Récit

Une méthode qui a fait ses preuves en Espagne

Depuis que le bracelet électronique est utilisé dans la lutte contre les féminicides, le nombre de victimes a baissé.
par François Musseau, Correspondant à Madrid
publié le 2 juin 2019 à 19h26

Imaginez une montre en plastique, noire, sans cadran, au poignet de l'homme. Au poignet de la femme, un dispositif de réception ressemblant à une radio de poche. Les deux appareils sont reliés par un système de GPS et de radiofréquence. Lui, c'est un ancien mari, condamné par un juge pour violence conjugale. Elle, ancienne conjointe ou épouse, a été victime de ses mauvais traitements et de ses agressions. La justice les a séparés. Lui a été condamné, mais elle doit être protégée. Entre l'agresseur qu'il fut et qu'il pourrait être de nouveau et l'agressée susceptible d'être encore l'objet de la violence du premier, il n'y a plus que ce dispositif. On dit ici «pulseras electrónicas», des bracelets électroniques. Bien plus qu'un gadget : un appareil qui peut sauver une vie. Voire plusieurs. En Espagne, on estime à 1 150 le nombre d'hommes considérés comme «violents» portant actuellement ce genre de montre.

Le système est simple. Au moment même où l’ancien conjoint pénètre dans ce qu’on appelle «la zone de restriction» (en général, les magistrats établissent une distance minimum de 500 mètres entre l’homme et la femme violentée), l’alarme se déclenche dans le Cometa, le centre de contrôle national qui centralise toutes les alertes, disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une fonctionnaire suit alors un protocole bien établi : appel immédiat à la femme «en danger», à l’agresseur potentiel, puis à la police. En moyenne, étant donné le nombre de cas, chacune de ses 40 salariées dispose d’un temps très court (entre sept et dix minutes) pour établir un rapport, ensuite remis à la police judiciaire.

«Fléau»

Dans ce domaine, l’Espagne est en pointe. Elle a surtout de l’expérience : l’introduction de ce bracelet électronique - parfois, par souci de discrétion, il s’agit d’une montre fixée à la cheville - a été approuvée en 2008 et inaugurée l’année suivante. Ce dispositif de géolocalisation vise à diminuer les risques d’une nouvelle agression de la part d’un ancien conjoint ou mari. Pourquoi ? Depuis longtemps, les autorités espagnoles avaient détecté qu’environ la moitié des assassinats de femmes par leurs conjoints avaient lieu après la séparation. D’où la nécessité d’établir une «zone d’exclusion», pour éviter tout contact.

Pour lancer le dispositif, le gouvernement a déboursé 15 millions d'euros. A l'époque, l'exécutif est dirigé par le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero. Pas étonnant : ouvertement féministe, celui qui a légalisé le mariage homo entend lutter sans relâche contre ce qu'il considère être «l'un des pires fléaux de la société espagnole» : les violences faites aux femmes. L'année où il accède au pouvoir (2004), 71 femmes ont été tuées par leurs maris. Si les gouvernements de droite qui l'ont précédé avaient commencé à légiférer, Zapatero va bien plus loin en approuvant la loi intégrale contre la violence de genre, la LIVG. Cette dernière prévoit un arsenal de mesures qui va de la prévention à l'école jusqu'aux sanctions judiciaires. Le bracelet électronique est conçu comme une mesure en bout de chaîne, pour éviter les récidives.

«Pas une seule femme protégée par la surveillance électronique n'a été assassinée !» s'est félicitée en mars la précédente ministre de la Santé et membre du conservateur Parti populaire (PP). Il y a de fait consensus autour du dispositif. Dans le budget 2019 du gouvernement du socialiste Pedro Sánchez, la manne destinée au «système de prévention électronique» passe à 7 millions d'euros, en hausse de 42,9 %. Il le fallait : après une décennie d'utilisation, le système électronique 2G était devenu obsolète et, selon le syndicat UGT, 70 % des alertes étaient dues à des défaillances techniques. «On dérangeait pour rien l'homme violent, la femme apeurée, et la police excédée, témoigne une des salariées de Cometa. J'avais au téléphone des femmes censées se sentir protégées par le bracelet et qui paniquaient à chaque fois que je les appelais.»

Réaction

Les appareils sont désormais de génération 3G, et le système paraît mieux fonctionner. Dans un pays qui, entre 2009 et 2017, a enregistré 1,2 million de plaintes pour violences conjugales et qui a vu le nombre de femmes assassinées baisser (76 en 2008, 47 l'an dernier), une large majorité approuve ce dispositif. Il existe cependant un mouvement de réaction : le parti d'extrême droite Vox, en plein essor, s'oppose aux bracelets électroniques, «inutiles et onéreux». Son numéro 3, Ivan Espinosa, a affirmé en avril qu'«il y a davantage d'enfants assassinés par leur mère que de femmes tuées par leur mari». Sans aucun chiffre en main, ni aucune preuve.

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