Première Française greffée d'un utérus : "C'est le don du nid manquant pour couver mon bébé"

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Première Française greffée d'un utérus : "C'est le don du nid manquant pour couver mon bébé"

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Seuls deux établissements en France sont habilités, pour l'heure, à réaliser des greffes d'utérus
Seuls deux établissements en France sont habilités, pour l'heure, à réaliser des greffes d'utérus
© AFP - Jessica Bordeau / BSIP

EXCLUSIVITÉ FRANCE INTER - C'était une première en France en mars dernier à l'hôpital Foch de Suresnes : une greffe d'utérus. Déborah, qui a reçu l'utérus de sa mère, parle pour la première fois. Elle va très bien et espère pouvoir bientôt mener une grossesse à terme.

C'est en Suède qu'est venu au monde le premier bébé né grâce à une greffe d'utérus, en 2014. Depuis, une quinzaine d'enfants ont ainsi vu le jour dans le monde. Pour la mère, après la ou les naissances, l'utérus greffé est retiré pour éviter les problèmes de traitement anti-rejet. En France, deux équipes ont l'autorisation de pratiquer cette greffe : le CHU de Limoges avec donneuses décédées et l'hôpital Foch de Suresnes avec donneuses vivantes. 

Déborah a 34 ans, elle est née sans utérus, c'est le cas d'une femme sur 4 000, mais le problème peut aussi venir d'une hémorragie qui a entraîné la perte de l'utérus. Pour Déborah, la donneuse est sa propre mère, une femme de 58 ans. C'est souvent une femme de la famille qui donne, mère ou sœur, pour des questions de compatibilité. Cela évite aussi une éventuelle démarche financière.

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Questions à la première Française à avoir bénéficié de ce type de greffe.

FRANCE INTER : Pourquoi avoir fait le choix de la greffe d'utérus ?

DÉBORAH : "J'avais 17 ans lorsqu'on a détecté le syndrome qui me prive d'utérus. Avec mon conjoint, on a regardé ce qui était possible : l'adoption, les mères porteuses qui ne sont pas autorisées en France. J'ai lu dans des articles scientifiques que les Suédois avaient déjà réussi la greffe d'utérus sur les souris et que cela avait mené à des portées. J’ai aussi lu que sur l'être humain, ça avait fonctionné et qu'en France, l'hôpital de Limoges ouvrait un protocole. On est parti vraiment à fond là-dedans. La possibilité de pouvoir porter mon enfant biologique est forcément quelque chose de très fort."

Vous dites 'ça ne s'est jamais fait en France, mais ça peut être moi la première' ? 

"Je ne me suis jamais dit que ça pourrait être moi la première. Mais 'pourquoi pas ? Qui ne tente rien, n'a rien'. Il y a eu des critères de sélection. Il y a eu plusieurs entretiens et il s'est avéré qu'on a eu finalement la chance de pouvoir rentrer dans le protocole de l'hôpital Foch de Suresnes. Il est légèrement différent de celui de Limoges, qui fonctionne avec un donneur en mort cérébrale, alors qu'ici, c'est un donneur parenté, donc vivant.

Quand on m'a annoncé mon syndrome, ma maman m’avait dit que si jamais un jour les avancées médicales le permettaient, elle me donnerait son utérus. Donc, elle faisait attention si elle avait le moindre petit truc à l'utérus, des fois que ça puisse un jour me servir. L'équipe du professeur Ayoubi a pu nous aider à ce qu'elle m'offre ce cadeau."

Est-ce que la préparation a été longue ? 

"La préparation a été finalement assez rapide. Entre le premier comité et la greffe, il s'est passé presque un an. Il y a des temps d'attente importants entre les différents comités de l'hôpital. On nous y explique vraiment tout ce qui va se passer et on nous fait le tableau le plus noir des effets non désirés et des traitements. Ensuite, il y a trois mois pour réfléchir. Puis, on se retrouve face à ce comité une deuxième fois pour prendre la décision. Eux doivent décider, en fonction des entretiens qu'on a passés avec eux, s'ils pensent qu'on est aptes à rentrer dans ce protocole. Après, on a attendu les résultats de compatibilité entre maman et moi. On a croisé les doigts. C'est peut être les deux mois les plus longs parce que tout peut s'arrêter à ce moment-là.

Que ce soit pour maman, mon père, mon mari, l'équipe médicale nous a vraiment très bien entourés. On se sent vraiment en sécurité et en confiance."

Le jour J, on a fait le prélèvement chez votre maman et on vous greffé le jour même...

"Maman a été opérée tôt le matin. Ça a duré neuf à dix heures. Le prélèvement est beaucoup plus long et il y a plus de risques parce que l'utérus est très vascularisé. Vers 16h30 ou 17h c'était à mon tour pour une opération de cinq heures. On ne s'est revues que le lendemain, en soins intensifs, on était dans la même chambre. Donc, on a pu voir qu'on allait bien."

Quand on se réveille avec l'utérus de sa mère, à quoi pense-t-on ?

"Il n'y avait pas de problème d'éthique pour nous parce qu'on considérait ça un peu comme le don du nid manquant pour couver mon bébé à l'intérieur. Quatre jours plus tard, quand on a fait l'échographie et qu'on a vu que les artères fonctionnaient très bien, que l'endomètre s'épaississait et que l'utérus s'était calé sur mon cycle, sur mes hormones, je me suis dit 'ça y est, il fait partie de mon corps qui l'a accepté.' Il n'était plus à maman. C'était le mien. 

On se rend compte que tout fonctionne bien aux premières menstruations qui ont lieu 15 jours après l'opération. Donc, très rapidement. C'est magique, mais à partir de ce jour-là on vit au jour le jour parce qu'il peut y avoir un risque de début de rejet ou de complications. Mais j'ai de la chance. J'ai eu zéro début de rejet." 

Et maintenant vous attendez le transfert embryonnaire...

"On a le droit de le faire à partir du douzième mois post-opératoire, donc à partir du 1er avril on pourra passer au transfert embryonnaire, à l'étape tant attendue, celle de la grossesse. On s'approche. Quatre ans qu'on se bat pour ça. Et là, on n'a jamais été aussi près de cette grossesse et de cette naissance. On l'espère de tout notre cœur. On est très soutenu par notre famille".

Pour vous cette aventure, c'est aussi un message porté pour des femmes qui ont le même problème que vous ? 

"Oui, bien sûr. On sait que pour nous ça peut s'arrêter à chaque étape du protocole. Donc, il faut avoir la conviction profonde de faire avancer les choses, de se dire que ça va servir peut-être pour d'autres femmes qui ont ce problème. Ça permet quand même de faire des recherches, d'accumuler des données sur ce genre de syndrome ou problèmes de fertilité. C’est aussi important que notre désir d'avoir ce bébé. C'était important de lier les deux." 

L’équipe du Professeur Ayoubi devrait réaliser une seconde greffe dans quelques mois.

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