Étudiante à la maîtrise en génie, la jeune femme a fait de la lutte contre les violences sexuelles son combat. Après quatre longues années de démarches pour dénoncer le harcèlement sexuel dont elle avait été victime, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lui a finalement donné raison. Et l’École de technologie supérieure (ETS) lui a présenté des excuses publiques. Kimberley Marin est notre personnalité de la semaine.

On lui a conseillé de se taire. On lui a dit que si elle parlait publiquement, elle aurait de la difficulté à se trouver un emploi. On l’a menacée, intimidée, ridiculisée. Malgré tout cela, Kimberley Marin a tenu bon. Au terme de quatre années de lutte, la jeune femme vient de remporter une importante victoire : la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a conclu que l’ETS avait failli à son obligation d’offrir « un milieu exempt de discrimination et de harcèlement » à son étudiante alors qu’elle « connaissait les problèmes liés aux inconduites sexuelles pendant les initiations ». Deux jours plus tard, au nom de l’institution, le directeur général, François Gagnon, lui présentait des excuses publiques.

Aujourd’hui, Kimberley Marin ne cache pas sa fierté. « Je me sens privilégiée d’avoir eu le courage de mener ça jusqu’au bout, dit-elle. Une décision aussi favorable, c’est au-delà de toutes mes attentes. Toutes les mesures systémiques pour défendre les étudiantes, je les ai obtenues. Ainsi qu’un montant d’argent auquel je ne m’attendais pas [une somme de 34 500 $ pour dommages matériels, moraux et punitifs pour discrimination et harcèlement fondés sur le sexe]. »

C’est un message clair à la société que les violences sexuelles, on ne tolère plus ça.

Kimberley Marin

Une initiation humiliante

Le chemin de croix de Kimberley Marin débute à l’automne 2015, lors d’une activité d’initiation. La jeune femme porte une jupe hawaïenne pour l’occasion. On met au défi trois étudiants de la lui retirer. En baissant sa jupe, ils baissent aussi son sous-vêtement. Résultat : l’étudiante en génie se retrouve à moitié nue devant une centaine de personnes, des jeunes hommes pour la plupart.

Malgré l’humiliation, la colère et les larmes, la jeune femme ne porte pas plainte immédiatement. Deux évènements subséquents l’inciteront toutefois à le faire. « Dans les jours qui ont suivi, quand je croisais des garçons dans le corridor et qu’ils me fixaient, je baissais les yeux, raconte– t-elle avec émotion. Je me demandais pourquoi ils me regardaient ainsi : s’agissait-il d’un des étudiants qui m’avait déshabillée, ou est-ce qu’ils me regardaient ainsi parce qu’ils m’avaient vue à moitié nue ? » L’autre incident a lieu à la sortie d’un cours du soir. Kimberley Marin quitte son local quelques minutes après 21 h 30, alors qu’on commence à éteindre les lumières dans l’édifice. Elle croise trois garçons qu’elle devine ivres – c’est toujours la saison des initiations. Ils lui bloquent le passage et tiennent des propos à caractère sexuel. Elle est prise de peur. À partir de ce moment, elle décide que le silence n’est plus une option.

Lunchs de filles

Fin septembre, Kimberley Marin prend son courage à deux mains et va rencontrer le directeur des services aux étudiants, en espérant trouver une oreille sympathique. Mais le récit de ce qu’elle a vécu est accueilli avec désinvolture, et on la renvoie à l’association étudiante sous prétexte que c’est l’instance responsable des activités d’initiation.

L’accueil n’est pas plus empathique de ce côté-là, et ce, malgré le fait que Kimberley siège au conseil d’administration. Un collègue l’avertit : « Tu sais que si tu portes plainte, l’an prochain, ils vont annuler les initiations à cause de toi… »

La jeune femme comprend qu’elle ne pourra compter que sur elle-même et décide de lancer un appel sur Facebook. « J’ai demandé : est-ce que vous avez été témoin ou subi du sexisme ou du harcèlement ? À partir de là, j’ai organisé cinq lunchs de filles en cinq mois. Au premier, il y avait deux filles. Au dernier, elles étaient une douzaine. Au total, j’ai recueilli 40 témoignages et j’ai rédigé un rapport de 10 pages que j’ai remis en main propre au directeur général, en février 2016. » 

Outre la partie témoignage, le rapport de Kimberley Marin présente un tour d’horizon des différentes politiques mises en place dans les autres universités du Québec. « L’ETS est le seul établissement qui ne faisait rien, précise-t-elle. Alors j’ai fait des propositions. Et j’ai conclu mon rapport en disant : maintenant, la balle est dans le camp de l’ETS. J’aurais aimé que la direction m’accueille à bras ouverts et me dise : “C’est vrai, on n’a jamais rien fait pour les femmes, on va travailler main dans la main. Qu’aimerais-tu faire ?” Mais j’ai été rabrouée. On m’a répondu : “Tant qu’il n’y a pas de plainte formelle déposée, on ne peut rien faire.” Alors je l’ai déposée, ma plainte. »

Une première historique

C’est la première fois qu’une femme portait plainte pour harcèlement sexuel depuis la création de l’ETS, en 1974. « C’est sûr que je ne suis pas la seule victime », se disait toutefois Kimberley Marin. Et elle ne s’est pas trompée. Au cours des deux dernières semaines, elle a reçu des dizaines et des dizaines de témoignages de femmes ingénieures. « Elles m’ont raconté combien elles avaient vécu du sexisme, et que c’était représentatif de la culture. »

« Pour moi, avant, le sexisme, c’était un sujet qui concernait les autres, poursuit la jeune femme. Je ne pensais pas que ça me concernerait un jour. C’est pour ça que je suis sortie publiquement. Pour que les femmes connaissent leurs droits, pour qu’elles puissent porter plainte à la Commission ou auprès de leur syndicat. »

Je veux que les femmes qui m’écrivent et qui ont vécu des choses sachent que si ça s’est produit il y a moins de trois ans, elles peuvent encore déposer une plainte et qu’il y aura des conséquences.

Kimberley Marin

C’est aussi pour cette raison que Kimberley Marin a fondé le groupe Québec contre les violences sexuelles avec deux autres étudiantes, Mélanie Lemay et Ariane Litalien, en 2016. C’est ce mouvement qui est à l’origine de l’adoption, par le gouvernement de Philippe Couillard, de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur.

Un geste pour l’avenir

On le devine, toute cette histoire a été éprouvante pour Kimberley Marin. « C’était gênant pour moi d’aller rencontrer les directeurs, d’aller sur la place publique et dans les médias raconter qu’on avait vu mes fesses… Mais je voulais un résultat », insiste la jeune femme, qui retournera à l’ETS en janvier prochain. « Il me reste deux cours et la rédaction de mon projet, explique-t-elle. Je ne veux pas abandonner, j’étais une étudiante super performante, j’avais d’excellentes notes. Je veux terminer mon diplôme pour ma fierté personnelle. Je ne sais pas si je travaillerai en génie un jour. Mais je pense à ma nièce de 8 ans, Aliya, qui est super bonne en maths et en science, et je me dis : si un jour elle décide d’aller en génie, j’aimerais qu’elle ne vive pas ce que j’ai vécu. »

Kimberley Marin en quelques choix

Une série télé : The Handmaid’s Tale, inspirée du roman éponyme de Margaret Atwood
Une citation qui l’inspire : « Quand on veut, on peut. »
Un personnage contemporain : Michelle Obama
Une cause : la lutte contre les violences sexuelles