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Luttes

Les six héros de l’écologie en 2019

Chaque année depuis trente ans, la Fondation Goldman pour l’environnement récompense « six êtres humains ordinaires, mais extraordinaires, qui nous rappellent que nous avons tous un rôle à jouer dans la protection de la Terre ». Certains risquent leur vie et leur liberté, comme trois des six lauréats 2019.

Chaque année, la Goldman Prize Foundation honore six militants écologistes qui se sont battus, parfois au risque de leur vie ou de leur liberté, pour sauver leur environnement, des forêts ou des rivières cruciales aussi pour la survie globale de la planète. Surnommé le « Nobel vert », ce prix, créé en 1989 par les philanthropes étasuniens Rhoda et Richard Goldman, récompense des activistes écologistes de chacune des six régions continentales : Europe, Asie, Amérique du Nord, Amérique centrale et du Sud, Afrique et îles et nations insulaires. Il a été décerné, en trente ans, à 194 militants de 89 nations différentes. Deux des lauréats ont été assassinés, la Hondurienne Berta Caceres en 2016 et le Mexicain Isidro Baldenegro en 2017. La lauréate 2018, Francia Márquez, est elle passée près la semaine dernière, le 4 mai. Des hommes armés ont tenté de prendre d’assaut une réunion d’activistes afro-colombiens à laquelle elle participait. Deux gardes du corps ont été blessés.

Voici les portraits des héros de l’environnement couronnés cette année. Le prix distingue « six êtres humains ordinaires, mais extraordinaires, qui nous rappellent que nous avons tous un rôle à jouer dans la protection de la Terre », explique Susie Gelman, présidente de la Fondation Goldman pour l’environnement. Trois d’entre eux sont particulièrement menacés, le Libérien Alfred Brownell a été contraint à l’exil pour fuir des menaces de mort, l’Américaine Linda Garcia en reçoit encore un an après sa victoire, et le Chilien mapuche Alberto Curamil, emprisonné par prétexte en représailles de son engagement contre deux barrages sur un fleuve sacré et vital pour son peuple.

Alfred Brownell (Liberia) : sauver la forêt tropicale de la culture du palmier à huile

Alfred Brownell.

Alfred Brownell, avocat spécialiste de l’environnement, défend les forêts tropicales du Liberia face aux avancées des plantations de palmiers à huile.
En 2010, le gouvernement libérien avait accordé à Golden Veroleum Liberia (GVL), une société agro-industrielle basée en Asie du Sud-Est, un contrat de location de 2.200 km2 pour la création de plantations de palmiers à huile dans le pays. Constatant que la société défrichait des forêts communautaires sans consentement ni indemnisation des populations locales et endommageait des sites sacrés, Brownell a travaillé avec les communautés locales pour déposer une plainte contre GVL auprès de l’Organisme mondial de certification de l’huile de palme (RSPO). La RSPO a empêché GVL d’agrandir ses plantations, mettant ainsi fin au défrichement de 94 % de la forêt louée à GVL.

La société a par la suite signé de nouveaux accords pour développer ses plantations, mais comme elle n’a pas tenu ses engagements en matière d’emploi et autres avantages promis, de violents affrontements ont eu lieu, donnant lieu à des arrestations de membres de la communauté. Alfred Brownell a alors rassemblé davantage de preuves juridiques pour prouver les mauvaises pratiques de GVL. Et en 2018, la RSPO a rejeté l’appel de GVL contre la suspension initiale de l’expansion de ses exploitations d’huile de palme.

Des palmiers à huile dans le comté de Sinoe, au Liberia.

Brownell a été contraint de fuir aux États-Unis avec sa famille en raison de menaces de mort. Il est actuellement professeur associé de recherche à la faculté de droit de la Northeastern University de Boston.

Bayarjargal Agvaantseren (Mongolie) : protéger le léopard des neiges contre les opérations minières

Bayarjargal Agvaantseren.

Bayarjargal Agvaantseren, professeur de langue, guide touristique et activiste, dirige l’ONG pour la protection du léopard des neiges en Mongolie, Snow Leopard Trust. Elle s’est intéressée à ces félins alors qu’elle servait d’interprète à un scientifique en visite dans la région. Elle a ensuite travaillé sur divers projets de conservation au profit des communautés de bergers mongoles.

Le léopard des neiges (Panthera uncia) est menacé. Il vit dans le sud du désert de Gobi, qui est particulièrement riche en gisements de charbon, d’uranium, de cuivre, d’or, de pétrole et de gaz. L’avancée des mines réduit l’habitat du léopard, décimé aussi par le braconnage et l’abattage en représailles, lorsqu’un léopard a mangé du bétail.

Dans les montagnes mongoles de Tost.

En 2009, face à l’expansion des opérations minières dans les montagnes de Tost, Bayarjargal Agvaantseren a noué des liens avec la communauté locale de Tost et elle a réussi à obtenir, avec leur accord, la création de l’immense réserve naturelle de Tost Tosonbumba, qui s’étend aujourd’hui sur 7.280 km2. C’est la première zone officiellement protégée en Mongolie, créée spécifiquement pour protéger le léopard des neiges. Sa campagne a également fait pression sur le gouvernement et a obtenu l’annulation de 37 permis d’exploitation minière qui avaient été octroyés dans la réserve, et l’interdiction d’y ouvrir de nouvelles mines.

Ana Colovic Lesoska (Macédoine du Nord) : les lynx des Balkans préservés des centrales hydroélectriques

Ana Colovic Lesoska.

