Afghanistan : la voix des femmes, pour la paix et leur pays

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Afghanistan : la voix des femmes, pour la paix et leur pays

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Farida Momand, Palwasha Hassan et Mary Akrami, trois femmes pour défendre un Afghanistan moderne.
Farida Momand, Palwasha Hassan et Mary Akrami, trois femmes pour défendre un Afghanistan moderne.
© Radio France - Chadi Romanos

Quel avenir pour les femmes en Afghanistan ? Quel rôle peuvent-elles jouer alors que les Américains tentent de négocier un accord de paix avec les talibans ? 15 femmes afghanes sont réunies pour en parler lors d'une conférence à l'Assemblée nationale. Nous avons rencontré trois d’entre elles.

"Afghanistan : où sont les femmes ?" se demandait hier soir lors d' une conférence des Mardis de l'ESSEC 15 femmes afghanes d'influence. Ces femmes sont également les invitées ce mercredi à l'Assemblée nationale d'une autre conférence organisée sous le haut patronage du ministère des Affaires étrangères et intitulée "Paix, politique, sécurité en Afghanistan : où sont les femmes ?" Elles évoqueront le destin d'un pays où, aujourd'hui, sur 9 millions d'enfants scolarisés, 3% sont des femmes. Et où elles n'ont pas leur place à la table des négociations de paix.

Farida Momand fait partie de ces femmes afghanes qui n’ont jamais accepté de se résigner. Lorsque les talibans ont pris le contrôle de Kaboul en 1996, elle s'est enfuie au Pakistan après que sa famille a reçu des menaces de mort. Pour elle, il n’était plus question d’exercer son métier de médecin pédiatre.

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Nous n'avions pas le droit de travailler avec les médecins hommes. Ce n'était pas permis. Les médecins hommes et femmes travaillaient séparément. Et nous n’avions plus non plus le droit d’enseigner à l’université et dans les collèges mixtes. Ce n’était pas autorisé.

Farid Momand, ancienne ministre de l'Education supérieure d'Afghanistan
Farid Momand, ancienne ministre de l'Education supérieure d'Afghanistan
© Radio France - Chadi Romanos

La chute des talibans en 2001 a permis aux femmes de retrouver la place dont elles avaient été privées. Elles peuvent de nouveau suivre des études et accéder à des postes haut placés. Pour Farida Momand, ce sera la politique : son ambition est de servir son peuple. Elle est l'un des 400 candidats à l'élection parlementaire de 2005 dans la province de Kaboul. Elle se présente également aux élections provinciales de 2009 et aux élections législatives de 2010.

En 2015, Farida Momand sera nommée ministre de l'Enseignement supérieur par le président Ashraf Ghani, poste qu’elle n’occupera qu’un an. Aujourd’hui, elle ambitionne de devenir vice-présidente. Elle se présentera lors de la prochaine élection présidentielle, qui doit en principe se tenir en septembre, aux côtés d’un homme : le frère du commandant Massoud assassiné en 2001.

Le retour des talibans

Mais si les talibans ne sont plus au pouvoir, ils n’ont pas quitté le pays pour autant. Ils multiplient les attentats. Et plus le temps passe, plus ils sont en position de force. A tel point que les Américains ont ouvert des discussions directes avec ceux qui les représentent. Plusieurs cycles de négociations ont déjà eu lieu au Qatar et en Russie. Un autre est en cours actuellement à Doha. 

Si les discussions progressent, elles butent encore sur plusieurs points. Les Américains posent en effet des conditions : que les talibans donnent des garanties en matière de lutte contre le terrorisme, qu’ils acceptent un cessez-le-feu et d’ouvrir un dialogue avec le régime de Kaboul, ce qu’ils ont toujours refusé jusqu’à présent. Les talibans, eux, répètent qu’ils n’iront pas plus loin tant que les Etats-Unis n’auront pas annoncé un calendrier de retrait. 

Un accord est donc loin d’être trouvé, mais les femmes afghanes sont inquiètes de voir revenir ceux qui les ont tant oppressées. 700 d'entre elles ont même écrit une lettre ouverte au président Ashraf Ghani, lui demandant de ne pas les « vendre » aux talibans.

« À l'heure actuelle, ils occupent certaines régions d'Afghanistan. Nous ne sommes pas sûrs qu'ils aient changé totalement. C'est pourquoi nous insistons pour que la société internationale soutienne nos efforts », explique Farida Momand.

Nous avons longtemps lutté en Afghanistan, et nous serions vraiment déçues si nous perdions tout ce que les femmes ont accompli au cours des dix-huit dernières années.

Le dialogue plutôt que la guerre

Palwasha Hassan, directrice générale de l'Afghan Women's Educational Center.
Palwasha Hassan, directrice générale de l'Afghan Women's Educational Center.
© Radio France - Chadi Romanos

Palwasha Hassan est aussi engagée. Elle dirige le Centre d’éducation des femmes afghanes, qui œuvre pour l'autonomisation des femmes. Elle travaille depuis longtemps à une solution de paix pour l’Afghanistan, qui doit passer par le dialogue, dit-elle, plutôt que par la guerre ou par une intervention militaire.

Nous ne pouvons pas toujours nous battre. Pour cette raison, j'estime qu'il est temps d’accepter que les talibans s’assoient avec d’autres Afghans. Car ce sont aussi des Afghans.

« Mais ils ne peuvent pas rester à parler avec les Américains et décider de ce qui va se passer. Comme moi, il y a des milliers de femmes qui se sont battues toutes ces années pour obtenir des droits égaux, pour le droit à l'éducation et pour le droit au travail. Pour cette raison, les femmes devraient être les premières personnes assises à la table des négociations. »

C’est également l’avis de Mary Akrami. Directrice du Réseau des femmes afghanes, elle craint que les femmes ne soient les laissées pour compte d’un éventuel accord de paix.

Mary Akrmi, directrice générale de l'Afghan Women's Network.
Mary Akrmi, directrice générale de l'Afghan Women's Network.
© Radio France - Chadi Romanos

« C’est vraiment inquiétant de ne pas voir les femmes à la table des négociations, parce que la discussion porte sur l’avenir de notre pays. Nous n’oublions pas la noirceur qui a accompagné la période durant laquelle les talibans étaient au pouvoir. S'il y a une discussion sur l'avenir de notre pays et que nous n'y sommes pas associées, alors ce n'est pas acceptable. »

Si les talibans veulent faire partie du gouvernement, ils doivent accepter l’Afghanistan d’aujourd’hui. Les femmes pourraient y jouer un grand rôle. 

Avec la collaboration de Chadi Romanos

A écouter aussi : 

" Négociations de paix en Afghanistan : les femmes sacrifiées ?" : chronique de Pierre Haski, sur France Inter, le 19 avril 2019