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Les femmes turques réduites à la précarité

Les déclarations du gouvernement ne font pas oublier la tâche qui attend la Turquie en termes de « travail décent » et de parité.

Par  (Istanbul, correspondante)

Publié le 23 mai 2019 à 15h00

Temps de Lecture 4 min.

« Emplois décents et lien social ». La Turquie est, depuis des années, à la traîne des pays industrialisés en ce qui concerne l’insertion des femmes dans la vie active. Elle se classe au dernier rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à cet égard, avec 34 % de femmes dotées d’un travail rémunéré, contre 63 % en moyenne.

Les préjugés socioculturels, le poids du patriarcat dans la société sont autant de freins à l’entrée du « deuxième sexe » sur le marché du travail. Ce qui explique que les femmes turques qui travaillent ont essentiellement des emplois dévalorisés, aux conditions de travail difficiles.

Les bonnes performances de l’économie constatées entre 2003 et 2014 (stabilité macroéconomique, hausse des revenus de la population, meilleur accès aux services publics) n’ont pas permis d’inverser la tendance. Malgré les déclarations résolues du gouvernement turc, conscient de ce déséquilibre, les progrès sont trop lents. Un paradoxe sur lequel s’est penchée l’Agence française de développement (AFD). En partenariat avec la banque de développement turque TSKB, l’AFD accompagne les entreprises sur la voie du changement. Un projet pilote a été mis en place afin d’inciter les entreprises à une meilleure insertion des femmes tout en les sensibilisant à la notion de « travail décent », selon les critères défendus par l’Organisation internationale du travail.

Concrètement, l’AFD accorde des prêts à des conditions préférentielles aux entreprises qui se disent engagées, plan d’action à l’appui, à améliorer les conditions de travail. Cent millions d’euros ont ainsi été octroyés en un peu plus de deux ans.

« Ce projet est important. La face de l’industrie en Turquie ne va pas changer du tout au tout mais c’est un premier pas sur la voie d’une amélioration », explique Serge Snrech, directeur de l’AFD en Turquie. Douze entreprises ont été sélectionnées. Parmi elles, l’usine de produits laitiers Eker Süt, à Bursa, la grande ville industrielle à l’est d’Istanbul, a fait sienne la devise « les femmes font tout comme les hommes ».

Lutte contre les stéréotypes

En échange d’un crédit de 3,35 millions d’euros sur quatre ans, Eker Süt s’est engagée à promouvoir le « travail décent » et l’égalité hommes-femmes. Sur un total de 1 500 salariés, l’usine affiche désormais 118 femmes employées, contre 78 auparavant.

A l’initiative du département des ressources humaines, tous les salariés, sans exception, ont dû prendre part à des séances de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes de genre. Autre avancée, à Eker Süt, les offres d’embauche sont désormais rédigées sur le mode « non genré » afin de donner aux femmes les mêmes chances que les hommes.

Ces petits pas ne peuvent faire oublier l’ampleur de la tâche qui attend la Turquie en termes de « travail décent ». D’autant que le président Recep Tayyip Erdogan ambitionne de hisser son pays au rang des dix premières puissances économiques mondiales d’ici à 2023. Pour le moment, les femmes, invisibles sur le marché du travail, ne sont pas partie prenante de cet objectif.

Malgré leurs ­acquis fondamentaux (droit au divorce, à la contraception, à l’avortement), fait exceptionnel pour la région, les Turques continuent d’être sous-représentées sur le marché du travail. Pour celles qui travaillent, leurs emplois sont précaires et elles sont, bien plus que les hommes, exposées au harcèlement.

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Les plus éduquées, désireuses de gravir les échelons au sein de l’entreprise, se heurtent fatalement au « plafond de verre », comme en atteste leur piètre représentation aux postes-clés. En Turquie, 2 % seulement des PDG sont des femmes, moins de 10 % d’entre elles occupent des postes de direction dans le secteur public.

Pionnier en la matière, le projet parrainé par l’AFD et TSKB a ses limites. « La coopération est aisée avec les entreprises qui ont un département des ressources humaines, en revanche, elle est plus improbable avec les entreprises de petite taille qui en sont dépourvues », constate Ceyda Cesur qui, au sein de l’équipe de l’AFD à Istanbul, suit l’évolution des conditions de travail des entreprises du secteur industriel.

Il tente de convaincre les grosses entreprises, notamment celles du secteur textile, de la nécessité de sensibiliser leurs sous-traitants, pour que ces principes de travail décent se propagent auprès des petites et moyennes entreprises. Ceyda Cesur est confiante : « Les entreprises comprennent qu’elles ont tout à y gagner, en termes d’image surtout. Elles savent parfaitement que le consommateur européen va vouloir s’assurer que le produit qu’il achète a été fabriqué selon les règles. »

Recours aux sous-traitants

Grosse pourvoyeuse d’emplois, poste important d’exportation, l’industrie textile a abondamment recours aux sous-traitants et aux intérimaires en raison de son caractère saisonnier, flexible. Dans ce domaine, il faut désormais compter avec les réfugiés syriens – plus de 3,5 millions au total en Turquie –, qui trouvent beaucoup à s’employer dans les ateliers de confection, où le travail non déclaré, l’utilisation des enfants, les inégalités salariales, le manque de sécurité au travail sont monnaie courante.

Améliorer la santé et la sécurité au travail est également un objectif de l’AFD et de son partenaire TSKB. Le chantier est colossal. Le taux d’accidents du travail est élevé (1 923 morts en 2018, selon l’ONG turque Assemblée pour la santé et la sécurité des travailleurs).

Mais les entreprises désireuses d’améliorer leurs performances à cet égard sont peu nombreuses. « Le programme pour l’insertion des femmes attire. En revanche, il y a moins de demande en ce qui concerne l’amélioration de la sécurité au travail, car, pour cela, il faut consentir à des investissements », explique Ceyda Cesur.

Cinq entreprises se sont d’ores et déjà engagées sur la voie des bonnes pratiques, d’autres pourraient suivre leur exemple. Serge Snrech s’y emploie. « Notre rôle est d’accompagner les pionniers et de faire connaître leur action. »

Ce dossier est réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’AFD.

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