"Le Sens du Poil": un compte Instagram belge qui fait rimer féminité et pilosité

Noires, blanches, petites ou grandes, ces filles ont un point commun : les poils

© capture d'écran - Instagram "Le sens du poil"

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Par Maxime Fettweis

Une femme, ça s’épile. Voici la norme qui fait foi dans les sociétés occidentales, sans que l’on se pose réellement la question. Pourtant, avec le compte Instagram "Le Sens du Poil", cinq jeunes belges mettent en avant une féminité qui fait l’impasse sur l’épilation. À travers des portraits de femmes, elles espèrent "montrer des corps différents". Une initiative originale dans une Belgique frileuse à s’engager sur le terrain du féminisme.

"On estimait qu’il y avait un vrai manque de représentation du corps des femmes telles qu’elles sont vraiment", explique Margot, qui soufflera sa 22e bougie prochainement. À l’origine du projet, une frustration : "Ce qu’on nous montre dans les médias, ce sont des femmes sans poils, minces, blanches… On voulait montrer une autre image de la femme, loin des stéréotypes." Avec Charlotte, Sophia, Alice et Laure, l’étudiante lance "Le sens du poil". Depuis vingt jours, les cinq étudiantes y publient des clichés de femmes et de témoignages de femmes qui assument leur duvet. Sous les bras, sur les jambes, sur les bras, la pilosité est assumée, parfois revendiquée.

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"Cachez ces poils que ma société ne saurait voir"

Le poil se conjugue donc au féminin. L’originalité de cette initiative provient du contre-pied qu’elle exploite, en désaccord avec les normes et injonctions diffusées auprès des jeunes filles. "Il y a une forme de domestication du corps de la femme à travers l’épilation, pointe Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue à l’UCLouvain. L’injonction à l’épilation est le fruit d’une très longue histoire du patriarcat et du capitalisme." Le patriarcat est la forme d’organisation dite "traditionnelle" où l’homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme.

L'épilation est une façon de prendre le pouvoir sur la femme

En encourageant les femmes à ôter leurs poils, les hommes ont, à travers les époques, trouvé un moyen de prendre leur contrôle de la gent féminine. "Il existait une représentation de la femme comme un être sauvage, à domestiquer et enlever ses poils à la femme fait partie des instruments qui permettait à l’homme de prendre le pouvoir sur elle", précise la chercheuse.


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À cette norme inculquée en premier pas les hommes, s’ajoutent les images véhiculées par les médias : "La question des médias et du poids des représentations de la femme, notamment via la publicité et la pornographie, a joué un rôle important dans l’histoire récente des poils", ajoute-t-elle. C’est précisément à l’opposé de ces modèles couramment diffusés que "Le sens du poil" est né. "On a vraiment voulu casser ce que l’on voit en général", insiste Margot.

Instagram : pour l’image et les jeunes

L’idée d’un profil Instagram s’est imposée naturellement au groupe de filles. D’abord parce que ce réseau social met l’image et l’esthétique au premier plan, mais aussi parce qu’il est majoritairement fréquenté par les jeunes. Les 16-24 ans sont la tranche d’âge la plus représentée sur le réseau au Polaroïd, en 2014, ils représentaient près de la moitié (44%) des utilisateurs. "On s’est rendu compte en parlant entre nous que c’est souvent à l’adolescence que les jeunes filles commencent à s’épiler", se souvient Margot. C’est pour toucher ces jeunes et les faire réfléchir sur leur rapport au corps que ce compte a vu le jour.

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Et depuis l’ouverture du compte il y a une vingtaine de jours, le succès est au rendez-vous. "Le Sens du Poil" a franchi la barre des 1000 followers ce 7 juin et les clichés publiés semblent trouver leur public malgré leur caractère disruptif. "On reçoit assez régulièrement des messages qui jeunes femmes qui nous remercient de ce qu’on fait", note la jeune femme.

Mais l’engouement a été instantané puisqu’avant de concrétiser leur projet, les cinq étudiantes ont dû trouver des femmes pour faire face à leur objectif et donner corps au projet. "On avait contacté deux ASBL féministes bruxelloises pour qu’elles diffusent un appel à témoin avec une adresse mail pour nous contacter. On a eu près de 120 réponses", se réjouissent-elles.

S’en sont suivis des contacts et des rencontres mais surtout pas de "casting". "On ne voulait pas choisir car choisir c’est toujours renoncer à plein d’autres femmes magnifiques et on voulait de toute façon être le plus inclusive possible", insiste Margot. Depuis, elles diluent leurs clichés au fil du "feed" Instagram en perpétuelle construction.

Une première en Belgique ?

En parcourant les réseaux sociaux, pas facile de trouver un compte belge similaire à ce projet. Pourtant, il en existe bien sur différentes plates-formes. C’est en tout cas le constat qu’a fait Alice, l’une des fondatrices, avant de se lancer dans l’aventure : "Quand on observait les comptes Instagram qui questionnaient les rapports de genre, on s’est rendu compte qu’il s’agissait majoritairement de comptes français ou québécois."

Mais alors, existe-t-il une forme de frilosité à la belge à s’emparer de tels sujets ? Difficile à dire pour la jeune femme. "Peut-être qu’il est plus difficile de fédérer en Belgique car il y a les différentes langues au Nord et au Sud du pays."

Ce qu’on veut c’est dire 'Faites ce que vous voulez' !

Pourtant, un véritable mouvement est apparu depuis plusieurs années, militant pour une libéralisation de la femme. Ces hommes et femmes militent pour un renversement de la société patriarcale. Mais cette longue histoire est bousculée par de nouveaux outils depuis plusieurs années. "De plus en plus de femmes s’en saisissent pour aller à l’encontre des normes qu’on leur impose", observe Jacinthe Mazzocchetti.


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L’anthropologue compare la mouvance qui a lieu sur la pilosité féminine au combat de lutte pour la légalisation de l’IVG qui a eu lieu dans les années 70. "Pour les poils, cela se passe au niveau des normes esthétiques qui sont aussi des rapports de pouvoir, précise-t-elle. L’idée n’est pas d’imposer une norme mais de reprendre le contrôle, que la femme puisse faire ce qu’elle désire de son corps." Un constat confirmé par Alice : "Ce qu’on veut, ce n’est pas instaurer une nouvelle norme, c’est amener une certaine diversité dans les corps de femmes qui sont montrés et dire ‘faites ce que vous voulez’."

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