Ana Colovic Lesoska, directrice et fondatrice du Centre Eko-Svest pour la recherche et l’information en matière d’environnement en Macédoine du Nord, a réuni des ONG et des militants du droit de l’environnement dans le cadre de la campagne Save Mavroro pour défendre les trente derniers lynx des Balkans (Lynx lynx balcanicus), gravement menacés d’extinction, qui vivent dans le parc national de Mavrovo, limitrophe de l’Albanie et du Kosovo.

Le lynx des Balkans.

En 2010, deux projets de grandes centrales hydroélectriques étaient lancés à Mavroro, financés par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) et la Banque mondiale, menaçant de détruire l’habitat des félins. Ana Colovic Lesoska a fait du porte-à-porte pour informer les habitants des conséquences des projets, elle a organisé des manifestations publiques, lancé une pétition demandant au gouvernement, à la Berd et à la Banque mondiale d’arrêter les projets, et a même porté plainte auprès de la Berd, alléguant que les financements avaient été accordés sans une évaluation adéquate de leurs conséquences sur la biodiversité de la région. La Banque mondiale a finalement retiré son financement, un tribunal nord-macédonien a annulé le permis environnemental et la Berd a annulé son prêt.

Jacqueline Evans (Îles Cook) : un parc marin protégé de 1,9 million de km2

Jacqueline Evans.

Au cours des cinq dernières années, Jacqueline Evans, militante de la protection de la mer aux Îles Cook, a mobilisé l’opinion publique, parcourant les îles avec des représentants du gouvernement, d’ONG et de chefs traditionnels, rencontrant les communautés, écoutant leurs priorités, suscitant le dialogue. Elle a réussi à faire créer un parc marin, Marae Moana, une zone protégée qui couvre l’ensemble de la zone économique exclusive des Îles Cook, sur 1,9 million de km2 d’océan autour du pays. Le parc comprend également une zone de 50 milles marins (93 km) autour de chacune des quinze îles où la pêche commerciale et l’exploitation minière sur le fond de la mer ne sont pas autorisées, les zones ne pouvant être utilisées que par les communautés insulaires.

Aujourd’hui, Jacqueline Evans veut mettre sur pied un règlement pour garantir la gestion durable de l’ensemble du territoire océanique des Cook.

Alberto Curamil (Chili) : la rivière sacrée Cautín sauvée de la production hydroélectrique

Alberto Curamil.

Alberto Curamil, militant écologiste emprisonné au Chili, est l’un des dirigeants autochtones du peuple mapuche de la région d’Araucanie, au Chili. Il a initié et dirigé la lutte contre deux projets hydroélectriques, l’Alto Cautín et Doña Alicia, qui pourraient détourner plus de 2 milliards de litres d’eau par jour de la rivière sacrée Cautín pour la production d’électricité, au détriment des poissons, de la faune, des écosystèmes riverains sensibles et du peuple mapuche.

Alberto Curamil a rallié non seulement le peuple mapuche, mais également les non-membres mapuches, y compris des organisations environnementales et des universitaires, pour organiser la résistance à ces projets. Il a organisé des manifestations, des barrages routiers et même lancé une campagne légale alléguant que le gouvernement chilien avait autorisé les projets de barrages sans le consentement préalable, libre et éclairé des communautés locales. En 2016, le Chili a annulé deux des projets d’hydroélectricité prévus, invoquant l’opposition du public pour l’un et l’absence de consentement et une évaluation adéquate des conséquences environnementales pour l’autre.

La rivière Cautín est sacrée pour les Mapuche.

En 2018, Alberto Curamil a été arrêté pour vol, une accusation qui, selon sa communauté, vise son activisme contre les barrages. Alberto Curamil est toujours en prison et le prix Goldman met en évidence la politique chilienne dans la région d’Araucanie et les tensions entre la communauté mapuche et le gouvernement du président Sebastián Piñera.

Linda Garcia (États-Unis d’Amérique) : faire échec au plus grand terminal pétrolier en Amérique du Nord

Linda Garcia.

Linda Garcia, militante écologiste étasunienne, a dirigé une campagne puissante et elle a finalement réussi à empêcher la construction de ce qui devait être le plus grand terminal pétrolier en Amérique du Nord, prévu pour exporter jusqu’à 42 millions de litres de pétrole par jour. Des trains de plusieurs kilomètres de long, partant des champs de fracturation situés dans le Dakota du Nord, devaient arriver jusqu’au port industriel de Vancouver (dans l’État de Washington, pas la ville canadienne) pour être ensuite chargés sur des pétroliers et acheminés vers l’Asie, avide d’énergie. Le terminal aurait été à moins de 1,5 km de la plupart des maisons de Fruit Valley.

Habitant elle-même Fruit Valley, un petit quartier de Vancouver, Linda Garcia a commencé à lutter contre le projet de terminal pétrolier Tesoro Savage en 2013, alors que Fruit Valley souffrait déjà d’une mauvaise qualité de l’air. Elle a fouillé dans les antécédents de la société, a fait campagne et a mobilisé l’opinion publique et obtenu le soutien des protecteurs de la Columbia River et du Sierra Club. Bien qu’atteinte d’un cancer, elle n’a pas ménagé ses efforts, soutenue par de nombreux autres militants. En 2017, un groupe d’experts a voté à l’unanimité pour recommander à l’État de Washington de refuser l’autorisation du terminal pétrolier, et en janvier 2018, le gouverneur Jay Inslee a finalement refusé les autorisations nécessaires au projet.

Linda Garcia reçoit encore aujourd’hui des menaces de mort.

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