La condition de la femme reste un sujet sensible dans un Japon dominé par les traditions

Japon: la condition de la femme, un sujet toujours sensible

© CHARLY TRIBALLEAU - AFP

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Par Alex Tabankia

Il y a quelques semaines, le Japon a été ébranlé par une polémique concernant la décision d’un ministre japonais de défendre des entreprises qui imposent aux femmes de porter des chaussures à talons au travail. Une pétition lancée sur Twitter par l’actrice Yumi Ishikawa avait récolté plus de 20.000 signatures. Baptisée #KuTooCampaign, un jeu de mots entre le terme chaussures et douleur, cette campagne dénonçait ce qui relève selon les signataires "de la discrimination sexuelle et constitue un harcèlement ".

"C’est quelque chose qui est socialement accepté et qui tombe dans le domaine de ce qui est professionnellement nécessaire et approprié", avait alors réagi le ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, Takumi Nemoto, en commission parlementaire sur le sujet.

Il y a quelques mois encore, un scandale impliquant des universités de médecine avait éclaté au Japon. Le comité de sélection de ces universités s’arrangeait pour que les femmes ne représentent pas plus de 30% du nombre total d’élèves reçus, au motif que, même si elles deviennent médecins, elles quittent ensuite souvent leur poste pour se marier et avoir des enfants.

Dans un pays profondément régit par les valeurs anciennes et les traditions ancestrales, la condition de la femme dans la société nippone reste un sujet sensible tandis que le pays compte encore énormément de retard en matière de réduction des inégalités.

Dictature des traditions?

Selon un rapport émis en 2018 par le Forum économique mondial concernant la parité hommes-femmes, le Japon figure à la 110e position sur 149, un mauvais score qui témoigne encore de la difficulté de ce pays de 127 millions d’habitants, l’un des plus riches de la planète, à outrepasser ces inégalités.

"Au Japon, l’égalité mais aussi les libertés individuelles sont, en principe, respectées d’un point de vue juridique. Mais certaines tendances culturelles sont encore très difficiles à éliminer", explique Marc Heremans, ancien collaborateur de l’ambassade du Japon et professeur de japonais à la retraite.

Dans la société japonaise et dans le monde du travail plus particulièrement, les femmes sont encore en retrait. Il n’est d’ailleurs pas rare que celles-ci s’arrêtent de travailler dès la naissance de leur premier enfant. Arriver à concilier vie professionnelle et familiale semble très compliqué dans un pays où il est encore communément admis que la place de la femme se limite à l’entretien du domicile et aux affaires familiales.

Pour autant, lorsqu’il s’agit de la vie privée, le rapport de force semble s’inverser. "Au foyer, c’est la femme qui règle tout et prend les décisions pour le couple. Ce sont elles par exemple qui décident de la gestion des dépenses, au détriment de l’homme". Dès lors qu’il s’agit de sa condition en société, la femme japonaise doit s’effacer au profit de son mari.

Au Japon, seul 25% des mères de famille travaillent à temps selon des chiffres émis en mars 2018 et plus de 55% des travailleuses japonaises occupent un emploi à temps partiel, contre une moyenne de 30% au sein de l’Union européenne. "Il n’y a pas d’égalité dans les salaires", rajoute Marc Heremans. "Les femmes atteignent difficilement des postes de haut rang. Certaines de ces règles semblent parfois difficiles à comprendre pour les Occidentaux".

Le Japon stagne

Depuis quelques années, des mesures semblent avoir été mises en place pour faire évoluer les choses dans le bon sens. Lancée en 2013, la campagne "Womenomics" portée par le Premier ministre Shinzo Abe entendait faire de l’intégration des femmes dans la société et l’économie, une priorité. Via des objectifs visant une augmentation des postes d’encadrement occupés par des femmes, le gouvernement japonais a estimé à 2,8 millions le nombre de femmes entrées sur le marché de l’emploi, soit une augmentation de 8,9%.

Pourtant, cette manœuvre reste davantage perçue comme un besoin économique plutôt qu’une vraie volonté d’harmoniser l’équilibre entre les hommes et les femmes. Car aujourd’hui encore, les femmes restent en retrait des postes de pouvoir. Au Japon, c’est d’ailleurs un gouvernement très conservateur qui est en place. Depuis 2018, celui-ci ne compte plus qu’une seule femme contre dix-neuf hommes. Satsuki Katayama est en charge de la revitalisation des régions mais aussi… de l’égalité hommes-femmes. Le précédent gouvernement nippon ne faisait pas beaucoup mieux avec la présence de deux femmes seulement. Le parlement actuel ne compte que 10% de femmes.

Si le Japon reste l’un des pays leaders en termes d’avancées technologiques, les progrès en termes de parité sont encore trop rares. "Les choses n’ont pas l’air de changer selon moi. Il y a trop de signes évidents qui le démontrent et qui indiquent que les traditions sont trop ancrées pour faire avancer les choses", conclut Marc Heremans.

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