Noms, dangers, prévention... Tout savoir sur les perturbateurs endocriniens

Publié le par Manon DuranExpertes : Marion Albouy, médecin de santé publique, cheffe du service de santé publique au CHU de Poitiers, enseignante-chercheuse en promotion de la santé environnementale au CNRS CNRS (laboratoire écologie biologie des interactions) et membre de la Société française de santé publique & Charline Warembourg, chercheuse-épidémiologiste en santé environnementale et chargée de recherches à l’Inserm

Comme leur nom l'indique, les perturbateurs endocriniens interfèrent avec notre système endocrinien. Alimentation, cosmétiques, jouets, meubles... Ces molécules chimiques sont omniprésentes dans notre environnement. Quelles peuvent être leurs conséquences sur notre santé ? Comment s'en protéger ? Le point avec nos expertes. 

Les perturbateurs endocriniens (PE) se cachent dans de nombreux aliments, cosmétiques, contenants, jouets et autres produits que nous utilisons au quotidien. Or de plus en plus d'études soulignent leur impact délétère sur notre système hormonal : ils sont notamment associés à une augmentation de la fréquence des cancers, des malformations génitales, des troubles de la croissance, du développement, de la reproduction, etc. Mais alors que faire pour s'en protéger et limiter ces retentissements néfastes ? Éclairages de Marion Albouy, médecin de santé publique, et Charline Warembourg, chercheuse-épidémiologiste en santé environnementale. 

Définition : qu'est-ce qu'un perturbateur endocrinien ?

Avant toute chose, il est indispensable de rappeler que notre état de santé dépend notamment du bon fonctionnement de notre système endocrinien. Celui-ci régule la sécrétion d'hormones essentielles à notre métabolisme, à notre croissance, à notre développement, mais aussi à notre sommeil et à notre humeur. Comme leur nom l'indique, les perturbateurs endocriniens agissent sur les glandes endocrines de notre corps : l'hypothalamus, l'hypophyse, la thyroïde, les surrénales, les testicules, les ovaires, etc. "Concrètement, ces molécules chimiques ont la capacité de se substituer à nos hormones et de dérégler totalement notre système endocrinien", explique Charline Warembourg. 

Selon la définition de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), établie en 2002 :

Un perturbateur endocrinien est une substance exogène ou un mélange qui altère la (ou les) fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations. 

Certains perturbateurs endocriniens sont d'origine naturelle (comme les phyto-œstrogènes que l'on retrouve notamment dans le houblon ou le soja) et d'autres ont été fabriqués par l’Homme : on parle de perturbateurs endocriniens synthétiques, précise Marion Albouy. Ce sont eux que l'on retrouve le plus souvent au quotidien : on peut y être exposé par voie digestive, respiratoire ou cutanée, précise-t-elle.

Comment agissent ces molécules ?

Ces molécules altèrent plusieurs processus tels que la synthèse, la dégradation, le transport et le mode d’action des hormones, insiste Charline Warembourg. Elles peuvent : 

  • mimer l’action d’une hormone naturelle, et entraîner ainsi la réponse due à cette hormone (on parle d’effet mimétique ou agoniste) ;
  • empêcher une hormone de se fixer à son récepteur, et entraver ainsi la transmission du signal hormonal (on parle d'effet de blocage ou antagoniste) ;
  • perturber la production, la dégradation, ou la régulation des hormones ou de leurs récepteurs ;
  • et perturber le transport des hormones dans l’organisme.

Quels sont les principaux perturbateurs endocriniens (liste non-exhaustive) ?

Il est difficile de lister les perturbateurs endocriniens, tant ils sont nombreux - et parfois même encore méconnus. Les principaux perturbateurs endocriniens de synthèse sont : 

  • le bisphénol A(BPA) ; 
  • les phtalates ;
  • les parabènes ;
  • les alkylphénols ;
  • l’hydroxyanisol butylé (BHA) et le butylhydroxytoluène (BHT) ;
  • les retardateurs de flamme bromés (RFB) ; 
  • les polychlorobiphényles (PCB) ;  
  • les métaux (mercure, plomb, cadmium) ; 
  • le plomb
  • le diéthylstilbestrol (Distilbène) ; 
  • le téflon et autres composés perflurorés(PFC) ; 
  • le triclosan
  • etc.

Bon à savoir : certaines de ces substances sont dites rémanentes (les PCB, les retardateurs de flammes, les métaux et les perfluorés). Elles persistent dans l’environnement de longues années et peuvent être transférés d’un compartiment de l’environnement à l’autre (de sols, à l'eau, puis à l'air, par exemple). 

