C'est grâce aux femmes, les "ordinateurs humains" que l'homme a pu marcher sur la Lune

Sue Finley s'est faite embaucher par le Jet Propulsion Laboratory près de Los Angeles, dans les années 1950 et s'est retrouvée dans un service 100% féminin. Elle faisait partie des «ordinateurs humains», ces femmes de l'ombre dont les calculs ont permis à Neil Armstrong et Buzz Aldrin de marcher sur la Lune, il y a 50 ans.
par
sebastien.paulus
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«La femme qui était à la tête (du service) pensait que des hommes ne lui obéiraient pas, et elle n'embauchait donc que des femmes», raconte à l'AFP Sue Finley, aujourd'hui âgée de 82 ans, et plus ancienne salariée femme de la Nasa.

L'histoire de Sue Finley illustre le parcours de tant de femmes de son époque. Sa contribution aux grands programmes spatiaux des Etats-Unis, ainsi que celle des femmes alors appelées «ordinateurs humains», est longtemps restée dans l'ombre, bien qu'essentielle: c'est grâce à ces femmes surdouées des mathématiques que Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont pu marcher sur la Lune, il y a 50 ans cette semaine.

Leurs calculs ont permis de construire les fusées, de concevoir les carburants et de développer les antennes reliant les astronautes à la Terre.

Une véritable passion pour les chiffres

Sue Finley a toujours aimé les chiffres. Au lycée, elle enchaînait les «A» et a gagné une compétition consistant à résoudre des équations de chimie dans sa tête.

Sa première orientation fut l'architecture, ce qui échoua, faute de qualités artistiques, dit-elle. Alors elle a posé sa candidature pour devenir secrétaire dans une entreprise aérospatiale. Mais elle tapait mal à la machine et a raté le test d'embauche. «Ils m'ont demandé: "Vous aimez les chiffres?" J'ai répondu: "Oh, je préfère largement les chiffres aux lettres», raconte-t-elle en riant.

Ainsi commença sa carrière d'"ordinateur humain". Le travail consistait à faire des calculs à la main et sur des machines électro-mécaniques appelées «Fridens».

C'est après avoir rencontré son mari, Peter Finley, qu'elle a eu l'idée de postuler au Jet Propulsion Laboratory, fondé par l'université Caltech, et qui est aujourd'hui le centre principal de la Nasa pour l'exploration du système solaire. Elle s'y est donc retrouvée dans un service entouré des célèbres femmes «human computers».

Une autre raison de la préférence féminine du service, explique-t-elle aussi, est que «les femmes coûtent moins cher. C'est toujours le cas». Mais le travail était prestigieux et les femmes étaient respectées des hommes, se souvient Sue.

Pas faite pour rester à la maison

L'époque, pourtant, l'a rattrapée quand elle a voulu élever ses deux garçons, après le décès du premier fils du couple à la naissance. Elle a arrêté de travailler de 1963 à 1969 pour rester avec eux... avant de se rendre compte que la vie de mère au foyer la plongeait dans la dépression.

«J'étais complètement nulle comme femme au foyer», dit Sue. «Le psychologue m'a dit qu'il fallait vraiment que je retourne au travail.»

La décision n'était pas banale. «Quand je suis retournée travailler comme mère et comme épouse, j'étais vraiment une pionnière de la libération des femmes».

A son retour, le JPL avait profondément changé. Les ordinateurs avec processeurs avaient remplacé les humaines. Pour rester compétitive, Sue a alors appris le langage informatique Fortran.

L'un de ses plus grands faits d'armes, selon Nathalia Holt dans le livre «Rise of the Rocket Girls», est d'avoir imaginé une solution de sauvetage pour la sonde Galileo, frappée en octobre 1989 par une grave anomalie.

L'une des antennes de la sonde ne s'était pas ouverte au moment de quitter l'orbite terrestre. Sue Finley a alors écrit un programme permettant de doper la capacité du réseau terrestre d'antennes de la Nasa afin qu'elles puissent écouter les faibles signaux envoyés par les autres antennes de Galileo.

Le programme a marché... permettant à Galileo d'envoyer sur Terre les images spectaculaires d'une comète en désintégration, ou encore la découverte d'une lune en orbite autour d'un astéroïde.

Plusieurs autres exploits

Sa mission préférée, toutefois, fut le programme Vega d'étude de Vénus, une collaboration en 1985 entre l'URSS et d'autres pays dont la France. La mission consistait à larguer des ballons-sondes dans l'atmosphère de la planète.

Le rôle de Sue Finley fut d'améliorer l'efficacité et la précision des antennes pour suivre la progression des ballons. «C'était ma mission favorite car c'était un petit groupe de gens», dit-elle.

Plus tard, cette spécialiste des communications radio a aidé à faire atterrir les rovers Spirit et Opportunity sur Mars en 2004, et à faire arriver sans encombre la sonde Juno autour de Jupiter en 2016.

«C'est comme une chasse au trésor ou un mystère, on essaie de résoudre des problèmes», dit-elle simplement de son travail.

En 2019, l'ingénieure octogénaire a largement gagné sa retraite mais n'a aucune intention d'en profiter, tant que la Nasa a besoin d'elle. «Je ne veux pas m'arrêter. Rien d'autre ne m'intéresse.»