«Être une femme parmi les femmes» : Céline, transgenre, raconte son histoire

À l’heure où les agressions transphobes se multiplient en France, Céline Audebeau veut participer à leur donner davantage de visibilité. Elle a couché sur papier son histoire qui a commencé, il y a 55 ans, en étant Christophe.

 Céline Audebeau a entamé sa transition il y a deux ans. Elle témoigne aujourd’hui de son « bonheur ».
Céline Audebeau a entamé sa transition il y a deux ans. Elle témoigne aujourd’hui de son « bonheur ». LP/Lilian Cazabet

    Pour certaines c'est la pire des insultes, pour Céline Audebeau c'est l'ambition d'une vie : être « transparente ». Que personne ne fasse attention à elle. Cette femme de 55 ans affiche pourtant une belle prestance, de celle qui attire les regards : grande, de beaux yeux bleus qu'elle sublime d'un maquillage charbonneux, une bouche rouge baiser, un foulard qui discipline ses longs cheveux et lui donne un petit air de bohémienne. Une certaine vision de la féminité. Si notre rencontre avait eu lieu il y a deux ans, ce n'est pas cette quinqua élégante que j'aurais eue face à moi mais un homme prénommé Christophe.

    Plus précisément, j'aurais eu face à moi une « femme prisonnière dans un corps d'homme », reprend celle qui vit depuis 13 ans à Hanoï, au Viêt Nam, et présidente directrice générale d'une usine de gilets de sauvetage et de matériel de plongée où travaillent 420 salariés. Céline est une femme transgenre et c'est depuis son pays d'adoption qu'elle assiste à la multiplication des agressions transphobes en France. Comme celle à l'encontre de Julia, autre femme transgenre, insultée et frappée le 31 mars place de la République à Paris. La vidéo de son agression, diffusée sur les réseaux sociaux, avait provoqué une vague d'indignation que Céline partage.

    « C'est révoltant. C'est une personne en cours de transition. Cela faisait 5 mois qu'elle prenait des hormones. Cela ne se serait jamais passé au Viêt Nam », veut croire l'expatriée. C'est à Bangkok, en Thaïlande, qu'elle a fait sa transition du masculin vers le féminin. « Du masculin au féminin », c'est aussi le titre de son ouvrage* retraçant sa vie, sa souffrance intérieure, dont les premiers signes sont survenus vers l'âge de 6 ans, jusqu'à la libération de Céline et le « deuil » de Christophe. « Car c'est bien d'un deuil qu'il s'agit pour les proches, la famille. Même si j'ai été soutenue par eux, comme je l'ai été dans mon milieu professionnel », souligne-t-elle.

    «La douleur profonde de ne pas vivre sa vie»

    Sa transition, pour elle, passait forcément par les interventions chirurgicales. « Je ne pouvais pas imaginer paraître femme et garder mon sexe masculin. Certaines transgenres ne font pas ce choix et je le respecte complètement mais moi, j'en aurais été incapable. Rien que pour ça, je n'aurais pas pu faire ma transition en France », poursuit la PDG. La loi impose en effet de vivre dans son nouveau genre au moins un an avant de procéder à la chirurgie de réassignation sexuelle. Mais la loi thaïlandaise aussi… « C'est vrai. J'ai menti. J'ai affirmé vivre en tant que femme depuis 15 mois », sourit malicieusement Céline.

    Pourtant, jamais elle n'était apparue ainsi avant ce rendez-vous avec la psy de la clinique thaïlandaise. Seules les femmes qui ont partagé sa vie avant sa transition – l'une d'elles lui donnera une fille, Anaïs – savaient que « Christophe », pour son bien-être, devait parfois s'habiller en femme à la maison. Elle songe à haute voix : « C'est difficile à croire que le simple fait de revêtir un vêtement féminin peut apaiser la douleur profonde de ne pas vivre sa vie. Je ne l'ai jamais fait, en revanche, devant ma fille. » Comment a-t-elle réagi lorsqu'elle a rencontré Céline pour la première fois ? Elle s'illumine en se remémorant ce souvenir. « Elle m'a dit : Que tu es belle papa ».

    Céline est célibataire désormais. Son épouse l'a quittée. Trop compliqué à vivre pour elle. Pourquoi parler de son histoire particulière aujourd'hui ? Elle qui chérit sa « transparence ». « Les personnes transgenres ont dix fois plus de risque de suicide. Mon objectif est de donner davantage de visibilité aux personnes transgenres jusqu'à ce que cela devienne un non-sujet, explique Céline. Je veux aussi témoigner du bonheur que je vis tous les jours. Cela fait bientôt deux ans et je m'étonne encore de l'image que le miroir me renvoie. » L'aime-t-elle cette image ? « Oh ! Je ne serai jamais top model, rigole franchement la cheffe d'entreprise, mais oui j'aime bien. Je veux juste être une femme parmi les femmes. »

    * «Du masculin au féminin, mon parcours singulier» de Céline Audebeau. Éditions Kawa, 21,95 euros.