FAMILLE - La crainte d’une pénurie de sperme et d’ovocytes est palpable. Tandis que le projet de loi Bioéthique est examiné à l’Assemblée à partir de ce lundi 9 septembre au soir, l’ouverture de la PMA pour toutes les femmes et la levée de l’anonymat des donneurs ont fait apparaître la peur de manquer de gamètes - ou cellules reproductrices.
Une des solutions brandies par certains pour pallier cette éventuelle chute est le don dirigé, direct ou fléché, selon les termes utilisés.
Il consiste pour un couple s’engageant dans une PMA avec tiers donneur à faire appel à un donneur identifié et choisi, un homme qui accepte de donner son sperme sans être père. Appelée aussi “procréation amicalement assistée”, elle se pratique de manière artisanale, hors parcours médicalisé. Car en France, la garantie de l’anonymat des donneurs la rend impossible légalement.
La levée éventuelle de cet anonymat, prévue dans le projet de loi de Bioéthique actuellement en débat, pose donc la question de la légalisation du don dirigé, qui n’apparaît pour l’instant pas dans le texte. Une partie des associations de défense des droits LGBT et pro-PMA pour toutes réclament qu’il y soit ajouté, afin de répondre à une réalité déjà existante.
Sécuriser la filiation
Dans une tribune publiée dans Le Monde, deux universitaires appellent ainsi à encadrer le don dirigé de gamètes. Leur premier argument: sécuriser la filiation de l’enfant, que l’homme pourrait par exemple décider de reconnaître sans l’aval du couple de femmes. Ou inversement. Selon une enquête menée en France en 2012 par les deux signataires auprès de 409 mères lesbiennes, 14% avaient ainsi eu recours à un donneur connu.
“Encadrer le don dirigé de gamètes donnerait un cadre juridique et médical à ces pratiques qui, autrement, n’ont de choix que celui d’arrangements fragiles” affirment les chercheurs. Concernant le don d’ovocytes, le don dirigé permettrait selon eux de reconstituer des stocks très insuffisants, qui ne permettent déjà pas actuellement de répondre à la demande. Et de réduire les délais d’obtention d’un don.
Pour attendre moins longtemps, les couples n’ont aujourd’hui pas beaucoup d’options. “Même si elle ne peut en bénéficier directement, une femme en attente de don d’ovocytes peut déjà solliciter une femme de son entourage susceptible de donner elle-même” arguent-ils. Cette pratique, qui s’appelle “don relationnel croisé”, permet à un couple de gagner du temps en recrutant lui-même une donneuse dans son entourage.
En vertu du principe d’anonymat, les ovocytes de cette donneuse ne seront pas attribués au couple recruteur, mais viendront s’ajouter au stock du centre. Et le couple bénéficiera en contrepartie d’un raccourcissement de son propre temps d’attente.
Risque de marchandisation
Lors des auditions de la Commission Bioéthique à l’Assemblée, menées du 27 août au 5 septembre, les avis des différentes parties interrogées divergent. Pour Rebecca Nielbien, de l’association MAIA, comme pour d’autres représentants associatifs, il faut que le don dirigé soit inscrit dans la loi,”étant donné la pénurie et dans le contexte de levée de l’anonymat.”
Opposés à cette mesure, des députés et des chercheurs soulèvent plusieurs risques. En premier, celui de la “marchandisation des gamètes”. “Cela soulève des questions éthiques qu’il ne faut pas négliger, a prévenu Anne Courrèges, directrice générale de l’Agence de Biomédecine, lors des auditions. Parce que l’on sait que c’est là que les risques de pression sont les plus fortes. Pressions familiales ou amicales, ou pressions monétaires.”
La question de l’anonymat se pose aussi. Car si le projet de loi prévoit une levée de l’anonymat du donneur à la demande de l’enfant issu de la PMA avec tiers donneur et à sa demande, le don dirigé ne propose pas le même cas de figure. “Quelle serait la place de ce donneur dans la vie de la famille à partir du moment où il est connu?” s’interroge Aurore Bergé, députée LREM des Yvelines.
Et lorsqu’un député, Maxime Minot, député LR de l’Oise, compare le don de gamète au don d’organe, le professeur René Frydman récuse l’argument. “Le don d’organe par un proche est dû à une pénurie, explique-t-il. Or là, on n’est pas dans cette situation-là. La pénurie, il faut la démontrer et on a des moyens de la diminuer voire de la combattre.”
Enfin, c’est l’équité entre tous les couples qui est en jeu. “Ce qui nous inquiéterait nous, ce serait que ce soit considéré un peu comme une priorisation des personnes, souligne Véronique Séhier, co-présidente du Planning Familial. Vous ramenez quelqu’un et vous gagnez des ‘places’ dans la priorisation de l’accès aux gamètes. Ce qui est essentiel, c’est un accès égal aux gamètes pour toutes les personnes, sans hiérarchisation.”
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