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À La Une - Focus

Confusion, en Arabie saoudite, face aux "lignes rouges" sans cesse changeantes

En matière de liberté d'expression, notamment, les incohérences se multiplient.

Une Saoudienne se prend en selfie, en juin 2018, lors d'un atelier de conduite pour les femmes à Riyad. Entre le développement d'un hypernationalisme et des réformes sociétales rapides dans une Arabie saoudite toujours ultra-conservatrice, les réponses incohérentes de l'Etat à de présumées transgressions brouillent la compréhension des "lignes rouges". AFP / FAYEZ NURELDINE

Deux Saoudiens expriment publiquement leurs opinions : l'un est arrêté, l'autre est libéré au nom de la liberté d'expression. De telles contradictions entretiennent la confusion sur les "lignes rouges" qui ne cessent de bouger dans le royaume.

Sexe, religion et politique étaient autrefois tabous dans cette monarchie absolue. Mais désormais entre le développement d'un hypernationalisme et des réformes sociétales rapides dans ce pays pétrolier ultra-conservateur, les réponses incohérentes de l'Etat à de présumées transgressions brouillent la compréhension des "lignes rouges" par les Saoudiens.

Ce mois-ci, un tribunal de Djeddah (ouest) a acquitté un "influenceur" du réseau social Snapchat, accusé d'avoir insulté des compatriotes, affirmant que chaque citoyen avait le droit d'exprimer son opinion, ont rapporté des médias locaux sans donner plus de détails. Le jugement a été applaudi par certains mais a rendu d'autres perplexes alors qu'une vague de répression frappait des opposants et des militants des droits humains.


(Lire aussi : Deux sœurs saoudiennes appellent à l’aide après avoir fui en Géorgie)


Alors que le quotidien progouvernemental Okaz titrait "Liberté d'expression garantie", cette liberté n'a pas été reconnue pour l'universitaire Anas al-Mazrou, arrêté le mois dernier après avoir exprimé sa solidarité avec des militantes emprisonnées, lors d'une table ronde au salon du livre de Riyad. Le ministère des Médias n'a pas répondu à une demande d'explication sur l'incohérence entre les deux cas.

Des contradictions similaires existent dans d'autres domaines. En février, un comédien a été convoqué chez le procureur et contraint de s'excuser pour s'être moqué de la police religieuse, pourtant marginalisée aujourd'hui. Un café de Djeddah a été récemment fermé pour ne pas avoir appliqué la ségrégation entre les sexes, ce qui a suscité l'étonnement d'autres propriétaires de cafés où, ces dernières années, femmes et hommes ont été autorisés à se mélanger. L'an dernier, les autorités ont arrêté un employé d'hôtel qui apparaissait dans ce qu'elles ont décrit comme une vidéo "offensante" en train de déjeuner avec une collègue de travail.


"Bien ou mal"?
"Le système est plein de contradictions (...) et nous ne savons pas ce qui est bien et ce qui est mal", a souligné Noah al-Ghamdi, un ingénieur. "Vous pouvez faire quelque chose de spontané et un fonctionnaire n'appréciera pas et décidera de vous écraser", a-t-il écrit sur Twitter.

Le caricaturiste Jabertoon a récemment résumé ce sentiment dans un dessin représentant un citoyen perplexe, coincé par des lignes rouges en zigzag et sermonné par un fonctionnaire lui signalant une infraction.

Ces incohérences ont soulevé des questions sur ce qui est acceptable dans le contexte de la grande campagne du prince héritier Mohammad ben Salmane qui, selon un fonctionnaire, vise à bousculer et à moderniser son royaume, longtemps sous l'emprise d'une version rigoriste de l'islam. Cette campagne, populaire auprès des jeunes, a mis fin à des décennies d'interdiction de conduire pour les femmes, d'interdiction des salles de cinéma et a permis pour la première fois l'organisation de concerts mixtes. Jusqu'ici, elle n'a pas provoqué de réaction négative majeure, mais la réforme d'une société imprégnée de conservatisme est risquée en de tensions économiques croissantes mais aussi parce que les jeunes pourraient en attendre davantage, mettent en garde des responsables.