Les huiles essentielles, de potentiels perturbateurs endocriniens

Selon plusieurs études, les huiles essentielles de lavande et d'arbre à thé peuvent provoquer des cas de gynécomastie, une poussée mammaire anormale chez des jeunes garçons. Les produits chimiques qu'elles contiennent peuvent en effet interférer de manière plus ou moins importante avec les hormones produites par l'organisme : des tests in vitro ont mis en évidence leurs effets oestrogéniques et /ou anti-androgéniques. 

"Notre société considère les huiles essentielles comme sûres, cependant, elles possèdent une grande variété de produits chimiques et doivent être utilisées avec précaution, car certains de ces produits chimiques sont des perturbateurs endocriniens potentiels", concluait une étude menée en mars 2018 par l'Institut national des sciences de la santé environnementale (NIEHS).

Pour rappel, l’utilisation des telles huiles est déconseillée chez l’enfant, la femme enceinte ou allaitante et les personnes souffrant de pathologies chroniques.

Alimentation, cosmétiques, jouets, meubles... Où trouve-t-on des perturbateurs endocriniens ? Comment les reconnaître ?

Dans notre alimentation, à la maison, dans l'eau, dans l'air, dans les sols... Les perturbateurs endocriniens sont présents partout : "on parle de molécules ubiquitaires", indique Marion Albouy. De son côté, l'OMS indique que ces substances sont de plus en plus présentes dans notre environnement en raison des effluents industriels et urbains, du ruissellement des terres agricoles et de l’incinération ou du rejet des déchets. Le point sur les principales sources d'exposition à ces substances. 

L'alimentation, première source d'exposition

Selon nos expertes, l'alimentation est la première source d'exposition aux perturbateurs endocriniens. Non seulement en raison des résidus de pesticides que l'on retrouve dans de nombreux fruits et légumes, mais aussi en raison des additifs alimentaires et / ou des emballages alimentaires. En effet, certaines substances peuvent migrer de l'emballage vers les aliments en question, lors de leur stockage ou d'un passage au micro-onde.

Les poissons - et autres produits issus de la pêche -sont aussi régulièrement pointés du doigt : ils pourraient avoir été contaminés par des perturbateurs endocriniens au contact de l'eau, notamment les poissons gras ou carnivores (saumon, truite, sole, raie, etc). "Pour autant, la consommation de poisson reste bénéfique, si pas en excès, du fait de leur composition nutritionnelle", souligne Charline Warembourg. 

Quant aux viandes et autres produits alimentaires issus de l'exploitation animale (fromages, lait, œufs, etc), la prudence est de mise également. L'alimentation et l'eau fournie aux animaux peuvent être contaminées par des perturbateurs endocriniens. 

À noter : le houblon et le soja sont aussi suspectés de contenir des phyto-œstrogènes nocifs. 

Parfums, déodorants, maquillage, shampoings, gel douche...

Peu de cosmétiques ou produits d'hygiène traditionnels sont épargnés. On retrouve des perturbateurs endocriniens dans les déodorants, les dentifrices, les vernis, les crèmes à raser, les gels douche, les shampoings ou encore les produits de coloration pour cheveux. 

Biberons, jouets, vêtements, appareils électro-ménagers...

De nombreux objets et ustensiles de la vie courante - parfois même des objets indispensables - son également porteurs de perturbateurs endocriniens. On pense notamment aux biberons, aux casseroles, aux aspirateurs, aux sèche-cheveux, aux ordinateurs, aux télévisions, aux matelas, aux vêtements, aux médicaments, aux dispositifs médicaux, etc. 

Vernis, colles et autres matériaux de construction...

Insecticides, produits ménagers, meubles, sapins de Noël... Sont autant de sources de pollution intérieure qui passent inaperçues. En effet, les produits d'entretien ou de destruction des nuisibles regorgent de molécules chimiques délétères. Quant à certains revêtements (moquettes, parquets, etc), ou certains meubles, ils sont chargés en perturbateurs endocriniens présents dans les vernis, les colles ou les tissus. 

Risques et conséquences : cancers, malformations, quels sont les effets des perturbateurs endocriniens ?

En France, les consommateurs semblent de plus en plus avertis : selon le baromètre IRSN 2021, la perception du risque associé aux perturbateurs endocriniens est passée de 33 % en 2014 à 52 % en 2020. Une prise de conscience tardive, étant donné que les perturbateurs endocriniens attirent l'attention de la communauté scientifique depuis le début des années 1950. Ils sont évoqués en tant que tels pour la première fois en 1991, à l'occasion de la conférence de Wingspread, durant laquelle plusieurs scientifiques internationaux se sont accordés pour reconnaître que des phénomènes affectant la reproduction et la santé humaine et animale étaient liés à une "perturbation endocrinienne", rappelle Marion Albouy. 

