Comment reconnaître et aider une femme victime de violences conjugales ?

Publié le Lundi 25 Novembre 2019
Mylène Wascowiski
Par Mylène Wascowiski Rédactrice
Comment reconnaître et aider une femme victime de violences conjugales ?
Comment reconnaître et aider une femme victime de violences conjugales ?
La lutte contre les violences faites aux femmes doit passer par des lois plus efficaces, c'est certain. Mais apprendre à reconnaître les signes de violences conjugales et à venir en aide à une personne qui en est victime est aussi un moyen d'agir à notre échelle. Voici les conseils de Muriel Réus, créatrice et présidente de l'association Femmes Avec.
À lire aussi

Depuis le début de l'année 2019, 137 femmes ont été assassinées par leur compagnon ou ex-compagnon. Elles s'appelaient Priya, Marinette, Aurélia, Sylvia, Monique, Marie-Claude, Marie ou encore Audrey et sont décédées de la violence d'un homme avec qui elles partageaient ou ont un jour partagé leur vie. Des féminicides précédés bien souvent de longs mois voire de longues années de violences conjugales qui, en France, concerneraient 219 000 femmes chaque année.

Parmi les victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques de la part de leur compagnon ou ex-compagnon, entre 2010 et 2015 selon les chiffres du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, seules 28% sont parvenues à franchir la porte d'un commissariat, 19% à porter plainte et 8% à poser une main courante. Moins d'une femme sur cinq victime de violences conjugales parvient donc à porter plainte aujourd'hui en France. Soit une femme sur cinq. 80% de ces plaintes seront ensuite classées sans suite, souligne un récent rapport de l'Inspection Générale de la Justice (IGJ). Des chiffres glaçants, insupportables, auxquels il est grand temps de remédier.

Alors que le gouvernement se penche sur la question avec un Grenelle des violences conjugales, chacun est en mesure de participer à ce combat. En se mobilisant lors de marches comme celle de Nous Toutes, organisée ce samedi un peu partout en France, mais aussi en apprenant à reconnaître les signes de violences conjugales pour tenter de venir en aide à une personne qui en serait victime.

Muriel Réus, lieutenante-colonelle à la Gendarmerie nationale et présidente de l'association de lutte pour les droits et libertés des femmes Femmes Avec... nous livre ses conseils.

Terrafemina : Quels sont les signes qui peuvent nous alerter de violences conjugales ?

Muriel Réus : La peur, la perte de confiance en soi, des difficultés à dormir, le retrait de la vie sociale et amicale, l'emprise, la domination, le déni de réalité, la dépendance amoureuse... Tous ces signes peuvent alerter. Comme ceux, bien entendu, de violences physiques, décrits dans le film que l'association que j'ai créée et que je préside, dénonce.

Les blessures de la porte du placard un jour, celle de la portière de la voiture un autre jour, la chute dans l'escalier... Tous ces alibis utilisés de ceux qui se trouvent confrontés de près ou de loin aux violences faites aux femmes doivent alerter.

Si l'on observe un de ces signes chez une proche, comment évoquer la question avec elle ?


M.R. : La violence est inacceptable, insupportable, criminelle et délictuelle. Le silence est un fléau au même titre que les violences. Nous pensons au sein de Femmes Avec qu'il est de notre responsabilité collective de participer à la libération de la parole. Avant tout, il convient de se positionner clairement du côté des femmes, de les écouter et surtout de ne pas remettre en cause leur propos.

L'accompagnement est nécessaire pour travailler sur la honte d'avoir subi ces violences, d'arrêter de se nommer comme la responsable, celle qui n'a pas su donner le bonheur à son compagnon ou son mari. Il est essentiel de communiquer sur la faible estime de soi et l'acceptation d'une situation "comme allant de soi", comme "inscrite dans l'ordre des choses."


Comment expliquer que seulement moins d'une femme sur cinq porte aujourd'hui plainte ?


M.R. : Il faut savoir que dans plus de 80 % des cas, les violences faites aux femmes ont lieu à l'intérieur du domicile. Et que chaque année, 219 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Un quart de ces violences ont lieu dans le contexte d'une séparation et dans plus de 60 % des cas, les violences ont commencé dès le début de la vie commune. Et pour 80 % des victimes, les violences sont exclusivement physiques. Pourtant en moyenne entre 2011 et 2017, seules 15 % de ces femmes déclarent avoir déposé plainte, alors que dans 73 % des cas, il s'agit de violences répétées.

