travail, entreprise, égalité homme femme, Pixabay 3:43
  • Copié
Anaïs Huet , modifié à
Après son congé maternité, Corinne, DRH dans un grand aéroport français, a vu le comportement de son supérieur hiérarchique changer du tout au tout. Elle en a parlé à Olivier Delacroix jeudi.
VOS EXPÉRIENCES DE VIE

Un parcours brillant, une ascension professionnelle sans encombre… Jusqu'à sa grossesse. Corinne, aujourd'hui âgée de 50 ans et DRH dans un grand aéroport français, a constaté qu'à son retour de congé maternité, son supérieur hiérarchique a tout fait pour la déstabiliser, au point de la faire craquer. Elle a témoigné au micro d'Olivier Delacroix, jeudi sur Europe 1.

"Je suis directrice des ressources humaines d'un grand aéroport français, un métier qui permet à la fois de concilier les envies des gens, leurs capacités, et ce qui va faire qu'une organisation va réussir. C'est une équation qui est parfois difficile, mais c'est passionnant comme travail. C'est quelque chose que je trouve extrêmement positif, même si parfois les DRH font un peu peur. Mon travail m'a apporté un vrai épanouissement.

À l'époque, j'étais la première femme à avoir un tel poste dans un si grand aéroport. C'était une fierté, et un challenge, car les aéroports étaient sur le point d'être privatisés, et il y avait tout à construire. J'arrivais à un moment de ma carrière où j'avais assez de bagages pour me sentir capable de porter tout ça. J'étais extrêmement heureuse d'être choisie pour ce poste.

>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici

Au début de ma carrière, je ne comprenais pas ceux qui disaient qu'être une femme dans le milieu de l'entreprise, c'était un combat permanent pour se faire entendre ou accéder à de hauts postes. J'avais travaillé presque exclusivement dans des grands groupes, avec beaucoup de mes collègues et de mes supérieurs hiérarchiques qui étaient des messieurs étrangers, d'Afrique du Sud ou des pays nordiques. Franchement, pour moi, le fait d'être une femme était un non combat. C'était une lutte que je ne comprenais pas trop.

Mais j'ai fini par me heurter à ce plafond de verre que je ne voyais pas, et dont je n'avais pas conscience, car j'ai eu la chance de tomber enceinte de jumeaux. Pendant ma grossesse, j'ai continué à travailler pendant assez longtemps. Même quand j'ai dû être alitée, je continuais à travailler de chez moi. Comme je n'habitais pas très loin du travail, mes collaborateurs venaient en réunion à la maison.

Entendu sur europe1 :
Ça a commencé par des petites piques, des reproches totalement infondés, des questions qui n'avaient pas de sens

À mon retour de congé maternité, j'étais très heureuse de reprendre mon poste. Mais je me suis rendue compte que les choses avaient changé avec mon responsable hiérarchique, et je ne comprenais pas. Mon implication était la même, mon temps de travail était le même. Petit à petit, de manière insidieuse, mon N+1 a changé de comportement vis-à-vis de moi. Ça a commencé par des petites piques, des reproches totalement infondés, des questions qui n'avaient pas de sens, ou qu'il m'avait déjà posées, auxquelles j'avais déjà répondu de manière très claire.

Puis c'est devenu un peu plus vicieux. Pendant deux semaines environ, quand on était en réunion, quand je lui rendais compte de l'avancée d'un dossier, il me montrait très ostensiblement qu'il me regardait avec un sourire qu'il n'avait jamais eu avant. Quand je lui demandais s'il était d'accord pour suivre mes préconisations sur tel ou tel dossier, il me répondait : 'Mais bien sûr Corinne, tout à fait Corinne…" C'était très déstabilisant. Je me retrouvais devant quelqu'un qui, peu de temps avant, me mettait des bâtons dans les roues, puis tout d'un coup, me disait oui à tout. Là, j'ai commencé à sentir qu'il regardait la femme, et non plus la collaboratrice.

Entendu sur europe1 :
Le monsieur qui me remplaçait en CDD avait une voiture de fonction et un salaire de plus de 20% supérieur au mien

Suite à cette violence et à ces déstabilisations, le médecin du travail, qui me connaissait depuis quelques années, m'a déclarée inapte à mon poste pour me protéger. Pendant ce temps, j'ai été remplacée en CDD par un monsieur qui avait presque exactement le même périmètre que moi.

 

Quand je suis revenue, j'avais très peur. Mais je me disais que j'allais faire face, qu'on était dans un pays de justice et que j'avais ma place à mon poste, que je n'avais jamais démérité. En arrivant, j'ai constaté que le monsieur qui me remplaçait était toujours là. Puis j'ai appris que ce monsieur en CDD avait une voiture de fonction et un salaire de plus de 20% supérieur au mien. J'ai compris que les hommes de pouvoir vont toujours se soutenir entre eux.

Entendu sur europe1 :
Je me rappelle très bien d'avoir posé mon stylo et d'avoir dit : 'Continuez sans moi'

Un jour, avant que je craque et que je sois mise en arrêt, j'étais en réunion avec mon supérieur hiérarchique, et son supérieur hiérarchique à lui. Mon chef a tout fait pour me déstabiliser sur des petites choses aussi anodines que : 'Corinne, allez fermer la porte de la salle de réunion'. Certes, j'étais la plus proche de la porte, mais ça m'agaçait un peu qu'on me le demande comme ça. Je suis quand même allée fermer cette porte. Or, elle était coincée, donc je n'y arrivais pas. Et là, il a dit : 'Elle n'est même pas capable de fermer une porte. Même le plus imbécile des imbéciles saurait fermer une porte !' Bon, j'ai avalé la couleuvre, et j'ai commencé mes présentations techniques. Là, mon supérieur hiérarchique n'a pas arrêté de m'interrompre avec des questions qui n'avaient pas de sens, au point de me faire perdre le fil. C'était bien sûr le but de la manœuvre. J'étais déjà dans un tel état de fatigue, que j'ai explosé en sanglots. Je me rappelle très bien d'avoir posé mon stylo et d'avoir dit : 'Continuez sans moi'.

Je me suis rendue compte tardivement que c'était un cas typique de harcèlement. J'ai fini par porter plainte, et ce pour deux raisons. La première, c'était pour moi. Pour que la souffrance réelle de toutes ces années soit reconnue. La seconde, c'est parce que je pensais aux autres femmes, et qui n'ont pas eu la possibilité de faire les études que j'ai faites, qui n'ont pas autour d'elles l'aide, le soutien d'une famille et d'amis comme ce fut mon cas. J'ai mis des années avant de réussir à prouver que ce que je vivais était bien de la discrimination."