La meurtrière trans Jamie Boulachanis, qui a déjà failli réussir une évasion à la Houdini, dénonce ses conditions de détention intolérables et humiliantes dans une prison pour hommes à sécurité maximale et réclame d’être transférée dans un établissement pour femmes. Or, les autorités carcérales s’y opposent en raison de son risque « élevé » de fuite et de son récent « plan d’évasion ».

Harcèlement, commentaires obscènes, agressions physiques, menaces de mort : Jamie Boulachanis n’en peut plus d’être détenue dans une prison pour hommes, alors qu’elle s’identifie comme une femme et suit un traitement hormonal en attente d’une opération de changement de sexe. Jadis prénommée John, elle a modifié légalement son nom et son sexe en octobre 2018.

« Cette situation est inacceptable et ne peut plus être tolérée », a martelé lundi son avocate, MSylvie Bordelais, lors d’une audience au palais de justice de Montréal. La femme trans de 46 ans soutient subir un traitement « cruel et inusité » en prison et conteste la légalité de sa détention.

Portant du maquillage et des vêtements féminins, les cheveux bouclés mi-longs, Jamie Boulachanis a témoigné par visioconférence, de la prison de Port-Cartier. D’une voix douce, elle a raconté qu’elle craignait pour sa sécurité.

Je reçois des dizaines et des dizaines de propositions indécentes. C’est très, très humiliant. On me dit : “Les hommes sont comme ça, vous devriez vous habituer”. On me conseille de me faire un copain pour me protéger ! Mais j’ai une copine dehors.

Jamie Boulachanis

Bien qu’elle puisse utiliser des toilettes et des douches seule, elle doit souvent se démener pour défendre ses droits, dénonce-t-elle. « Deux, trois fois par semaine, ils vont ouvrir la porte et des personnes vont rentrer dans la douche », déplore-t-elle. Elle raconte également avoir été « assaillie » par un agent après avoir refusé de lever son chandail pour montrer son soutien-gorge lors d’une fouille.

Pour sa propre sécurité, Jamie Boulachanis demeure dans l’aile de « santé mentale » du pénitencier. « Je suis isolée mentalement », souffle-t-elle. D’ailleurs, elle a des pensées suicidaires tous les jours, lâche-t-elle. Depuis plus d’un an, elle dit être incapable d’obtenir une lettre nécessaire à son opération de changement de sexe.

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Jamie Boulachanis, jadis prénommée John (photo)

Une spectaculaire tentative d’évasion

Jamie Boulachanis a été condamnée en 2016 à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans pour le meurtre prémédité de Robert Tanguay, commis en 1997. Une décision confirmée il y a deux semaines par la Cour d’appel. Elle avait été arrêtée au terme d’une cavale de 13 ans autour du globe alors qu’elle vivait sous de fausses identités masculines.

Sa spectaculaire tentative d’évasion en 2013 a marqué les esprits. Tel un Houdini, elle a réussi à se défaire de ses menottes et de ses chaînes pour s’évader d’un fourgon cellulaire par une ouverture de quelques pouces. Mais blessée dans la chute, elle a été rattrapée facilement. Les autorités ont retrouvé deux morceaux de scie dans le véhicule. Jamie Boulachanis a fini par remettre quatre lames de scie, trois clés de menottes et un morceau de tournevis.

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Entraves trouvées dans le fourgon cellulaire après la tentative d'évasion de Jamie Boulachanis, en 2013

Puisqu’on lui a attribué une cote de sécurité maximale, Jamie Boulachanis doit être escortée par une équipe d’intervention spéciale et des policiers à chaque déplacement à l’extérieur de la prison, une mesure exceptionnelle. Au Québec, seuls sept détenus nécessitent une telle escorte à haut risque. En juillet 2017, 11 agents l’ont escortée pour un rendez-vous médical, explique dans une déclaration sous serment la sous-commissaire adjointe de Service correctionnel Canada, Cynthia Racicot.

Les autorités carcérales s’inquiètent d’un récent « plan d’évasion » évoqué par la détenue en septembre 2018. Selon Mme Racicot, Jamie Boulachanis a déclaré à un agent qu’elle comptait s’évader, si elle perdait en appel de sa peine, et qu’elle connaissait la liste de tous les pays sans traité d’extradition avec le Canada. Sa conjointe devait contacter les hôpitaux pour connaître la date et l’heure de ses rendez-vous médicaux.

Aucun pénitencier fédéral pour femmes n’offre les mêmes conditions de sécurité maximale que Port-Cartier, soulignent les autorités. De plus, d’autres détenus trans sont incarcérés dans un établissement pour hommes, certains de leur propre gré, soulève-t-on. Toutefois, quelques femmes trans sont incarcérées dans des établissements pour femmes.

Les audiences se poursuivent mardi devant le juge de la Cour supérieure Jean-François Buffoni. Me Dominique Guimond représente le Procureur général du Canada.