Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

En Tunisie, une bande dessinée pour sensibiliser à la cause des femmes

Danseuse, militante, athlète, ouvrières agricoles ou encore DJ : le collectif féministe Shift raconte leurs histoires pour encourager d’autres femmes à suivre leur propre voie.

Par  (Tunis, correspondance)

Publié le 12 novembre 2019 à 21h00, modifié le 13 novembre 2019 à 16h24

Temps de Lecture 3 min.

Couverture de la bande dessinée « Shift » qui a donné lieu à une exposition du même nom à Tunis, du 10 au 18 novembre.

Saida Drayii aimait tellement la danse que, plus jeune, elle s’exécutait pieds nus dans les rues de son quartier. Depuis, elle n’a jamais cessé de danser. Jusqu’à devenir Saida El-Khadra « Saida la Verte », en référence à la couleur de sa tenue de scène. Et à s’imposer comme une une figure célèbre des genres populaires tels que la nouba, un show musical basé sur le mezoued (instrument à vent) dans les années 1990 et des kafichantas, sorte de cabaret du quartier de Bab Souikha, à Tunis.

Aujourd’hui, Saida Drayii a 54 ans, ses chorégraphies font partie du patrimoine historique et culturel de la Tunisie, mais elle reste absente des livres et des archives. « Cela n’a jamais été facile de danser, ma mère avait un peu honte que je fasse ça. J’ai toujours dû beaucoup travailler pour prouver que c’était ma passion et, aujourd’hui, je suis au chômage », raconte-t-elle. « Elle a connu des moments de gloire et tout son argent servait à aider sa famille, explique l’artiste plasticienne Hela Lamine. Mais, quand elle est tombée dans l’oubli, elle a vécu une précarité insupportable et a eu beaucoup de mal à s’en sortir en élevant son fils pratiquement seule. Il fallait que l’on puisse archiver et documenter son combat. »

Toutes deux participent à une bande dessinée intitulée Shift, destinée à lutter contre le manque de visibilité et de reconnaissance dont souffrent les femmes dans de nombreux secteurs en Tunisie. Lancé par le collectif du même nom, le projet raconte différents parcours de vie témoignant des difficultés rencontrées, loin du stéréotype de « la femme tunisienne moderne et libérée », avance Sara Bouzgarrou, directrice artistique du projet. Précarité artistique, exploitation dans le monde du travail, injustices et discriminations liées au genre : « Nous avons constaté que les sujets liés à la condition des femmes restent hermétiques au grand public ou font l’objet de couverture sensationnaliste sans réel suivi, explique Sara Bouzgarrou. Nous nous sommes dit que la BD et l’illustration, qui sont des médiums accessibles et rédigés en dialecte tunisien, pourraient aider à sensibiliser davantage. » C’est ainsi que Hela Lamine a dessiné les planches racontant la vie de Saida Drayii.

« Nous ne nous tairons pas »

Son parcours côtoie le récit des difficultés des ouvrières agricoles de Menzel Bouazaiene, régulièrement exposées à des accidents de la route meurtriers. C’est Noha Hbaieb, membre du collectif de bande dessinée Lab619, qui couche leur combat sur le papier, racontant comment, après la mort de douze d’entre elles dans l’accident d’un camion qui les menait sur leur lieu de travail, elles ont créé le mouvement Menich Sekta (« nous ne nous tairons pas ») pour exiger, soutenues par la jeune militante Amel Dhaffouli, de meilleures conditions de travail. « C’est le premier mouvement de femmes qui défendent leurs droits dans ce secteur, explique Amel Dhaffouli. Il fallait le raconter. »

Dessins de travail des illustratrices qui ont conçu la bande dessinée « Shift ».

Dans un tout autre univers, la BD retrace l’ascension de l’athlète multimédaillée Habiba Ghribi, de son enfance modeste aux podiums mondiaux. « C’est l’une des athlètes tunisiennes les plus connues sur le plan international, mais aucun lycée sportif ne porte son nom en Tunisie », avance Bochra Triki, militante féministe membre de Chouf et du projet Shift.

Le lecteur pourra également découvrir l’histoire en quatre actes de la militante féministe Rania Hamdouni, qui fut abandonnée par sa mère et mène un combat contre les violences subies par les personnes homosexuelles, transgenres ou simplement « différentes », ou le parcours de la DJ Deena Abdelwaheb. « C’est tellement compliqué d’inculquer des idées féministes aux hommes, car certains ne veulent pas céder leurs privilèges, analyse Bochra Triki. Raconter une histoire à travers une BD peut avoir un meilleur impact qu’une confrontation directe. »

L’album a donné lieu à une exposition qui vient d’ouvrir, dimanche 10 novembre, au Hangar 42, géré par l’espace d’art contemporain Central de Tunis avant d’être montrée à Menzel Bouzaiene avec les ouvrières agricoles. Des événements seront organisés au cours du mois de novembre pour débattre ainsi que des master classes avec la DJ Deena Abdelwaheb et la danseuse Saida El-Khadra. Une autre façon de rendre ces femmes visibles dans l’espace public, et d’en inspirer d’autres.

Exposition et bande dessinée Shift, du 10 au 18 novembre 2019 au Hangar 42 de l’espace d’art contemporain Central à Tunis.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.