Rencontre choc avec Siraba Dembélé-Pavlovic, Capitaine de l'équipe de France de handball

En ces temps où les sportives sont enfin célébrées (presque) au même titre que leurs homologues masculins, Siraba Dembélé-Pavlovic, handballeuse au palmarès très riche, remet les pendules à l'heure et prouve que l'on peut être femme, sportive et épanouie. Portrait d'une future maman qui va droit au but.

Rencontre choc avec Siraba Dembélé-Pavlovic, Capitaine de l'équipe de France de handball
© FFHandball / S. Pillaud

Alors que les footballeuses internationales ont crevé l'écran durant la Coupe du monde féminine, Siraba Dembélé-Pavlovic se réjouit. Capitaine de l'équipe nationale femmes de France de handball, elles est, à 33 ans, la handballeuse la plus titrée (avec 5 médailles) de l'Histoire de l'équipe de France féminine de cette discipline.
Difficile de deviner sa notoriété si son visage ne vous est pas familier. Elle est là, très enceinte, attablée au café du Publicis Drugstore des Champs-Elysées en compagnie de son mari, le footballeur monténégrin Igor Pavlovic.
Décontractée dans sa combi en denim Levi's, Siraba Dembélé-Pavlovic n'en a pas l'air, mais c'est une triple championne. Elle cultive la discrétion et la simplicité. L'endroit est assez bruyant, très touristique et un peu bobo. Nous sommes assis devant la plus belle avenue du monde : un lieu qui ne semble pas coller avec l'image qui se dégage de la joueuse.
"C'est mon attachée de presse qui a choisi, je voulais une terrasse sympa", nous lâche-t-elle. Nous voilà renseignés. Siraba Dembélé-Pavlovic s'excuse tandis qu'une serveuse lui dépose son assiette de sushis. "Je me suis commandé à manger, j'ai faim ! " Pas très diététique pour cette sportive qui se permet quelques écarts depuis son congé maternité. Mais si le régime alimentaire est capricieux -envies de future maman obligent - l'entraînement est toujours de mise ! Siraba n'arrête pas et partage photos et vidéos à la salle de sport via son compte Instagram. "J'en suis à mon quatrième mois et je continuerai tant que je pourrai", affirme-t-elle avant de gober un maki.

"Je suis pressée de reprendre la compétition après mon accouchement !"

Son conjoint, beau brun aux cheveux poivre et sel, est assis devant elle, silencieusement rivé sur son smartphone. Siraba, assez bavarde et très souriante, a fait sa connaissance il y a quelques années avant de lui dire "oui" en juillet 2018. Aujourd'hui, le couple attend son premier enfant. "Je voulais être enceinte à ce moment-là, c'est un choix très réfléchi", déclare-t-elle. Mais les J.O d'été de Tokyo (en juillet 2020, ndlr) et le championnat mondial qui se profile cet hiver ? "Je suis triste de rater ces compétitions : le sport, c'est une addiction chez moi ! L'ambiance et les filles me manquent ! Je suis pressée de reprendre mais il y aura d'autres occasions !"

Siraba Dembelé-Pavlovic © FFHandball-J.Schlosser

Si la trentenaire a l'air aussi sûre d'elle, il ne faut pas se fier aux apparences… "Je suis une éternelle insatisfaite : c'est mon très gros défaut, mais c'est aussi une qualité en tant que sportive. Je doute constamment de mes capacités et j'essaye toujours de donner plus".    

Quand l'ascension remplace l'ascenseur

Championne du monde en 2017, championne d'Europe en 2018 et vice-championne olympique en 2016, Siraba Dembélé-Pavlovic n'est pas du genre à parler de ses exploits sans rougir. Il y a quelques semaines, elle a inauguré le gymnase dans lequel elle a fait ses premiers pas de handballeuse professionnelle à Saint-Lubin-des-Joncherets, en Eure-et-Loir… Il porte désormais son nom. "Je ne me rends pas compte de ce qu'il se passe, je  suis ailleurs", confie la sportive. Aînée d'une famille de huit enfants, Siraba dit sa chance d'avoir un entourage confiant et tolérant. "Quand j'y repense, à aucun moment, mes parents ou mes frères et soeurs n'ont essayé de me stopper dans mon élan. J'ai toujours suivi mes envies et fait ce que je voulais, chose très rare dans une famille africaine". Siraba remercie sa bonne étoile... et son sens du sacrifice ! "J'ai énormément travaillé pour en arriver là où j'en suis et j'ai toujours cette impression que je dois me battre plus que les autres", déclare-t-elle. 
Partie du foyer familial à 18 ans, Siraba Dembélé-Pavlovic s'envole pour jouer dans des clubs d'Europe du Nord et de l'Est. Un crève-cœur pour cette enfant qui n'avait jamais quitté son cocon ? "Pas du tout ! Je me suis fait un tas d'amis. J'ai toujours été un peu aventurière", dit-elle dans un éclat de rire. 

