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Barbara Cassin, neuvième femme à entrer à l’Académie française

Barbara Cassin, auteur de L’éloge de la traduction ne supporte pas le «global english», cet anglais simplifié qui, selon elle,
«formate la pensée». STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

La philosophe et philologue, disciple de Jacques Derrida, promet de faire entrer sous la Coupole l’esprit de résistance contre le formatage et la globalisation.

Neuvième femme seulement admise à l’Académie française, la philosophe et philologue Barbara Cassin, passionnée par la richesse des langues, va faire entrer jeudi sous la Coupole «l’esprit de résistance contre le formatage de la globalisation».

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L’auteur de L’éloge de la traduction ne supporte pas le «global english», cet anglais simplifié qui, selon la philosophe, «formate la pensée». Barbara Cassin déplore: «Cela réduit les langues de culture, français et autres, à des dialectes à parler chez soi. La diversité européenne c’est avant tout la diversité de ses langues et de ses cultures.»

Comme l’impose la tradition de l’Académie, un mot lui a été attribué à l’occasion de son installation. Ce mot est «vigueur» dont la définition dans le dictionnaire de l’Académie est «force dans sa plénitude, énergie intacte».

Mardi soir, la directrice de recherche du CNRS, âgée de 71 ans, avait rassemblé ses amis dans la salle des Caryatides du musée du Louvre à Paris pour la cérémonie de l’épée, un des symboles des immortels avec l’habit vert (celui de Barbara Cassin, «un peu sexy» selon elle, a été créé par Guillaume Henry, le directeur artistique de la maison Patou). C’est peu dire que l’épée choisie par l’académicienne détone.

Défendre le français sans se résoudre au monolinguisme

«Elle voulait une épée laser», s’amuse Sophie de Closets, directrice des éditions Fayard. Cette épée «non létale», précise Xavier Darcos est un bijou high-tech. Pesant environ un kilo, sa lame est en cuir souple percée de petits trous où transparaît, grâce à un tissu en fibre optique, une phrase de Jacques Derrida, un des maîtres de Barbara Cassin. Cette phrase en question, «Plus d’une langue», résume toute sa pensée.

La philosophe entend défendre le français sans se résoudre au monolinguisme. «La magnifique diversité des langues sert d’antidote au pseudo universel de la communication», poursuit-elle. La garde de son épée pas comme les autres est un petit écran souple ressemblant à une montre connectée. Il permet, confie-t-elle, de lire virtuellement «tous les textes du monde». Le pommeau est la reproduction d’une statuette hittite, déesse de la fertilité, trouvée en Anatolie. «C’est une barbare, comme mon prénom Barbara», sourit la philosophe.

Née le 24 octobre 1947 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), Barbara Cassin a suivi des études de philosophie à la Sorbonne. Elle entre au CNRS en 1984. Elle en a reçu la médaille d’or (la plus haute distinction scientifique française) en septembre 2018 pour l’ensemble de son «œuvre traversée par la question du pouvoir des mots et du langage».

«Traduire, c’est faire avec les différences»

Helléniste, elle est aussi éditrice et directrice de collections consacrées à la philosophie. Son élection à l’Académie française remonte au 3 mai 2018. Elle a été élue au premier tour au fauteuil du musicologue Philippe Beaussant disparu en mai 2016.

Elle est l’auteur, entre autres, d’Éloge de la traduction. Compliquer l’universel (Fayard, 2016) et a dirigé le Vocabulaire européen des philosophies (Seuil-Le Robert, 2004), plus connu par son sous-titre, le Dictionnaire des intraduisibles. Ce monument examine plus de 1500 mots du langage philosophique confrontés à la difficulté de leur traduction dans une quinzaine d’autres langues.

«Quand on traduit, le sens n’est plus tout à fait le même ni tout à fait autre, y explique-t-elle, il y a toujours plus d’une bonne traduction possible. D’ailleurs, même le mot traduire est polysémique!». «Traduire, c’est faire avec les différences», résume-t-elle. Ses recherches l’ont menée de Homère à Heidegger en passant par Leibniz et la psychanalyse. Elle travaille actuellement à un monumental dictionnaire sur les trois monothéismes.

Et collabore aussi bien avec le philosophe marxiste Alain Badiou (avec qui elle vient de publier Homme, femme, philosophie chez Fayard) qu’avec le philosophe (et académicien) catholique Jean-Luc Marion qui la recevra officiellement jeudi à l’Académie. Elle est amie avec Marc Fumaroli, auteur notamment de L’art de l’éloquence qui, le premier, lui a demandé d’être candidate parmi les immortels.

Neuvième femme admise à l’Académie française depuis Marguerite Yourcenar en 1980, Barbara Cassin devient la cinquième femme à siéger à l’Académie, sur les 35 membres qui la compose actuellement. Elle rejoint les académiciennes Dominique Bona, Hélène Carrère d’Encausse (secrétaire perpétuel de l’Académie), Florence Delay et Danièle Sallenave.

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Barbara Cassin, neuvième femme à entrer à l’Académie française

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9 commentaires
  • Verdulo

    le

    Je n'aime pas cette femme. Elle a dit à propos de l'espéranto : «Une langue morte, c’est une langue qui n’est maternelle de personne» (source : Le Temps). Or l'espéranto possède environ 2000 locuteurs natifs, issus de parents s'étant rencontrés grâce à l'espéranto. Elle n'y connaît donc rien et laisse ses préjugés se propager. Pour donner un ordre de grandeur, environ 10 millions de personnes ont le niveau A1 en espéranto, entre 1 et 5 millions le parlent avec un niveau B1, plusieurs centaines de milliers avec un niveau B2 ou C1, et 10 000 avec un niveau équivalent à une langue maternelle.
    L'espéranto a une littérature n'ayant rien à envier à celles de langues comme le romanche ou l'islandais.
    Il y a des groupes de musique en espéranto. Des gens voyagent grâce à l'espéranto. Il y a de la poésie en espéranto... Je ne connais pas vos définitions de "langue vivante", mais l'espéranto est tout comme.
    Pour plus d'infos : lernu.net

  • Lacombe Lucien

    le

    Elle a raison, il faut éviter le formatage, cela implique de tirer parti des langues vivantes pour en pratiquer plusieurs, et donc tirer le niveau vers le haut, et non pas de s'enfermer. Prendre exemple sur la Canada ! .
    Tant qu'à pratiquer l'Anglais, autant le faire à fond: c'est aussi une langue de résistance, et comment ! Comme le rappelle les paroles d'un titre de 1971 d'un fameux groupe américain. Formidable ! www.youtube.com/watch?v=0oxmP15Dk6A

  • Le gentil

    le

    Badiou, Marion, Fumaroli, le CNRS, la direction de collection, disciple de et de, l'Académie : bref, une personnalité vraiment originale. Plus formatée que moi tu meurs ?

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