeria], les femmes occupaient des postes clés dans les hiérarchies sociales et religieuses.

La colonisation économique, politique et religieuse du continent africain [à partir de la fin du XIXe siècle] a entraîné la destitution des dirigeantes politiques et religieuses, et le confinement des femmes à l’espace privé. Mais les Africaines ont joué un rôle fondamental dans la décolonisation, à la fois par la lutte armée (Josina Machel, par exemple, a combattu pour libérer le Mozambique des Portugais) et la désobéissance pacifique (les exemples sont nombreux,