"Le sport ne s'arrête pas au football !"

Mais qu'est-ce qui prédestinait cette jeune femme issue d'un foyer modeste à devenir l'une des plus grandes joueuses de handball de sa génération ? Tout commence par la famille, où le sport est une affaire sérieuse. "Mon père faisait du karaté pour le plaisir et mon mari est footballeur de profession (il est attaquant au club serbe FK Temnic, ndlr)". Le handball n'est pas très loin puisque c'est sa grande sœur, Kamion, de deux ans son aînée, qui a joué les entremetteuses. "J'avais 10 ans quand je l'ai accompagnée à son entraînement de handball. Ce jour-là, il manquait une joueuse et l'on m'a demandé de la remplacer", conte-t-elle. Une histoire que l'on pourrait croire écrite dans les étoiles, étant donné la suite des événements."
Je crois au destin dur comme fer, mais il faut parfois le déclencher et beaucoup travailler",
ajoute Siraba qui dit devoir cette niaque à ses parents, qui ont quitté le Mali dans les années 70 pour la France. "C'est mon éducation qui me permet d'être tolérante et travailleuse." On m'arrête souvent dans la rue, ça fait plaisir", dit-elle avant d'ajouter : "C'est une chose qui n'arrivait pas avant. Les handballeuses sont très peu médiatisées. La première fois que j'ai vu la diffusion d'un match de hand féminin, c'était en 2006 ! J'étais fière de voir mon sport à la télévision ! Le football est plus mis en avant : il n'y a pas que cela dans la vie ! C'est dommage."

"Les sponsors sont frileux à l'idée d'investir pas dans les sports féminins !"

Siraba Dembelé-Pavlovic © FFHandball-S.Pillaud

Supportrice des Bleues durant la Coupe du Monde de football féminine, elle se réjouit de cette médiatisation en tant que femme et sportive. Elle qui a évolué en Russie, en Macédoine et au Danemark, ne peut s'empêcher de comparer la France à ses voisins. "Ici, on parle des sportives quand il y a un événement. Dès que la compet' s'arrête, elles disparaissent ! À l'étranger, j'ai remarqué qu'on ne faisait pas la différence entre homme et femme dans le sport : seule la performance compte. Tant que tu travailles, on te met en avant et ta discipline aussi !" Une différence qui se ressent même au niveau du salaire. "Sinon, on ne s'expatrierait pas !", rit-elle. Plus sérieuse, elle explique à voix basse : "Les clubs français féminins trouvent difficilement des sponsors, tout sport confondu. Ces derniers ne viennent pas car ils pensent, à tort, que le public ne va pas regarder quelque chose qu'il n'est pas habitué à voir… S'il y a zéro visibilité, il n'y a pas d'entrée d'argent. C'est un cercle vicieux !"
La fin de carrière s'approchant, Siraba Dembélé-Pavlovic dit s'inquiéter pour un autre sujet, qui rappelle, lui aussi, le sexisme ambiant dans le monde sportif : sa reconversion. "Je ne sais pas trop comment je vais rebondir, c'est très dur de se renouveler à la retraite", affirme-t-elle, un poil anxieuse."Beaucoup de sportives de haut-niveau galèrent en fin de carrière. J'ai repris mes études pour mettre toutes mes chances de mon côté. Mon projet est assez flou pour l'instant mais j'aimerais bien quelque chose dans le prêt-à-porter." Comme toujours, Siraba Dembélé-Pavlovic n'aura qu'à se laisser porter par son destin, celui-là même qui l'a menée au sommet. La suite reste à écrire.