L'état actuel de la Recherche confirme que les perturbateurs endocriniens ont des effets néfastes sur l'environnement, sur la santé animale, et la santé humaine. "Chez le rat, par exemple, on sait que sept générations peuvent être impactées par une exposition récurrente à ces perturbateurs. Chez l’Homme aujourd'hui on a un recul sur trois générations qui s'avère déjà significatif", souligne la médecin de santé publique. 

Les effets les plus connus, ou suspectés, de ces molécules chimiques : 

  • des malformations génitales (absence de testicules, testicules trop basses, hypospade, micropénis etc) ; 
  • une détérioration de la qualité du sperme (tératospermie) pouvant avoir un impact sur la fertilité ;
  • des accouchements prématurés ou des nourrissons présentant un poids de naissance inférieur à la normale ; 
  • des anomalies du développement du système nerveux ;
  • un retard neuro-développemental ; 
  • des troubles immunitaires ;
  • un déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH) ; 
  • des troubles de la puberté chez les adolescents (puberté précoce) ; 
  • des modifications du métabolisme entraînant potentiellement une obésité ou un diabète ; 
  • des cancers hormono-dépendants, comme le cancer de la thyroïde, le cancer du sein, le cancer du testicule, le cancer de la prostate et le cancer de l'ovaire.

Grossesse, puberté, petite enfance... Des "fenêtres d'exposition" de choix

On sait que la grossesse, la petite enfance et la puberté sont des "fenêtres d'exposition" particulièrement risquées. Pour cause ? Ces substances sont capables de traverser la barrière placentaire et d'affecter durablement le développement des enfants à naître : des malformations ou des pathologies peuvent s'installer avant sa naissance.

Après la naissance, étant donné que son développement n'est pas terminé, le nourrisson reste vulnérable : l'exposition à des perturbateurs endocriniens ou leur absorption par le biais du lait maternel peuvent également altérer leur système endocrinien. Et Charline Warembourg de relativiser : "Malgré tout, l’allaitement maternel reste bénéfique pour le développement de l’enfant du fait de la présence de nombreux nutriments et anticorps".

De même à la puberté, période d'ébullition hormonale, peut être impactée et altérer de manière irréversible certaines fonctions de l’organisme.

On conseille donc aux femmes enceintes, aux jeunes parents et aux adolescents d'être particulièrement attentifs à leur environnement immédiat et à leur consommation, souligne la chercheuse-épidémiologiste. 

Quels sont les facteurs de risques d'expositions à ces produits ?

Certaines personnes sont plus susceptibles d'être exposées à ces substances dangereuses en raison de leur métier, c'est par exemple le cas : 

  • des hommes et des femmes de ménage ;
  • des coiffeuses et esthéticiennes ;
  • des personnes travaillant en laboratoire ; 
  • des agriculteurs ; 

  • des mécaniciens ; 
  • des employés du BTP ; 
  • etc. 

Autre facteur de risque majeur : la proximité avec un champ régulièrement traité aux pesticides, avec une usine d'incinération, une usine chimique ou encore une décharge.

Quels sont les pires perturbateurs endocriniens ?

Soyons claires, il n'y pas de pires, ou de meilleurs perturbateurs endocriniens : toutes ces substances sont potentiellement dangereuses pour notre santé et notre fertilité. Et d'ailleurs, personne ne cherche à les classer selon leur degré de toxicité, étant donné que de nombreux perturbateurs endocriniens potentiels ne font pas encore l'objet d'études scientifiques.

"Ce qui bouleverse les paradigmes habituels, c'est le fait que les perturbateurs endocriniens puissent agir à faible dose. Ce n'est pas la dose qui fait le poison", note Marion Albouy. Autrement dit, les fortes doses ne sont pas toujours incriminées, il suffit parfois d'une très faible quantité de substance pour déclencher ses effets. 

Pourquoi ces substances ne sont-elles pas toutes interdites ?

Commençons par le commencement : pourquoi certains perturbateurs endocriniens sont-ils interdits ? Selon Marion Albouy, certaines substances bénéficient d'applications réglementaires parce qu'elles sont formellement toxiques dans certaines indications. Et Charline Warembourg de confirmer : "L'utilisation de certaines substances peut être interdite - ou réglementée - parce qu'elles sont considérées comme cancérogènes ou reprotoxiques (toxiques pour les organes reproducteurs, la fertilité et la santé des fœtus). S'il s'avère qu'elles perturbent aussi le système endocrinien, elles sont dont interdite par défaut". 

Et comment expliquer que certaines substances potentiellement cancérogènes ou perturbatrices du système hormonal ne soient pas incriminées ? Tout simplement parce que ces substances ne sont pas assez étudiées, pas assez médiatisées, ou trop compliquées à substituer pour le moment, répond Marion Albouy. Comment remplacer le PVC de nos canalisations ? Quelle autre substance utiliser pour limiter les risques d'incendie ? Autant de réponses qui n'ont pas encore de questions. 

