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L'emoji "règles", pour dire stop au tabou des menstruations

L'emoji "règles", pour dire stop au tabou des menstruations

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Par Jehanne Bergé

Dans le monde des Internets, on va enfin pouvoir parler de nos règles à coup d’emoji.  Anecdotique ? Pas du tout, cette petite goutte de sang est le résultat d’une grande campagne menée par Plan International UK pour aller toujours plus loin dans la déconstruction du tabou des règles.

Depuis quelques jours, "l’emoji règle" fait partie des 230 nouveaux emojis révélés par Unicode. Après un premier refus et 2 ans de campagne, l’ONG Plan International UK est arrivée à ses fins. La goutte de sang est aujourd’hui disponible sur les Iphones avec la dernière mise à jour IOS 13.2 et sur tous les ordinateurs. Une avancée qui permet de discuter menstru en mode 2.0 et surtout une grande victoire dans la lutte contre le tabou (encore beaucoup trop ancré) des règles dans le monde. Explications.

Pour une organisation comme Unicode, reconnaître que les menstruations doivent être représentées dans ce nouveau langage mondial constitue un pas en avant considérable pour briser une culture mondiale de honte autour des règles.

Les règles passent au numérique

Selon un sondage mené au Royaume-Uni, 47% des femmes de 18 à 34 ans pensaient qu’un "emoji règle" faciliterait les discussions autour des menstruations. Plan International a mené une campagne d’envergure dans ce sens. Cinq designs ont été créés et soumis au vote de 54 600 personnes. La proposition remise au Consortium Unicode qui gère la diffusion des émoji au niveau mondial a été refusée. L’ONG n’a pas abandonné son objectif et s’est associée à NHS Blood and Transplant, ensemble ils ont proposé un émoji goutte de sang qui a finalement été accepté et est désormais disponible dans le monde entier. Carmen Barlow, responsable du développement numérique de Plan International UK a déclaré : "Les emojis jouent un rôle crucial dans notre vocabulaire numérique et émotionnel, ils transcendent les barrières culturelles et nationales. Pour une organisation comme Unicode, reconnaître que les menstruations doivent être représentées dans ce nouveau langage mondial constitue un pas en avant considérable pour briser une culture mondiale de honte autour des règles."

Régine Debrabandere est directrice de Plan International Belgique, elle nous explique.  "L’emoji permet d’ouvrir un débat beaucoup plus large. Nos objectifs sont de libérer le corps de la femme, de faire respecter les droits des enfants, en particulier ceux des jeunes filles. On travaille aussi beaucoup dans l’humanitaire, dans les camps de réfugiés par exemple, les grosses organisations pensent à tout sauf aux protections hygiéniques pour les femmes. On garde "l’œil genre" pour avoir le réflexe féministe sur toutes les actions que l’on mène. Il est important de rappeler que les menstruations sont naturelles. Notre but est de déconstruire le tabou des règles pour éviter les problèmes qu’il peut entraîner sur la santé des jeunes filles."

Un tabou dans le monde entier

Chaque mois, 2 milliards de personnes ayant un utérus ont leurs règles. Selon Plan International, plus de 500 millions de filles et de femmes dans le monde n'ont pas accès à des protections hygiéniques. Parfois contraintes d’utiliser des morceaux de tissus souillés, elles sont exposées à des problèmes hygiéniques et de graves risques d’infection. Le tabou des règles, ici ou ailleurs, contribue à la honte du corps, au manque de confiance en soi, au mal-être. Dans certains pays ou dans certaines cultures, pendant leurs règles, les filles et les femmes font l’objet de moqueries, d’humiliations et d’exclusion. Au Népal, par exemple, jusqu'à tout récemment, les filles et les femmes réglées étaient bannies de chez elles et devaient dormir dans une hutte isolée, suivant la tradition du 'chhaupadi'. Cette pratique est aujourd'hui interdite. 

Alors même si en Belgique, la réalité des femmes réglées est moins extrême, le tabou des menstruations est encore bien présent. La fin de la " taxe tampon " ne date que de l’année dernière. Jusqu’en 2018, la TVA appliquée sur les tampons, protège-slips, coupes menstruelles et serviettes hygiéniques était de 21%, elle est aujourd’hui de 6%. Cependant, le prix des "protections hygiéniques" reste un obstacle pour de nombreuses femmes. En octobre 2016, Veronica et Valérie ont lancé l’association "BruZelle" dans le but de récolter des protections périodiques et les distribuer gratuitement aux femmes précarisées. Jusqu’alors, les centres spécialisés dans la précarité n’avaient pas vraiment la question des règles comme priorité. Une conséquence du " non-dit " et du sentiment de honte qui entoure les règles. 

Parlons-en ouvertement

Pendant plusieurs générations, les filles et les femmes ont dû gérer leurs règles seules face à la cuvette des toilettes. Les mentalités sont en train d’évoluer (l’emoji en est la preuve). Nous avons voulu laisser la parole aux principales intéressées. Sophie, Barbara, Marion, Nathalie et Elli nous partagent leurs expériences des menstruations. Des témoignages sincères et essentiels d’une réalité qui concerne (quand même) la moitié de la planète. 

