Pourquoi les actrices de plus de 40 ans sont réduites aux rôles de méchantes

Au cinéma comme dans les séries, de plus en plus d'actrices quadragénaires – anciennes étoiles étincelantes d'Hollywood – en sont réduites à jouer les antagonistes... Retour sur ce phénomène insidieux.
jessica lange
FX

C'est un contrat tacite que tout le monde signe aveuglément. Les stars hollywoodiennes ne sont pas des femmes ordinaires. Leur aura magique rayonne dans des films qui les ont rendues inoubliables. L'éclat de rire divin de Julia Roberts dans Pretty Woman. Le regard de Kate Winslet, nue, planté dans les yeux de DiCaprio dans Titanic. Le visage paisible de Meryl Streep, la tête penchée en arrière, se faisant shampooiner par Robert Redford dans Out of Africa... Toutes ces icônes se sont logées dans nos esprits comme des références ultimes. Et comme les joyaux de la couronne, Hollywood en a fait les symboles de sa propre royauté. On les a ainsi placées sur un piédestal installé au bout d'un tapis rouge. Immortalisées sur la pellicule, ces créatures hollywoodiennes – fabriquées de toutes pièces par les studios et les marques de luxe – sont destinées à l'éternité... du moins pour un temps.

Car Hollywood est en train d'inventer un nouveau « trope ». Une niche parmi les niches, dédiée aux stars de sa fameuse « A-list ». Les actrices grandioses qui ont donné des sueurs froides à plusieurs générations, les femmes fatales, les amantes vertigineuses, les aventurières, les capricieuses invétérées, les femmes-enfants, les femmes interdites... Toutes celles qui ont peuplé notre imaginaire du temps de leur glorieuse jeunesse, ne sont plus délaissées par les films grand public mais se voient réserver une autre place, une fois fêté leur quarantième anniversaire, celui de la méchante.

Celles qui un jour ont habité nos rêves se mettent alors soudainement à hanter nos cauchemars. Cruelle sanction qui vient s'abattre comme une suite logique à l'irrésistible sketch d'Amy Schumer, « Last Fuckable Day », où Tina Fey, Patricia Arquette et Julia-Louis Dreyfus célèbrent ensemble le dernier jour où Dreyfus est encore « baisable », selon les critères des productions. Comprenez « crédible, voire encore assez bonne pour jouer le faire-valoir du héros ».

Désormais si elles ne finissent pas aux oubliettes, les studios préfèrent les recycler en terribles – peut-être encore un peu sexy – villains. C'est en quelque sorte une variation sur le mythe de la Reine-sorcière qui revient en force. Jadis admirée pour sa beauté, passé un certain âge, elle devient méchante et aigrie. L'antagoniste idéale face à l'innocence de la jeunesse. En 2012, deux icônes se prêtent d'ailleurs au jeu de la marâtre. À peine âgée de 37 ans, Charlize Theron endosse (déjà) le rôle de ce monstre de narcissisme passé du côté obscur du miroir dans Blanche-Neige et le chasseur de Rupert Sanders. À quelques mois près, Julia Roberts, 45 ans, joue sa variante à peine variée dans Blanche-Neige, le film de Tarsem Singh. Dans Into The Woods, Meryl Streep incarne la Sorcière qui bouleverse les destins de tous les héros. Cette vision datée des femmes et des actrices semble être la spécialité des grosses productions. On a ainsi pu voir Cate Blanchett céder au rôle de la méchante belle-mère dans Cendrillon, Angelina Jolie se grimer dans Maléfique, Jodie Foster faire la misère à Matt Damon dans Elysium ou encore Kate Winslet et Julianne Moore jouer les autocrates malveillantes dans Divergente et Hunger Games...

Les séries, quant à elles, vivent leur âge d'or et s'octroient une liberté d'expression sans pareille sur grand écran. Celles-ci tombent donc à point nommé pour les idoles de plus de 40 ans en mal de rôles. Cela fait même déjà un moment qu'elles ont saisi l'opportunité de se transformer en terre de salut. Mais là encore, les rôles en or sont dévolus à la noirceur des plus belles méchantes, aux plus vilaines des villains. C'est Glenn Close qui renaît de ses cendres dans Damages et campe une femme de loi sans foi. C'est Robin Wright qui cède aux sirènes du pouvoir dans House of Cards, et sans pitié. C'est Jessica Lange qui repousse les limites de la vilenie dans American Horror Story et la « Ryan Murphy factory » en général... Heureusement que ses mille et unes nuances de jeu lui permettent à chaque fois de délivrer une performance tantôt exceptionnelle, bouleversante, saisissante d'effroi ou les trois en même temps. C'est Sigourney Weaver, la chef de file de l'empowerment depuis Alien, qui sera la femme à abattre dans The Defenders, seule face à quatre vertueux (et jeunes) justiciers.

Jessica Chastain ne s'y est pas trompée lors de la conférence de presse post-palmarès de Cannes. Dans ce qui est censé être la meilleure sélection du cinéma d'auteur mondial, l'actrice qui faisait partie du jury n'y a pas vraiment apprécié la représentation des femmes. « C'est la première fois que je vois 20 films en 10 jours et j'adore les films. L'une des choses que je retiens de cette expérience, c'est comment le monde voit les femmes, d'après les personnages féminins représentés. C'était assez perturbant pour moi pour être totalement honnête », a-t-elle déclaré. Et de conclure : « Il y a eu quelques exceptions mais pour la plupart, j'ai été surprise par la représentation des personnages féminins dans ces films. J'espère qu'en incluant plus de femmes dans l'écriture, nous aurons plus de femmes comme celles que je rencontre dans ma vie quotidienne. Des femmes qui sont entreprenantes, qui ont du pouvoir, qui ne font pas que réagir aux hommes qui les entourent, qui ont leur propre point de vue. » À tout juste quarante ans, Chastain une actrice justement adulée pour son talent (et sa rousseur suprême) voit clair dans le jeu de miroir aux alouettes. Il lui aura fallu vivre cette expérience de jurée, être noyée d'images dans la sélection la plus exigeante du monde, pour se rendre compte d'une manière foudroyante que partout la place réservée aux femmes peine à sortir de la caricature. Pire encore quand elles attrapent leurs premières rides.