(Lire aussi : L’Arabie saoudite à Najaf, une avancée en territoire hostile?)


Les incohérences soulignent "une stratégie combinée du pousser-tirer", alors que le royaume tente de se réformer sans soubresauts, déclare Ali Shihabi, fondateur de l'Arabia Foundation, une fondation proche du pouvoir à Riyad. Souvent, l'attitude des autorités dépend de la réaction sur les réseaux sociaux. Si un acte devient viral et agite l'opinion publique, il y a un risque de répression. "Vous continuez à repousser les limites, tout en étant très attentif aux réactions du public et tout en réagissant en conséquence", estime M. Shihabi.


"Zone grise"
Toutefois, les ambiguïtés entretenues par les autorités pourraient s'avérer insoutenables à long terme.

"Le gouvernement s'est donné beaucoup de mal pour faire avancer son projet de modernisation sociale", ont déclaré les chercheuses Eman Alhussein et Sara Almohamadi dans un rapport. "Cependant, sans fixer de paramètres clairs pour ce qui est acceptable, la zone grise est susceptible de s'étendre davantage et de mettre en péril la réforme sociale", ont-elles estimé.

Nombreux sont ceux qui ressentent déjà les effets de la répression arbitraire alors que le pays semble passer d'une religion austère à un hypernationalisme qui favorise la vénération des dirigeants. Lors d'un débat télévisé l'année dernière, Abdallah al-Fawzan, membre du Conseil de la Choura (assemblée consultative), a déclaré que les Saoudiens avaient le droit de qualifier quelqu'un de "traître" si cette personne ne défend pas la nation ou choisit de garder le silence.


(Lire aussi : Six mois après l’affaire Khashoggi, MBS est-il réhabilité ?)


Le règne de la peur et de la confusion sur les "lignes rouges" a incité de nombreux libéraux à fermer leurs comptes Twitter. Et comme certains militants emprisonnés sont accusés d'avoir contacté des médias internationaux, les Saoudiens sont réticents quand il s'agit de parler à des journalistes étrangers.

"Il pourrait y avoir un retour de flamme", a dit à l'AFP Kristin Diwan du centre de réflexion Arab Gulf States Institute à Washington. Elle ajoute: "Il y a un danger à éveiller des soupçons déjà latents à l'égard des étrangers au moment où le pays cherche à s'ouvrir à plus d'investissements étrangers et au tourisme"

Deux Saoudiens expriment publiquement leurs opinions : l'un est arrêté, l'autre est libéré au nom de la liberté d'expression. De telles contradictions entretiennent la confusion sur les "lignes rouges" qui ne cessent de bouger dans le royaume.Sexe, religion et politique étaient autrefois tabous dans cette monarchie absolue. Mais désormais entre le développement d'un hypernationalisme et...

commentaires (2)

IL Y A TROP DE CHEMIN A FAIRE POUR PARLER DE REFORMES DANS CE PAYS TOUT COMME EN IRAN. LES DEUX FACES DE LA MEME MONNAIE.

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 56, le 22 avril 2019

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Commentaires (2)

  • IL Y A TROP DE CHEMIN A FAIRE POUR PARLER DE REFORMES DANS CE PAYS TOUT COMME EN IRAN. LES DEUX FACES DE LA MEME MONNAIE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 56, le 22 avril 2019

  • La véritable confusion est dans la tête des sots et niais qui croient vraiment que la bensoudie va devenir dans un avenir proche un pays rivalisant avec l'occident naïf qui croit réellement qu'un changement est imminent . DE TOUTE FAÇON COMME TOUS LES AUTRES PAYS DE DICTATURE AFFILIÉS À L'OCCIDENT, LA BENSAOUDIE SE FERA JETER UN JOUR OU L'AUTRE. JE NE PARIERAI PAS UN RIAL TROUÉ SUR L'AVENIR D'UN PAYS PARASITÉ PAR L'OCCIDENT. LES EXEMPLES SONT PLÉTHORIQUES AUTOUR DE NOUS.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 23, le 22 avril 2019

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