Sophie revient sur son enfance et la construction des injonctions au silence. "J'ai été réglée à 10 ans et demi, je suis arrivée devant ma mère en lui montrant ma culotte et j'ai eu droit à "tu es sans doute au courant de certaines choses... Tu trouveras ce qu'il te faut dans tel tiroir". Fin de toute conversation sur les règles et la reproduction. Aujourd'hui, je parle sans gêne de règles ou de gynécologie en présence d'amis, mais j'avoue qu'avec les gens de la génération de mes parents ou plus vieux, le dialogue est difficle. Beaucoup de mes amies deviennent mamans et pour elles il est important que leurs enfants (autant filles que garçons) grandissent sans tabou et en ayant la possibilité de poser des questions."

Ce sont les non-dits qui exaspèrent aussi Barbara. "J’ai été réglée non-stop pendant 3 mois, j’ai été obligée de faire la paix avec mes règles. Mon agacement n'est plus dirigé vers elles, mais plutôt vers cette injonction à ne pas en parler. Je voudrais pouvoir dire en réunion "je veux bien qu'on finisse le plus tôt possible, je suis réglée j'ai du mal à me concentrer aujourd’hui", ou "Machin, je veux bien ton fauteuil, j'ai mal au dos à cause de mes règles". Je n’ai pas besoin que tout le monde sache quand je suis réglée, mais ça me tend de devoir prétendre que je suis "malade" ou "juste crevée" quand je n’ai pas l'énergie pour les regards ou les remarques."

Les gens au boulot me disaient parfois "t'as l'air mal aujourd'hui, t'es malade ou quoi ?" J’ai commencé à répondre sans problème : "j'ai mes règles et c'est l'enfer" ou "je suis de nouveau anémique à cause de mes règles" et c'était super libérateur.

Le sentiment de honte est une réalité que Marion connaît bien. "Je n’ai plus mes règles parce qu'elles étaient tellement douloureuses qu'on m'a donné une pilule qui les arrête mais quand je les avais, j'étais tellement gênée que ça m'est déjà arrivé de déborder de la serviette parce que je ne savais pas en sortir une nouvelle discrètement pour aller me changer." Ses menstruations devenant de plus en plus insupportables, Marion a décidé d’arrêter de se cacher. "Les gens au boulot me disaient parfois "t'as l'air mal aujourd'hui, t'es malade ou quoi ?" J’ai commencé à répondre sans problème : "j'ai mes règles et c'est l'enfer" ou "je suis de nouveau anémique à cause de mes règles" et c'était super libérateur."

Nathalie s’exprime aussi sur la douleur, la non-reconnaissance de celle-ci et le danger que ça peut entraîner : "Quand une fille se plaint de douleurs durant ses règles, tout le monde pense que c’est normal, y compris les médecins qui ne vont pas forcément chercher s’il y a un autre problème caché derrière comme l’endométriose par exemple."

Selon Elli, la parole se libère autour du sujet, elle s’en réjouit mais souligne l’immense travail qui reste encore à accomplir. "De manière globale les règles restent taboues, on les perçoit encore comme quelque chose de sale. Beaucoup de mecs n’y connaissent rien, ils ne se sentent pas concernés, les filles leur cachent et donc c’est un cercle vicieux. Si les mecs avaient leur règle, ce serait complètement différent, les protections hygiéniques seraient gratuites. On ne parle pas assez de la précarité des femmes et des difficultés qu’entraînent les règles pour celles qui n’ont pas les moyens."

Apprendre à connaître à son corps

Toujours selon Plan International, au Royaume Uni, 14% des jeunes filles n’ont pas compris ce qu’il leur arrivait lors de leurs premières règles. Et si la fin du tabou commençait par la connaissance et la réappropriation des femmes de leur corps ? Depuis quelques années, le flux instinctif libre (FIL) fait de plus en plus d’adeptes. Le principe consiste à ne pas utiliser de protection hygiénique et à contrôler l'écoulement du sang menstruel pendant ses règles par la contraction du périnée, pour ensuite l’expulser aux toilettes. Johanne a adopté la méthode. "Quand j’étais ado, je prenais des tampons taille maximale parce que j’avais peur d’avoir des fuites. Quand j’ai commencé à utiliser la cup, je me suis rendu compte que je ne perdais presque rien, je n’aurais jamais dû utiliser des maxi tampons mais on ne parle tellement pas du sujet qu’on n’a pas de référence. J’ai découvert le FIL. Quand j’ai mes règles, la perte du sang se mélange avec l’envie de faire pipi, je vais aux toilettes plus souvent, c’est devenu un réflexe. J’ai parfois des petites taches de sang dans ma culotte mais je m’en fou. J’ai déjà eu des accidents mais ce ne sont jamais des grosses flaques comme dans les films. Plein de femmes disent "moi je ne pourrais pas, je ferais des tâches". J’ai lu des articles sur le FIL, apparemment c’est vraiment une question d’exercices. Si on apprenait dès le début à gérer notre flux, il y aurait tout à fait moyen que chacune y arrive. Il faudrait qu’on apprenne comment fonctionne nos corps sans tout déléguer à la médecine. Avant j’étais pudique mais j’ai réalisé que ces tabous autour des règles ne servaient à personne."

Le chemin de la déconstruction est encore long, mais une chose est certaine, il est important d’aborder le sujet librement et de l’intégrer à l’éducation de nos enfants. Plus qu’à partager cet article sur les réseaux ponctué de l’emoji petite goutte de sang.  

Jehanne Bergé

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par Alter-Egales (Fédération Wallonie Bruxelles) qui propose des contenus d'actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

 

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