Cinéma

Les réalisatrices stars de la décennie

En explosant les records au box-office et en obtenant des nominations historiques dans les festivals de films, les réalisatrices ont accompli des avancées importantes au cours des dix dernières années. Vogue examine l’impact de leur travail et passe en revue les plus grands films de la décennie réalisés par des femmes.
Mati Diop Cannes
TOPSHOT - French actress and film director Mati Diop poses during a photocall with her trophy after she won the Grand Prix for her film "Atlantics (Atlantique)" on May 25, 2019 during the closing ceremony of the 72nd edition of the Cannes Film Festival in Cannes, southern France. (Photo by Alberto PIZZOLI / AFP) (Photo by ALBERTO PIZZOLI/AFP via Getty Images)ALBERTO PIZZOLI/AFP via Getty Images

Alors que 2019 s'achève, retour sur les réalisatrices qui ont marqué la décennie.

Le 7 mars 2010, Kathryn Bigelow est devenue la toute première femme de l’histoire à remporter l’Oscar du meilleur réalisateur. Elle reste à ce jour la seule femme à avoir reçu ce prix, et seules quatre autres femmes ont été nommées dans cette catégorie : Lina Wertmüller (Pasqualino, 1975), Jane Campion (La Leçon de piano, 1993), Sofia Coppola (Lost in Translation, 2003) et Greta Gerwig (Lady Bird, 2017). La victoire de Kathryn Bigelow a marqué un tournant majeur pour les réalisatrices. Le film qui lui a valu cette récompense : Démineurs (2009), un film dramatique soulevant d’importantes questions sur la guerre d’Irak. Le film a été accueilli par une standing ovation à la Mostra de Venise, a rapporté plus de 57 millions d’euros à l’échelle mondiale, et battu Avatar à l’Oscar du meilleur film. Mais par-dessus tout, il a bousculé les idées reçues de l’industrie sur le type de projets que pouvaient entreprendre – et réaliser – les femmes.

Kathryn Bigelow

Michael Caulfield/WireImage

« Il y a un clairement du changement dans l’air », déclare Marielle Heller, réalisatrice de The Diary of a Teenage Girl (2015), Les Faussaires de Manhattan (2018), et Un ami extraordinaire (2019). Elle cite l’Annenberg Inclusion Initiative de l’université de Caroline du Sud, un thinktank qui étudie la diversité et l’inclusion, et mesure la représentation devant et derrière la caméra. Les progrès n’ont pas été linéaires – en 2018, à peine 3,6% des réalisateurs des 100 films les plus rentables étaient des femmes, en baisse par rapport à l’année précédente, où elles représentaient 7,3% – mais la directrice de l’étude, Stacy L. Smith, est convaincue que l’industrie est enfin en train de changer. « Pour 2019, au moins 12 films parmi les 100 plus vendeurs seront réalisés par des femmes – un record », a-t-elle récemment confié à Variety, avant d’ajouter que « 2019 ne sera pas une exception. »

Marielle Heller et Tom Hanks

Entertainment Pictures / Alamy Stock Photo

Les chiffres du box-office ont leur importance

Parmi les gros succès financiers de 2019 se trouve Captain Marvel, co-réalisé par Anna Boden et Ryan Fleck. Avec plus d’un milliard de dollars engrangé au box-office à l’international, il s’agit du quatrième film le plus rentable de l’année, et le plus rentable de tous les films réalisés par une femme. Il y a ensuite La Reine des neiges 2 de Jennifer Lee et Chris Buck (258 millions de dollars), Queens de Lorene Scafaria (150 millions), Little de Tina Gordon, et Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks (44,1 millions) – une liste impressionnante pour couronner une décennie où le plafond de verre n’a cessé d’être brisé.

Lorene Scafaria sur le tournage de "Queens"

BarbaraNitke/Annapurna/STX/Kobal/Shutterstock

Six des dix films les plus rentables de tous les temps réalisés par des femmes sont sortis après 2010, et tous après 2000. Le plus notable ? Wonder Woman (2017) de Patty Jenkins, l’un des premiers blockbusters avec une super-héroïne au premier plan. La suite du film, Wonder Woman 1984 (dont la sortie est prévue pour juin 2020), sera également dirigée par Patty Jenkins, et l’augmentation de salaire pour son retour derrière la caméra fera d’elle la réalisatrice la mieux payée de l’histoire. « C’est malheureux, mais c’est la vérité, l’argent est roi », explique Lorene Scafaria à Vogue. « Le box-office importe car il dit aux financeurs que vous êtes un pari plus sûr. »

Gal Gadot et Patty Jenkins sur le tournage de "Wonder Woman"

Clay Enos/Warner Bros/Kobal/Shutterstock

Plusieurs facteurs ont récemment aidé à convaincre les directeurs des studios de confier des projets ambitieux à des femmes. En 2020, Cathy Yan réalisera Birds of Prey avec Margot Robbie dans la peau de Harley Quinn ; Niki Caro sera en charge du remake de Mulan, le classique de Disney ; Cate Shortland réalisera Black Widow avec Scarlett Johansson ; et Chloé Zhao sera aux commandes d’Eternels de l’univers Marvel. Etant donné qu’un grand nombre des films les plus rentables du 21ème siècle faisaient partie d’une franchise, tout ceci est de bon augure pour l’avenir des réalisatrices.

