Notre société a érigé la pénétration comme la norme : elle serait le summum du plaisir. Or, de nombreuses femmes n’aiment pas tant que ça, la considèrent sans intérêt, voire même désagréable. Est-il temps de mettre fin au règne de la pénétration comme symbole de la toute jouissance ?

La pénétration, des résultats contrastés

La pensée commune est de considérer que le vrai rapport sexuel, c’est à partir du moment où il y a pénétration. Sans elle, il ne s’agirait donc pas vraiment d’un coït.

Dans son essai « Au-delà de la pénétration », Martin Page bouscule les idées reçues et libère la parole en mêlant témoignages et réflexions personnelles. Pourquoi choisir un tel sujet ? « Au départ, l’idée était de contredire la norme, mais je me suis vite rendu compte que le sujet prenait une toute autre ampleur lorsqu’à un dîner une de mes amies m’a dit qu’elle pensait que pas mal de femmes se passeraient bien de cette pratique », nous explique t-il.

« En creusant le sujet j’ai vu qu’il y avait beaucoup de douleurs, d’absence de plaisir, beaucoup de femmes disaient qu’elles se sentaient anormales », ajoute-t-il.

L’auteur précise d’ailleurs dans son livre : « Des amies me racontent qu’elles pourraient se passer de la pénétration pour un temps ou pour toujours. Mais elles la subissent quand même pour correspondre à la norme : il faut en passer par là. » 

Plaisir féminin et pénétration ne semblent ainsi pas si intimement liés. D’ailleurs, les études scientifiques sont unanimes sur le sujet : environ 20 à 30% des femmes atteignent l’orgasme par une stimulation uniquement vaginale. Quant aux autres – soit les trois quarts des femmes – une activation externe du clitoris est nécessaire pour parvenir à l’orgasme.

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Si la toute puissance du pénis en prend un coup, il n’est pas question d’appeler à la fin de la pénétration pour autant (74% des femmes ont eu un orgasme lors de leur dernier rapport selon un sondage Ifop de février 2019), mais plutôt de repenser le rapport sexuel et nos sources de jouissance.

Une autre vision de l’acte hétérosexuel

Changer notre perception de l’acte hétérosexuel impliquerait tout d’abord de supprimer cette dissociation que l’on a tendance à faire entre le « tout vaginal » et le « tout clitoridien » et de prendre en compte toutes les zones érogènes pour permettre l’orgasme. 50% des femmes aimeraient d’ailleurs donner plus de place aux autres formes de sensualité, comme les caresses (Ifop, 2019).

Selon Martin Page, donner moins de place à la pénétration permettrait de faire travailler notre imagination, et de découvrir d’autres sensations et émotions. « Faire l’amour, ça peut être mille choses », nous dit-il. Ce serait aussi une manière de sortir d’une sorte de facilité dans laquelle on est tombée, car à force de ne plus prendre le temps, faire l’amour serait quasiment devenue une case à cocher.

« Finalement la pénétration est un mode adapté au capitalisme, à nos journées volées par le travail, par les angoisses et la compétition. Comme il y a peu de temps pour penser l’amour, le pénis dans le vagin est pratique, on tient un certain temps, c’est calibre´, il y a un début et une fin bien précis, on accomplit son devoir sans penser et sans imaginer », écrit l’auteur dans son essai. 

Finalement la pénétration est un mode adapté au capitalisme, à nos journées volées par le travail, par les angoisses et la compétition

Aller « au-delà » de la pénétration (sans pour autant la jeter par la fenêtre) serait ainsi une façon d’aller à l’encontre des constructions établies par la société, des clichés véhiculés par le porno, de ce mode automatique dans lequel on tombe bien trop souvent.

« Ne pas pénétrer est le signe d’une sexualité artiste, car les artistes sont habituées à voir de nouvelles contraintes leur tomber dessus perpétuellement, dont elles tirent libertés et idées », explique l'auteur.

Il ne s’agit pas de faire de la non-pénétration la nouvelle règle obligatoire, de remplacer une norme par une autre, mais de l’inclure dans les actes possibles de l’amour physique, avec la même importance que la pénétration », poursuit Martin Page.

Une façon d’augmenter le plaisir des deux partenaires

Sortir du schéma classique serait par ailleurs non seulement bénéfique pour les femmes, mais aussi pour les hommes. 

« Moins se focaliser sur la pénétration c’est un geste de soutien aux femmes, mais cela nous apporterait aussi beaucoup de choses, cela mettrait fin à l’angoisse de la performance, à la durée de l’acte sexuel, cela nous délasserait beaucoup », nous explique l’auteur. Et d’ajouter : « En étant moins dans des clichés virils, on serait certainement de meilleurs amants ».

Moins se focaliser sur la pénétration c’est un geste de soutien aux femmes, mais cela nous apporterait aussi beaucoup de choses

Dire qu’il n’y aura pas de pénétration peut apparaître comme une contrainte, un défi pour les hommes, mais selon l’auteur, cela serait au contraire une source énorme de plaisir, un enrichissement. « A titre personnel, je vois tout ce que cela m’a apporté. C’est devenu une aventure, c’est beaucoup plus intéressant (…) Il faut qu’on accepte de ne pas mettre notre désir au premier plan, c’est incroyable le nombre de femmes qui subissent, il faut qu’on écoute nos partenaires, et qu’on devance ce qu’elles pensent », nous dit-il.

Caresser, effleurer, lécher, pincer, mordiller... Ces mots-là constitueront-ils le nouveau sexe de demain ? A vous de voir.