Les ressorts de la violence, les phénomènes de l'emprise sont tels que les femmes portent plainte et se rétractent faute de moyens financiers, de logement disponible ou de connaissance des aides. Les violences au sein du ménage restent encore un sujet tabou. Et souvent les victimes hésitent, malgré le caractère anonyme des enquêtes, à décrire ces violences. Trois fois sur quatre, elles expliquent qu'elles préfèrent trouver une autre solution plutôt que de porter plainte.

Par quels moyens aider la personne victime de violences conjugales ?


M.R. : L'accompagnement, l'écoute, la compréhension de la situation sont les premières étapes du processus du changement. Il faut aider les femmes à entrer en relation avec les associations et les professionnels avertis et qui peuvent les aider. Il vaut mieux les informer sur les processus d'alerte et sur les aides qu'elles pourraient obtenir notamment sur le relogement qui reste un des facteurs clefs de la décision. Où vais-je aller ? Comment ? Avec quels moyens ? Comment faire avec mes enfants ? Toutes ces questions qui, quand elles restent sans réponse, ne peuvent qu'augmenter l'insécurité et la détresse.

Le rôle de tous les tous les acteurs du circuit est majeur : éducateurs, enseignants, professeurs, médecins, procureurs, magistrats, psys, gendarmes, policiers..... Et s'il est de plus en plus admis que les violences conjugales sont une réalité, il reste encore à faire sur l'écoute, l'accompagnement et sur les dispositifs juridiques et opérationnel, ainsi que sur la formation et l'éducation.

Et sur la responsabilisation de l'entourage, l'un des combats de notre association, il faut aussi aider et persuader ces professionnels impliqués et expérimentés à modifier leur représentation des violences faites aux femmes, qui ne sont pas des violences comme les autres. La formation, la sensibilisation, une meilleure transversalité de l'information et des règles de partage de celle-ci aideront à faire bouger les lignes.


Face à une situation de violences conjugales, qui avertir ? Vers qui peut-on se tourner ?


M.R. : Il y a bien sur le 3919, qui est le numéro d'écoute national. Il est gratuit et anonyme, il a un rôle d'écoute, d'information et d'orientation. Il est destiné aux femmes victimes de violences bien sûr, mais aussi à l'entourage et aux professionnels concernés. Il est accessible 7 jours sur 7, de 9H à 22 h du lundi au vendredi et de 9h a 18 H les samedis, dimanches et jours fériés.

Évidemment on aimerait que ce numéro soit accessible 24/24 et 7 jours sur 7. Car en dehors de ces horaires la vie continue et les violences aussi. Soutenu par le Ministère chargé des droits des femmes, et géré par la fédération nationale Solidarité Femmes, j'espère qu'il bénéficiera de plus de moyens, très vite, pour être opérationnel de façon permanente.

Mais le 3919 n'est pas un numéro d'urgence. En cas de danger immédiat, il faut appeler la gendarmerie, la police ou les pompiers en composant le 17 ou le 18. Il faut savoir que sur les 110 000 appels par an que reçoit la gendarmerie, soit près de 300 appels par jour, on relève un cas de violences conjugales toutes les quatre minutes.

Nous souhaitons au sein de l'association que de Femmes Avec... que l'on multiplie les lieux d'accueil et les permanences permettant de déposer plainte. La réalité est la suivante : 16 % des victimes de violences conjugales voient un médecin, 14 % consultent un psychiatre, un psychologue, 13 % parlent de leur situation avec les services sociaux, 6 % rencontrent les membres d'une association d'aide aux victimes, et 7 % font appel à un service téléphonique d'aide aux victimes.

Vous l'avez compris le chemin est encore long à parcourir. Si nous avons gagné le combat de la médiatisation, celui de l'engagement citoyen reste encore à franchir. Quitte à bouleverser les croyances et les habitudes, responsabilisons l'entourage et participons de façon active et citoyenne aux signalements des violences. Parce qu'en parler, c'est sauver des vies.

- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedi, dimanche et jours fériés.

- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.