Les réalisatrices et les festivals

Si le public demande une représentation plus équitable au cinéma, de prestigieux festivals de films ont mis du temps à réagir. En 2010, seulement trois réalisatrices étaient en lice pour le Lion d’or de la Mostra de Venise, trois pour l’Ours d’or du Festival de Berlin, et aucune pour la Palme d’or à Cannes. Les critiques contre le Festival de Cannes ont atteint leur apogée en 2018, donnant lieu à une protestation sur le tapis rouge menée par la présidente du jury Cate Blanchett. L’actrice a proclamé son indignation aux côtés de 81 femmes, représentant ainsi le nombre total de femmes nommées pour la Palme d’or en 71 ans d’existence de la cérémonie (contre 1645 hommes). « Nous exigeons un environnement de travail divers et équitable, qui reflète le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, et qui nous permette à toutes et à tous de nous épanouir devant et derrière la caméra », avait déclaré l’actrice. Les organisateurs ont entendu cette demande, et ont dévoilé une nouvelle charte visant à améliorer la parité des sexes à Cannes.

Les actrices unies au Festival de Cannes 2018

ANTONIN THUILLIER

Depuis, d’autres engagements du même acabit ont été signés par des festivals internationaux à Venise, Toronto et Berlin. En 2019, 53% des réalisateurs de Sundance étaient des femmes, tandis qu’à Tribeca, 50% des films de trois catégories avaient été réalisés par des femmes. A Cannes, quatre réalisatrices étaient dans la course à la Palme d’or, un record dans l’histoire du festival. Cette année, Mati Diop a remporté le Grand Prix à Cannes pour Atlantique – une prouesse double puisqu’elle était aussi la première réalisatrice noire en compétition au festival.

Mati Diop

ALBERTO PIZZOLI/AFP via Getty Images

L’amélioration de la visibilité dans les festivals a créé plus d’opportunités pour les réalisatrices de couleur – dont un grand nombre a été écarté des cérémonies de prix par le passé. Chinonye Chukwu a remporté le Grand Prix du Jury au Sundance Festival pour Clemency, Melina Matsoukas a ouvert le bal de l’AFI Fest avec Queen & Slim, et Harriet de Kasi Lemmons a fait parler de lui à Toronto. Et n’oublions pas Lulu Wang, dont le film dramatique The Farewell a fait un carton au box-office. Elle fait partie des favoris pour les nominations à l’Oscar du meilleur réalisateur 2020, aux côtés de Greta Gerwig pour son adaptation des Filles du docteur March.

Saoirse Ronan et Greta Gerwig sur le tournage de "Lady Bird"

PictureLux / The Hollywood Archive / Alamy Stock Photo

Kasi Lemmons sur le tournage du film "Harriet"

Glen Wilson/Focus Features/Kobal/Shutterstock

Lulu Wang

Vittorio Zunino Celotto

Que réserve l’avenir pour les réalisatrices ?

Que ce soit au cinéma ou à la télévision, 2019 a été une année mémorable en termes de projets réalisés par des femmes – des comédies populaires (Booksmart d’Olivia Wilde), aux films d’émancipation (The Souvenir de Joanna Hogg), en passant par les histoires criminelles (Dans leur regard d’Ava DuVernay) ou encore les drames introspectifs (Honey Boy d’Alma Har’el). Mais il reste encore beaucoup à faire.

Ava DuVernay sur le tournage de la série "Dans leur regard"

Atsushi Nishijima/Netflix

En juillet, IndieWire rapportait qu’Andrea Arnold, réalisatrice de Big Little Lies avait vu son travail repris et remanié par Jean-Marc Vallée, producteur exécutif et réalisateur de la première saison de la série. Par ailleurs, Ava DuVernay a récemment tweeté qu’elle avait été félicitée pour Harriet et Queen & Slim. « Quand je précise que je n’ai pas réalisé ces films, et qu’ils ont été faits par des réalisatrices noires qui ne sont pas moi ? Rires embarrassés. Excuses. », a-t-elle écrit en accompagnant son tweet d’un gif qui résume la situation : « C’est n’importe quoi. » 

Malgré ces revers, peut-on s’attendre en 2020 à un Oscar pour une réalisatrice, pour la deuxième fois de l’histoire ? Lorene Scafaria n’en est pas certaine. « La victoire de Kathryn Bigelow était incroyable, mais il faut tenir compte du genre dans lequel elle travaillait », explique-t-elle. « Certaines histoires sont encore perçues comme plus précieuses, plus cinématiques que d’autres, et bien souvent il s’agit de récits de l’expérience masculine. Les réalisatrices peuvent évidemment travailler sur tout, et plus nous aurons de voix à faire entendre et de types d’histoires à montrer, plus nous pourrons prouver qu’ils ont tort. » Marielle Heller partage cet avis : « Les femmes auxquelles on confie de gros projets constituent encore un groupe très restreint. J’espère que cela continuera d’évoluer. A l’approche des cérémonies de prix en 2020, j’espère sincèrement qu’il y aura de la place pour plus d’une femme dans la cour des grands. »

À lire aussi sur Vogue.fr :
Rétrospective : les 10 clips les plus vus de la décennie
Les pronostics de Vogue pour les Oscars 2020