Un effet "cocktail", tout sauf festif

Concernant la Recherche, les scientifiques sont loin de se tourner les pouces. Il faut bien comprendre que plusieurs paramètres complexifient les études. Notamment le fait que la sensibilité aux perturbateurs endocriniens varie selon les périodes de la vie : nous ne subissons pas les mêmes conséquences lorsque nous sommes au contact de perturbateurs endocriniens in utero, dans l'enfance, à la puberté ou à la ménopause précoce

Par ailleurs, Marion Albouy et Charline Warembourg soulignent l'incertitude liée au fameux "effet cocktail", qui comme son nom l'indique, implique un mélange de produits chimiques.

On a déjà du mal à évaluer précisément les effets d'un perturbateur endocrinien sur la santé humaine ; alors quand plusieurs substances agissent de concert... l'équation est encore plus complexe !, constate la chercheuse-épidémiologiste. Ensemble, ils peuvent perturber l’organisme sans que chacun, pris isolément, n’ait d’effet. 

"Face à cette complexité, la connaissance des effets des perturbateurs endocriniens aux doses rencontrées dans l’environnement se heurte actuellement aux limites de la toxicologie classique et des méthodes d’évaluation des risques. La question est donc d’en développer de nouvelles, adaptées aux spécificités de ces composés", résume l’Anses.

Comment éviter les perturbateurs endocriniens - ou du moins limiter son exposition ?

Oui, nous sommes entourés de perturbateurs endocriniens, mais il faut s'efforcer de pas céder aux sirènes du pessimisme, du cynisme et de l'éco-anxiété ! "Nos choix de consommation ont un impact sur l'industrie cosmétique, pharmaceutique, agro-alimentaire, etc", martèle Marion Albouy. Et d'insister : "L'éviction des perturbateurs endocriniens demande d'être acteur de sa santé et de pouvoir faire des choix éclairés. C'est tout notre système qui doit adopter des mesures de promotion de la santé : les individus, les pouvoirs publics, les industriels, etc". 

Voici quelques gestes à mettre en place au quotidien pour protéger votre santé et celle de vos proches : 

  • Lavez soigneusement vos fruits et les légumes, voire épluchez-les, surtout s’ils ne sont pas bio. Cela permet d'éliminer une bonne partie des résidus de pesticides qui se trouvent à leur surface.
  • Pensez à varier les aliments et privilégiez des produits frais, issus de l’agriculture biologique.
  • Misez sur du "fait maison", plutôt que sur des plats industriels. 
  • Réservez le soja aux adultes (excepté les femmes enceintes), moins sensibles aux phyto-œstrogènes.
  • Consommez du poisson une à deux fois par semaine, en prenant soin de diversifier les espèces et les zones de provenance. 
  • Préférez les poêles en céramique ou les contenants en verre et évitez les boîtes de conserve en métal, les canettes de sodas, le petit électroménager fabriqué à partir de polycarbonate (une bouilloire de ce plastique rejette du bisphénol A), le film plastique étirable, ou tout autre contenant en plastique (qui peut libérer des phtalates s'il passe au micro-onde).
  • Pour préserver la santé de votre enfant, prêtez attention à la composition des couches, des biberons et des jouets en plastique, en cherchant l’option "bio" ou "écologique". Même constat pour l’alimentation et les petits pots de bébé.
  • Lavez vos vêtements neufs avant de les porter.
  • Prêtez attention à la composition de vos produits hygiéniques et cosmétiques : "moins il y a d'ingrédient, mieux c'est", souligne Charline Warembourg. L'idéal est de privilégier des produits green, voire DIY. Prenez aussi garde au green-washing !
  • Pensez à remplacer vos produits ménagers, gorgés de produits chimiques, par des produits écologiques ou des produits naturels, comme du vinaigre blanc, du bicarbonate de soude, de l’eau chaude et du savon de Marseille. 
  • Préférez des meubles en bois massif, ou laissez vos nouveaux meubles au garage, sur le palier ou votre balcon un certain temps avant de les utiliser, les produits toxiques auront ainsi le temps de s'évaporer. 
  • Aérez votre logement au moins 10 minutes le matin et 10 minutes le soir, chaque jour (surtout si vous entreprenez des travaux de bricolage ou de ménage).
  • Évitez les sources de pollution intérieure (diffuseur d’odeur, sprays, encens, bougies parfumées, vaporisateurs de parfum, etc). 
  • Veillez à la provenance des eaux, qui pourraient être souillées par des pesticides, des engrais, ou des hormones provenant de déchets hospitaliers, etc.